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A l'issue de la
séance inaugurale de la Semaine scientifique et culturelle de Tlemcen, «
Capitale de la culture islamique »,tant attendue, sans avoir pour autant drainé
la foule ce jour-là, j'ai eu le pressentiment d'un échec programmé, comme
chaque fois qu'un événement culturel est orchestré par une administration
jalouse de ses prérogatives et hermétique à l'esprit critique des hommes et des
femmes qui détiennent le savoir.
C'était là une conviction que jevoulais tester auprès d'un de mes amis, auquel je demandais ce qu'il pensait de cet événement fortement médiatisé, que d'aucuns présentaient comme un fait majeur, pour ne pas dire déterminant pour la restauration de l'image de cette Algérie à la recherche de ses marques et de ses repères. « Un évènement ne fait pas l'homme, m'a-t-il répondu. Par contre, l'homme est susceptible de faire l'évènement ! ». Cela veut dire que malgré tous les efforts déployés par les pouvoirs publics pour mettre à niveau la ville de Tlemcen à hauteur d'un rendez-vous d'une dimension arabo-islamique, cette rencontre ne fait malheureusement pas l'unanimité, même s'il est incontestable que de grands projets structurants ont été réalisés au prix d'une mobilisation sans pareille des autorités. Cela tient au fait qu'on a fait venir des personnalités d'Egypte, de Tunisie, de Malaisie et de bien d'autres pays, pour parler de l'histoire de cette capitale des Zianides, à un auditoire tlemcénien plus préoccupé par son quotidien que par la nature de la sédimentation de faits historiques ! Cela équivaut à demander à des équipes étrangères de football à se produire devant une galerie locale passive et non motivée, parce que non concernée par ce tournoi ! C'est là certainement une drôle de conception de ceux que doivent être la gouvernance et l'esprit de citoyenneté en tant que style d'action d'un projet, qui se devait d'être fédérateur des initiatives à l'échelle nationale et des volontés à l'échelon local. Cette attitude de mépris à l'égard d'une population et de son élite n'est pas un fait isolé du département en charge du management et de l'ingénierie de cette manifestation supposée être majeure ! Elle est la marque de fabrique de gouvernants se voulant être omnipotents, dans un système qui s'entête à croire que la population est sa chose et que, sans lui, elle ne saurait exister, sinon que dans l'anarchie, la misère et la déchéance humaine. Les évènements douloureux qui ont marqué la quasi-totalité des pays arabes et dont notre pays, à s'y m'éprendre, n'est pas exempt, commandent une mutation profonde d'un système jusque-là marqué par un excès d'autoritarisme, label d'une ère révolue, et par l'absence d'écoute de cette élite disposée à servir les intérêts de son pays, pour peu qu'elle soit considérée dans son statut de force génératrice d'idées de progrès et de locomotive d'une nation qui se doit d'ancrer sa dynamique de développement global et durable dans son siècle. C'est par rapport à cette nécessité qui détermine la survie de notre Etat-Nation que s'impose, de façon inéluctable, le changement qui a pour signification première la rupture avec l'attitude d'un système centralisateur bureaucratique dans la pure tradition jacobine, dont le mode de gouvernance est forcément inadapté à la diversité des diverses régions de notre Algérie, pays continent, qui a besoin de nouveaux modes et de nouvelles pratiques d'ingénierie de son territoire. C'est dans cette perspective de changement et de transition marquée par la civilité, par opposition au cheminement violent dont le système nous a habitué, que la décentralisation prend toute sa signification en tant qu'acte fondateur d'un Etat proche des intérêts de sa population, garant de la cohésion sociale et de l'égalité des chances à travers l'ensemble du territoire. Comment faire pour changer ? Que proposer à la place ? Par quelle étape faut-il passer ? Le diagnostic est fait. On peut rapporter tous les chiffres, aligner toutes les équations, fournir toutes les preuves, rien n'y fait. La réalité est plus dure : personne n'est satisfait, ni la population ni les responsables. Alors faut-il changer de peuple et jeter le peuple à la mer ? Faut il remplacer les dirigeants ou des fusibles ? Faut-il changer le système ? Ce sont les options qui ont été proposées récemment dans une Interview fantôme du « Monde diplomatique »! Des cas de figure dans un jeu d'échecs ? A l'heure de la déferlante qui secoue notre région. Non, il faut tout simplement remettre la pyramide à l'endroit pour casser le système centralisateur