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«La routine est
un éteignoir» Samuel BECKET
Le trio inattendu ne savait pas qu'il venait d'ouvrir la voie à d'autres timorés qui mirent fin à toute hésitation pour leur emboiter le pas. Après tout, ils n'étaient pas moins comédiens que certains; et puis , tenter sa chance vaut mieux que d'avoir à regretter son indécision. Les prospecteurs n'en espéraient pas tant. Sans plan de bataille, ils n'envisageaient pas de réussir mais simplement d'en montrer la fausse volonté. L'inextinguible prétention des uns et la vénalité des autres volent à leur secours. Des circonstances insoupçonnées viennent chasser leurs appréhensions, ils peuvent, désormais, afficher une certaine assurance et prendre leur temps. Les entretiens très poussifs, au départ, s'installent dans la durée. Se succèdent , alors, les intermittents des scrutins, les habitués des listes d'attente, ceux qui, depuis toujours, à la tête de catégories sociales n'ont, paradoxalement, que l'alternance comme crédo, ceux qui cherchent la légitimité dans un silence devenu pesant et inefficace, les angoissés de l'invalidité physique, les oubliés des tréteaux. Tous pensent avoir quelque chose à apporter à l'animation du village. Tous ont tiré des blessures de la vie, des enseignements qui méritent d'être transmis aux jeunes générations. Ils sont tous volontaires pour offrir à la jeunesse des spectacles délassants et désopilants, des comédies endiablées et truculentes, des voyages dans l'insouciance et la nostalgie. Tous sont animés du même sens du sacrifice pour aider et encadrer la jeunesse; pour peu que celle-ci accepte de demeurer jeune assez longtemps pour bénéficier de l'expérience des ainés et de leur abnégation. Les ainés ne peuvent se soustraire au devoir d'offrir aux générations montantes une expérience chèrement acquise. Dans l'ardeur de mimer la vie, ils savent, comme nuls autres, fabriquer leurs personnages en enfilant prestement les mains dans de vielles chaussettes ou de vieux gants agrémentés de feutrine colorée. Ils savent prêter à leurs pantins toutes les postures pour dire à la place du public ses joies et ses tristesses. Ils élaborent de belles fictions pour faire oublier leur sort à tous les éplorés. Ils transforment de flagrantes contradic tions en quiproquos désopilants. Ils diluent les incohérences dans le burlesque des attitudes. Trublions de service, ils offrent leurs facéties à des âmes en peine. Ils savent aussi faire admirer le ridicule, couvrir l'incompétence d'un manteau de générosité, présenter la vergogne comme une hardiesse, faire passer la contrainte pour une persuasion, caresser tendrement les faiblesses, accepter la tromperie comme un enchantement et admettre le pillage au nom du principe de précaution. Ils savent exagérer les vices pour mieux les édulcorer. Leurs personnages, tantôt calmes et flegmatiques, tantôt outrés et grandiloquents savent réduire les scandales à des incidents du quotidien et faire rire leurs semblables du drame humain. L'outrance fait frémir et la caricature subjugue. Leurs performances gestuelle et langagière finissent par se substituer à la réalité, à exclure cette réalité de l'imaginaire du public. La misère du badaud est enfin verbalisée, il l'entend, elle lui parle. Sa détresse est vengée, dissoute dans une vive émotion. Il trouve un écho à son questionnement. La métaphore le berce et le transporte. Il se regarde vivre, il décode son présent et pour son avenir , il écoute le « vieux loup de mer», se méfie du valet et attend le justicier. Il n'a plus besoin d'agir , il participe déjà au jeu. «Il sait bien qu'il ne se passe rien de réel sur la scène. Mais il feint de croire que le spectacle auquel il assiste est vrai. Quand aux acteurs, il agissent à l'intérieur des conventions comme si leur but essentiel est de tromper le public» (2) «Tous cherchent leur bonheur dans l'apparence, nul ne se soucie de la réalité. Tous mettent leur être dans le paraître : tous, esclaves et dupes de l'amour- propre, ne vivent point pour vivre, mais pour faire croire qu'ils ont vécu». (3). Note : 1)- Sotie : terme de théâtre : face satirique. 2)- Marie-Claude HUBERT, le théâtre, éditions Milan, Toulouse 2003. 3)- Jean-Jacques ROUSSEAU : ROUSSEAU Juge de Jean-Jacques. Dialogues. |
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