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Ancien président de la section du tribunal de Sidi Bel Abbès, procureur
de la République adjoint, juge d'instruction à El-Harrach puis conseiller à la
Cour d'Alger, le président du Syndicat national des magistrats (SNM), Djamel
Aïdouni a comptabilisé une longue expérience au sein de l'appareil judicaire.
A la tête du syndicat depuis 2004, Djamel Aïdouni revient dans cet entretien sur la réforme de la justice, l'indépendance de cette dernière et les obstacles qui freinent encore l'instauration d'un véritable Etat de droit en Algérie. Le Quotidien d'Oran: La levée de l'état d'urgence est devenue une réalité. Concrètement, qu'est-ce qui va changer ? Djamel Aïdouni : L'état d'urgence a été décrété dans les années 1990 pour faire face au terrorisme. Est-ce que le terrorisme est définitivement éradiqué dans notre pays ? Nous disons non ! Pour cela, il faut absolument d'autres procédures pour accompagner la levée de l'état d'urgence et continuer la lutte contre le terrorisme. Sans cela, les éléments des services de sécurité ne pourront pas jouer pleinement leur rôle dans cette lutte. Ceci dit, la levée de l'état d'urgence sera une bonne chose pour le citoyen algérien, qui pourra de nouveau se regrouper et manifester, même si durant la période de l'état d'urgence, les gens n'étaient pas empêchés d'organiser des manifestations. Q.O.: La réforme de la justice piétine, estiment certains observateurs. Le code pénal, à titre d'exemple, est encore plus compliqué alors qu'il devait être simplifié après sa réforme, pensent des avocats et des juristes. Qu'en pensez-vous ? Dj.A.: Personnellement, je pense que le secteur de la justice a beaucoup changé par rapport au passé. La justice dispose aujourd'hui de plus de moyens qui sont mis à la disposition des magistrats et des auxiliaires. Les moyens d'accueil sont également mis à la disposition des citoyens. Maintenant, il est clair que tout n'est pas parfait dans cette réforme. Il reste encore beaucoup de choses à faire et cela viendra avec le temps. On ne peut pas régler tous les problèmes du secteur de la justice depuis l'indépendance dans un délai aussi court. Ceci étant et grâce à cette réforme, il doit y avoir un changement de mentalité des magistrats, des auxiliaires de justice, etc. La réforme ne concerne pas seulement la législation. Cette dernière n'est pas le Coran, on peut la réformer à chaque fois que cela est nécessaire pour qu'elle puisse s'adapter. Il est évident, bien sûr, que cela reste du ressort des spécialistes et des magistrats pour faire des critiques positives en donnant une vision au législateur pour établir ces lois. Concernant le code pénal, c'est vrai qu'il y a eu plusieurs amendements et cela concerne plusieurs chapitres. A titre d'exemple, la création de postes spécialisés a donné un vrai coup de pouce dans la lutte contre la corruption, le blanchiment d'argent et le terrorisme, mais aussi le règlement de dossiers complexes. Ce qui est important aussi à mon sens et qui intéresse la défense et les citoyens, c'est le respect des droits humains des prévenus, des victimes et de la défense. Les magistrats doivent respecter toutes les procédures et les lois doivent être respectées. Q.O.: On remarque souvent que le juge, lors des audiences, a devant lui des piles de dossiers à traiter. Cela renseigne sur la masse de travail dont il doit s'acquitter tous les jours. Malgré cela, les justiciables se plaignent toujours des lenteurs de la justice. Comment vous expliquez cela ? Dj.A. : Oui, il existe des contentieux au niveau des tribunaux et des cours des grandes villes telles qu'Alger, Oran, Annaba, Constantine, Sétif, etc. Les citoyens ont appris à s'adresser à la justice, ce qui est un bon signe, en sachant que dans le passé les gens réglaient leurs problèmes eux-mêmes. Ceci étant, il reste que toutes ces affaires et ces problèmes tombent sur les épaules des magistrats. Les tribunaux sont pleins de dossiers et le magistrat doit donner l'importance qu'il faut à chaque dossier et cela prend du temps. La solution, c'est soit augmenter le nombre de magistrats, soit limiter le nombre de dossiers à traiter dans une audience. Mais est-ce une solution si le magistrat traite 40 dossiers et laisse dans l'armoire une soixantaine d'autres ? Je vous dis franchement que les magistrats font énormément d'efforts mais cela reste en fonction des moyens dont ils disposent. Je dis que pour la qualité des jugements et des arrêts, le magistrat ne doit pas être gêné par des dossiers contentieux pour qu'il puisse consacrer son temps à la recherche et à l'étude pour donner des décisions convenables. Q.O.: A ce sujet justement, en tant que premier responsable du SNM, comment vous évaluez l'indépendance de la justice dans notre pays ? Dj.A.: On a lutté depuis la création du syndicat en 1990 pour l'indépendance de la justice et j'aimerais vous dire que le syndicat a mené cette lutte tout seul. Maintenant, il est clair que l'indépendance de la justice passe par l'indépendance du juge. Si le juge est courageux et ses décisions courageuses, alors on peut arriver à l'indépendance de la justice. Tout le monde parle de l'Etat de droit mais oublie souvent que cet Etat de droit commence par la séparation des pouvoirs. Certains évoquent souvent l'Etat de droit dans les pays occidentaux. Mais ce qu'il faut savoir, c'est que la séparation des pouvoirs est une condition fondamentale pour instaurer cet Etat de droit. La justice doit être séparée des pouvoirs législatif et exécutif. Chez nous, il reste encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine. Mais je dis qu'il faut arriver à