bureaucratique, jacobin. Il faut remettre la pyramide sur sa base ! Et revenir au développement local. Qu'est-ce que c'est le développement local ? C'est le développement qui fait appel à ses propres ressources pour se développer. Il n'a besoin ni de l'argent du pétrole, ni de celui de la corruption. C'est du travail de la terre, du produit des artisans, des ressources du terroir avec toutes les potentialités humaines, économiques et financières que le développement se fera. Un corollaire nécessaire et obligatoire : la citoyenneté. Il faut que la citoyenneté soit le pivot et le moteur du développement local. Ceci plus que tout. Le citoyen a besoin qu'on lui demande son avis. Il sait mieux que tous les responsables ce qui est bon pour lui et ce qui ne l'est pas. Or aujourd'hui, dans la réalité de tous les jours, qu'est-ce qui se passe ? Le citoyen vit en dehors des règles, que ce soit pour son eau, son électricité, ses impôts, etc. Certes, ce n'est pas une règle générale, mais un peu plus que l'acceptable ; et l'on ferme les yeux. Car on fait semblant de le payer ! Il fait semblant de travailler ! C'est un cercle vicieux. Comment arriver à ce développement local ? Quelles structures commencer à développer ? C'est du quartier ou du douar que part le développement local. Il y a la vie de tous les jours qui tourne autour des associations : les associations de quartiers ; les associations sportives ; les associations culturelles, musicales, de vieux, des handicapés, de femmes en détresse ; les zaouïas, les djama'a, de jeunes, etc. Une fois tous les trois ou cinq ans, ce quartier ou ce douar élit son représentant en fonction du nombre d'habitants. Les élus élisent un maire et un Conseil municipal et c'est ce conseil qui dirige avec des objectifs et des cahiers de charge pour 3 à 5 années avec un programme d'action. L'organisation des quartiers et des centres ruraux en associations permettra d'assurer une meilleure représentativité des intérêts des populations auprès des autorités locales et permettra d'éclairer les gestionnaires sur les préoccupations réelles des citoyens. Sur quels critères seront choisis les élus ? Il faut éliminer les partis politiques des élections locales Retrouver des critères plus objectifs pour les électeurs, une technicité ? Des valeurs locales ? Surtout la compétence, l'intégrité, la probité et le respect de la chose publique. Laisser les partis politiques pour une étape nationale. Le gouvernement régional à l'échelon de la wilaya ou d'une région aura un parlement local qui assurera la permanence de l'Etat, qui sera représenté par le wali. Le wali devrait avoir des prérogatives étendues afin qu'il puisse apporter les réponses idoines aux préoccupations citoyennes sur la base d'un contrat-programme qui le lie à sa tutelle et à l'Assemblée de wilaya, auxquelles il devra rendre compte. A ses côtés, le Gouverneur. Elu avec des pouvoirs étendus afin d'agir de concertation pour le développement local avec tous les responsables. Le développement national est la somme des développements locaux. A l'échelon central, seront surtout dominants les ministères de souveraineté nationale, la Défense, les Finances, les Affaires étrangères, la Justice. Une péréquation équilibrée entre le sommet de la hiérarchie qui conserve tout le pouvoir national et la base qui assure son développement local. C'est un éclatement programmé du pays qui est élaboré, diront les mauvaises langues. Ce n'est pas du régionalisme mais de la Régionalité*. La spécificité de chaque région se retrouvera dans les détails : Tlemcen n'est pas Sétif et Béjaïa n'est pas Annaba. Par exemple, dans le domaine de la Santé, l'organisation démarrera de la base : ce sera un dialogue entre le médecin généraliste (cabinet ou dispensaire) et le malade ; puis la polyclinique et le spécialiste ; puis l'hôpital général ou la clinique ; enfin le CHU ou l'EHS. Ainsi, la Région sanitaire sera centrée sur les besoins réels de la population avec la normalisation des moyens matériels , humains et surtout financiers, loin de toutes surenchères politiciennes. L'université sera le facteur d'intégration régional, en intégrant ce qui revient à la formation professionnelle et ce qui reste aux facultés. L'université sera pourvoyeuse de diplômés intégrés dans le monde du travail, en collaboration avec les chefs d' entreprises et en consacrant ses potentialités sur les pôles d excellence. Tout étudiant entrant en faculté sera suivi avec des indicateurs de progrès ou de retrait. Il ne pourra sortir qu'avec un diplôme de succès correspondant à un poste de travail : ainsi, on fera la