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A défaut d'une politique économique, l'incantation et la prière feront
l'affaire.
Karim Djoudi a lancé un nouveau concept économique : la gestion par la prière. Cette nouvelle théorie consacrée par le ministre des finances consiste à engager des actions qui doivent inévitablement provoquer certains résultats, et souhaiter haut et fort qu'elles provoquent d'autres effets. Cela revient, en gros, à mettre une allumette à côté d'un jerrican d'essence, et à souhaiter que le feu ne prenne pas. Cette théorie a été inaugurée en grande pompe par M. Djoudi lorsqu'il a été amené à commenter l'impact de l'injection massive d'argent dans l'économie du pays, et en particulier les effets inflationnistes que ces choix vont provoquer. Le Ministre des finances se trouvait face à une situation assez simple : l'économie algérienne ne progresse pas, mais le gouvernement injecte des sommes colossales pour acheter la paix sociale. Pour parer à une éventuelle contagion des « révolutions arabes », et prévenir la contestation interne qui s'étend de manière inquiétante, le gouvernement a distribué des sommes faramineuses depuis le début de l'année, et promet de poursuivre dans cette logique tant que la situation sociale et politique demeure menaçante. Augmentation de salaires allant jusqu'à cent pour cent, rappels sur plusieurs années, crédits bonifiés avec des délais de remboursement incroyables, le gouvernement a fait preuve d'une générosité exceptionnelle. Que peut-on attendre de telles décisions ? Deux effets : booster les importations, et augmenter la pression de la consommation. Avec probablement une inflation à deux chiffres, selon des économistes que nous avons interrogés, alors que les chiffres officiels avaient réussi jusque là à contenir l'inflation sous le seuil symbolique de cinq pour cent. Comment M. Djoudi compte-t-il faire pour éviter cette inflation ? Prier. Prier pour que le fonctionnaire qui touche un rappel consistant le consacre à l'épargne et non à la consommation. Prier pour que le bénéficiaire de nouveau revenu mette de l'argent de côté pour acheter un appartement ou financer un logement destiné à son fils, au lieu de l'utiliser pour acheter une voiture, changer la télé ou le consacrer à des dépenses dont rêvent sa femme et ses enfants. Dans cette logique, il faut tout de même admettre que M. Djoudi n'innove pas vraiment. Il s'installe simplement en héritier d'une tradition bien établie, qui voit des dirigeants algériens prendre des décisions absurdes et s'étonner ensuite de leurs conséquences. Bien avant l'avènement de M. Djoudi, le gouvernement a signé un accord d'association avec l'Union européenne, avant d'exprimer sa surprise de voir les entreprises algériennes étouffées par l'import-import. L'exemple vient aussi de plus haut. Après avoir imposé un fonctionnement chaotique à l'économie du pays, et supprimé les contre-pouvoirs, le président Abdelaziz Bouteflika s'était lui-même étonné de voir que le pays avait échoué à bâtir un système économique viable. Le chef de l'Etat paraissait sincèrement étonné de voir une démarche bureaucratique, incohérente, sans cap ni boussole, menée par des ministres sans épaisseur, peut-elle échouer ? Sur un autre registre, le comportement des hauts responsables est lui-même devenu un casse-tête. Prenez un ministre qui ment au chef du gouvernement et au chef de l'état. Ce ministre doit logiquement s'attendre à ce que ces cadres lui mentent. Mais non ! Il tombe des nues quand il l'apprend. Et il est outré de trouver que les bilans publiés par ses différents services sont faux. Dans le domaine du logement, les responsables du projet ADL ont reconnu que le programme 2001 n'est toujours pas achevé. Oui, il s'agit bien de celui de 2001. Une décennie plus tard, on cherche toujours comment boucler cette aventure ADL. Cela n'empêche pas le ministre du secteur d'affirmer haut et fort qu'il a réalisé un million de logements durant le second mandat du président Bouteflika, et de menacer d'en réaliser 1.2 millions cette fois-ci. Comment peut-on faire de telles déclarations quand des dizaines de milliers d'Algériens attendent d'être logés ou relogés. Mais il y a pire, si on peut dire. Comme ce ministre qui annonçait, il y a un an, que la première voiture algérienne sortirait des usines avant fin 2010. Quand ce type de comportement concerne un ministre, cela pourrait relever de l'anecdote. Ou être considéré comme un accident de l'histoire. Au pire, ce serait un révélateur des mœurs politiques du pays à un moment précis de son histoire. Mais quand cela devient un mode de fonctionnement institutionnel, c'est un véritable désastre. En Algérie, c'est un mode de gestion établi. |
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