Peut-on prendre un bain en plein Sahara ? Oui, dit
Bouteflika qui a pris un bain de foule à Tam pendant que Tam se promettait un
bain d'eau avec l'eau promise. C'est le maigre évènement de la semaine après
plus de trois mois de révolutions dans le reste du monde arabe. Le projet « eau
pour Tam » est grandiose mais on ne peut pas s'empêcher d'y voir la dimension
du robinet face à ce qui se passe ailleurs. Les gens de Tam ont besoin d'eau et
pas de vent, même celui du changement peut-être, mais cela n'empêche pas les
Algériens de se sentir désormais très vieux, dépassés, sans ossement, comme
rangés dans un placard et enfermés dans un cycle de temps lent et sans cascades
excitantes. La sortie de Bouteflika au Sud a prouvé qu'il est vivant et que
nous sommes un peu morts, du moins lassés, à peine réactifs à l'électricité de
l'air et aux sollicitations des instincts de la jungle et de l'adrénaline
collective. Nous sommes traités un peu selon la logique de nos besoins primaires
: de l'eau au sud, de la semoule à l'ouest, du sucre à l'est, de l'huile au
centre. Car il faut bien saisir l'immense sens de la visite saharienne de
Bouteflika : dans le monde entier et même dans le monde arabe et sur la carte
des dictatures encore fortes, il est le seul à prendre un bain de foule alors
que les foules sont aujourd'hui signe de révolutions massives. De la centaine
de personnes de Tam, la propagande va faire un peuple et de l'eau de Tam,
l'ENTV a déjà fait une épopée biblique de jaillissement à partir d'une roche
frappée par le bâton d'un élu. Bien sûr, le choix de l'endroit n'est pas
gratuit : c'est le désert et les gens n'y aiment pas les vents, l'eau y rare,
les gens y sont présentés comme pacifistes et la liberté y est naturelle et aucun
dispositif policier ne peut la restreindre à une place publique verrouillée. Le
contraire des gens du nord qui adorent le vent, ont plus d'eau, plus de partis
politiques et ne disent jamais merci quand on leur construit un lycée. L'autre
raison est que visiter Tam c'est comme visiter la Libye mais sans en parler,
parler des Touareg mais sans le dire, évoquer le GSPC mais avec la bouche de
Ould Kablia et discourir sur le Sahel mais sans déclarations publiques
directes. Le désert a toujours eu, malgré sa vacuité, ce fascinant pouvoir de
fasciner les politiques, les religieux, les illuminés et les Occidentaux
aventuriers et les Etats gourmands. Le Sahara est donc de retour : ses
Lawrence, ses émirs, ses chefs de tribus, ses routes inconnus, ses opérations de
charmes, ses barbouzeries, ses caravanes, ses milices, ses hommes sombres, ses
cupidités et ses trahisons, ses morts et ses romans.
Le désert redevient
le Sahara. Bouteflika veut y faire le Malien. Mais avec de l'eau.