péréquation Formation-Emploi. Fini les diplômés-chômeurs. Une certitude : la rémunération sera à la hauteur des efforts. Fini les meilleurs au privé et les médiocres à l'Etat. On peut le dire aussi pour l'Ecole, la Justice, la Formation professionnelle, l'Hydraulique, les T.I.C., etc. Comme on le voit, ce n'est ni une congolisation ni un Darfour, mais plutôt un retour à la source. La Révolution de 1954 a été déclenchée par un groupe qui s'est dissous dans les wilayas et ce sont les Nahias et Khaliyas qui ont assuré le succès de toutes les opérations : le schéma de 1954 n'est qu'un exemple. Mais quels sont les pays qui aujourd'hui ont pris le fédéralisme comme étalon de gouvernance ? Ce sont l'Espagne après cinquante ans de dictature franquiste, le Brésil de Lula et ses succès qui sont édifiants pour tous ceux qui ont visité le pays avant et après. L'Allemagne que les Länder ont hissée au niveau mondial ; un peu plus proches de nous sont les exemples donnés par la population kabyle qui utilise la Touisa, action communautaire pour tout travail collectif. Ceux du Touat, Gourara et de la vallée du Mzab. Nous avons visité récemment le Tafilalet, ensemble immobilier de 1.500 logements créé par un pharmacien ingénieux, le Dr Nouh. L'organisation de la vie quotidienne y est réglementée par une charte qui définit les droits et devoirs des résidents du Ksar et à laquelle ont adhéré tous les citoyens bénéficiaires d'un logement de 200 mètres carrés avec un prix de revient de 7.000 dinars le mètre carré, avec des matériaux adaptés au climat et à la région et selon les coutumes ancestrales de ces populations. Ils représentent à nos yeux les exemples réussis du développement local avec une citoyenneté qui n'a rien à envier aux populations européennes. Nous invitons tous ceux qui sont intéressés à aller visiter Benizgane et Ghardaïa pour des séjours scientifiques. Dans ces périodes agitées, on ne donne le choix qu'aux solutions radicales et extrêmes. Choisir entre la peste ou le choléra ! Notre contribution n'est pas la solution miracle, mais elle permet d'éviter les souffrances à nos populations. Comment faire pour que les décideurs prennent conscience que c'est la seule voie qui leur permettra d'éviter le clash, les lendemains douloureux des révoltes sanglantes et l'anarchie qui sont, hélas, au bout de tout mouvement social qui ne résout pas ses contradictions et va dans la fuite en avant. De tout côté, les clignotants s'allument. Car nous sommes dans un système de déni de justice : la piste serait trop longue et nous ne ferons que rappeler la triste vérité quotidienne. Toute la presse nationale en parle et la rapporte journellement. Des universités bondées, véritables garderies d'étudiants pour futurs diplômés chômeurs. Des hôpitaux encombrés de matériel vétuste et des urgences transformées en salles de consultation. Des écoles publiques et professionnelles sans encadrement de valeur, rendant nos enfants plus idiots que jamais. Des cadres qui fuient pour s'installer à l'étranger et des administrations remplissent des tonnes de papiers inutiles, des harraga sur les côtes européennes. Des appareils judiciaires sans justice équitable, avec au bout des citoyens qui s'immolent, des sans-emploi qui bloquent des usines, des ports, etc. Et ce n'est pas le saupoudrage réalisé quotidiennement qui est la solution, car c'est une fuite en avant. Sommes-nous condamnés ? Certainement pas ! Mais que faire demain à Annaba où se déroulera le match de football Maroc-Algérie si nous sommes battus avec un très grand écart ? Est-ce déjà une répétition de ce qui s'est passé avec l'Egypte ? Qui pourrait arrêter cette jeunesse humiliée qui descendra dans les rues ? Serait-elle l'étincelle qui enflammera les tonneaux de dynamite de l'Algérie prête à éclater ? Nous ne le souhaitons pas. Nous faisons confiance en la sagesse légendaire de nos jeunes et de notre population qui a su résister à tous les chants de sirène depuis la révolution des Jasmins et qui prédit bientôt le tour de l'Algérie. Non, ni demain ni après-demain, le courage salvateur fera prendre les décisions qui s'imposent car il n'y en a pas d'autres. Mais si nous nous taisons, ils nous disqualifieront et ne nous feront plus CONFIANCE. Et plus grave, nous ne pourrons plus PARLER car le moment sera passé et la Sagesse remise aux placards car les FEUX parleront. Le deuxième danger très proche est situé plus au sud. On nous attend sur les frontières du Sud, en plein pays touareg. (Economiste : Intelligence : Unit /EIU : Algérie Horizon 2015 : Tin-Tank anglais de cette semaine). Les ennemis de l'Algérie feront tout pour allumer le brasier du Sahel. Quel avenir et quelle riposte pouvons-nous leur donner ? Sur quels alliés ou alliances pourrons-nous compter sans empiéter sur une occupation déguisée ? Les technologies modernes ont des limites dans des superficies sans frontières décelables. Ce ne sera ni le Maghreb des peuples ni les accords d'Alger qui nous sauveront, mais la solution équitable de rendre justice et des valeurs aux citoyens algériens dans toutes leurs dimensions qui pourront éviter les dérapages à court et à long terme. Il y a suffisamment de gens de valeur honnêtes et qui sont marginalisés. Les jeunes représentent un grand nombre de potentialités. Laissons-les faire comme leurs aînés des années 62. Notre président n'était- il pas à l'âge de 25 ans en 1962 le plus jeune ministre dans le monde ? Qui a dit le contraire ? Nos universités regorgent de cadres : faisons de l'université le facteur d'intégration nationale et surtout un facteur du développement local. Réduisons le nombre d'étudiants à l'université pour développer les formations professionnelles, la vraie formation avec des enseignants de qualité qui nous formeront des bons menuisiers, des bons plombiers, des bons artisans pour créer secondairement des PMI/PME. Des technopoles avec des centres de recherche régionaux regrouperont les meilleurs doctorants qui, avec des équipes internationales, nous intégreront dans les échelons du savoir mondial. Nos étudiants harraga se posent des questions vitales restées sans réponse : « Pourquoi faut-il quitter l'Algérie et aller dans une université étrangère, abandonner nos principes sans être reconnus valables et de qualité ? ». Mais tout simplement parce qu'aucun responsable n'a su déceler dans les yeux brillants de nos jeunes cadres, leur potentialités et leur avenir. Ils ne voyaient que des « emmerdeurs qui leur posaient trop de problèmes par leurs questionnements et leur présence ». Bon débarras qu'ils soient partis !! C'est toute la problématique. Un médiocre ne veut être entouré que par des médiocres, des gens serviles, brosseurs. Imaginez-le au pouvoir et vous aurez toute l'échelle de valeurs !! Ce n'est que dans l'option qui donne la primauté au travail et à la compétence que le discours politique aura un sens et qu'il sera alors possible d'engager autrement l'avenir, que dans l'allégeance et à la soumission à des cercles occultes du pouvoir, sans grande certitude, que cela soit dans l'intérêt de la Nation. Avec sa ressource humaine locale et celle d'outre-mer, l'Algérie a les moyens de ses ambitions de modernité, pour peu que l'on puisse sortir des effets d'annonce et des shows médiatiques et événementiels, sans lendemain, pour s'inscrire durablement dans cette volonté nationale du compter-sur-soi, sans autre arrière-pensée que celle de la quête de la dignité restaurée. Avec près de 400.000 cadres dans différents secteurs économiques européens, selon le «Reage», Réseau des Algériens diplômés des grandes universités françaises, auxquels s'ajoutent ceux qui la servent au quotidien, l'Algérie n'est certainement pas démunie d'atouts. L'assistance de cette diaspora, qui atteindra près d'un million de cadres en 2020, dont bon nombre seront comptés parmi les décideurs au sein des grandes institutions européennes, lui permettra de relever le défi du millénaire. La mise en réseau de cette diaspora, avec la ressource locale, est certainement un acte bien inspiré de bonne gouvernance et un geste salutaire pour la réhabilitation de l'esprit de Novembre, dans sa continuité scientifique et technologique. L'Algérie pourra ainsi, à l'instar de la Chine de la Corée du Sud, de l'Inde et du Brésil, compter parmi les nations émergentes, non pas par le verbe du discours pompeux et vaniteux, mais par sa production scientifique, technologique et intellectuelle, loin du brouhaha de ceux qui tentent de la confiner éternellement dans le statut peu valorisant de « vache laitière», qui ne sera plus capable de nourrir les générations futures. Il sera alors possible de rêver à des Silicone Valley, à des universités et grandes écoles performantes et à bien d'autres réalisations aussi prestigieuses que nécessaires au bien-être de nos concitoyens et à l'émancipation de notre société, pour peu qu'on soit disposé, comme on l'était durant les années 70, à inscrire le processus de développement économique et social dans la coopération, autrement dit dans la normalité qui fait les relations du monde d'hier et plus d'aujourd'hui. *Professeur Mokhtar BENKALFAT CHU Tlemcen Université de Tlemcen |
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