un moment où le juge puisse prendre des décisions courageuses et fermes. Cette indépendance doit passer aussi par la formation du juge, mais aussi il faut qu'il soit à l'aise sur le plan matériel. Le juge doit être bien rémunéré pour l'éloigner de toute tentation. Ce sont là quelques conditions qui peuvent aider à l'instauration de l'indépendance de la justice avec l'aide des citoyens, des avocats et toute la société. Q.O.: Donc, vous pensez que pour l'heure il n'y a pas encore de séparation des pouvoirs ? Dj.A.: Pas tellement. Mais on doit tout de même lutter pour avoir une réelle indépendance du juge. Je répète que le juge doit toujours avoir le courage de clamer la justice. Le citoyen réclame la justice sociale. Cette dernière est du ressort de l'exécutif mais la justice émane de la magistrature. Q.O.: La Cour suprême et le Conseil d'Etat croulent sous les dossiers de recours, alors que le président de la République a toujours appelé à ce que les procédures soient allégées pour ne pas pénaliser les citoyens et les justiciables ! Comment vous expliquez cela ? Dj.A.: Il y a des propositions et il y a des lois qui ont été promulguées et qui vont être promulguées pour alléger les procédures. C'est vrai que les dossiers frappés de pourvoi en cassation vont et viennent entre la Cour d'appel et la Cour suprême. Parfois, cela prend des années et des années pour arriver à un jugement définitif. Les nouvelles procédures vont permettre désormais à la Cour suprême de trancher directement dans le fond. Aujourd'hui, la Cour suprême ne voit que la forme des dossiers et si la loi est appliquée ou non. Après l'entrée en vigueur des nouvelles procédures que le ministère de la Justice envisage d'introduire, la Cour suprême pourra trancher même dans le fond du dossier. Il faut savoir que certaines affaires ne nécessitent même pas de passer par la Cour suprême. Ce sont des affaires courantes liées notamment aux infractions à la circulation et on estime qu'elles ne devraient pas arriver jusqu'à la Cour suprême. Q.O.: Les dossiers de corruption, une fois rendus publics, répondent à des intérêts politiques, estiment des observateurs. Quelle est la marge de manœuvre des magistrats dans ce cas de figure ? Dj.A.: Je ne peux pas vous dire quelle est cette marge de manœuvre. Chaque magistrat a sa conscience professionnelle et la loi devant lui. Le magistrat peut condamner un voleur à 2 années de prison et un autre magistrat, pour les mêmes faits et circonstances, peut condamner une personne à 5 ans à Oran ou à Constantine. Cela dépend de l'appréciation de chaque magistrat. J'aimerais vous dire que le magistrat n'a rien à voir avec la politique et n'a rien à voir avec les politiciens. Il doit appliquer la loi et avoir le courage d'appliquer la loi. Il ne faut pas qu'il ait peur ou qu'il entre dans les calculs des politiciens. Même le chef de l'Etat a ordonné en 2005 aux magistrats d'appliquer la loi et de n'écouter personne d'autre. Q.O.: Le magistrat est aussi un être humain. Est-ce que vous pensez qu'il est assez formé et surtout suffisamment payé pour assumer pleinement ses fonctions loin de toute tentation ? Dj.A.: Concernant la formation, le magistrat n'a jamais autant bénéficié de formation que ces dernières années. Pour ce qui est des salaires, nous avons obtenu une augmentation en 2008 et cela avait satisfait les magistrats. Mais je dis qu'on doit faire l'équilibre entre les trois pouvoirs, le judiciaire, le législatif et l'exécutif. La représentation du pouvoir judicaire ce n'est pas le ministère de la Justice, mais le premier président de la Cour suprême ou le Conseil d'Etat. Le premier président de la Cour suprême est celui qui représente le pouvoir judicaire en Algérie. On doit donner à cette juridiction la même importance que les autres pouvoirs. Le pouvoir judicaire doit être indépendant financièrement, ce qui est le cas actuellement, mais je dis aussi que les avantages dont disposent les pouvoirs exécutif et législatif sont absents du pouvoir judicaire. On doit donner ces avantages au pouvoir judicaire pour qu'on puisse dire un jour que le pouvoir judicaire est sur le même pied d'égalité que les autres pouvoirs. Il faut que le premier président de la Cour de cassation et le président du Conseil d'Etat soient au même niveau que les responsables des deux autres pouvoirs, notamment en matière d'avantages, de protocole, etc. Dans les décrets, il est stipulé que le cadre supérieur c'est le magistrat. Mais nous ne savons pas si nous sommes concernés par ce décret. Q.O. : Le SNM s'est réuni lundi dernier avec le ministre de la Justice. Peut-on connaître les résultats de la réunion ? Dj.A.: Effectivement, le 21 février 2011, s'est tenue au siège du ministère de la Justice, à la demande du Syndicat national des magistrats, une réunion avec le ministre de la Justice, garde des Sceaux, afin de soumettre des problèmes d'ordre professionnel, particulièrement les dépassements de l'inspecteur général et sa méthode de procéder avec laquelle il exécute ses missions en s'éloignant du cadre légal qui s'impose. Nous saluons avec satisfaction la disponibilité de monsieur le ministre qui s'est engagé à prendre toutes les mesures adéquates pour protéger l'honneur et préserver la dignité du magistrat. A cet effet, comme stipulé dans un communiqué, il a été décidé l'institution d'une commission pour approfondir l'étude des revendications de la corporation. Nous rappelons que le syndicat des magistrats est un groupement socioprofessionnel qui a pour mission première d'assurer et de défendre l'indépendance du pouvoir judicaire. De ce fait, il dénonce la volonté de certains, aux motifs politiciens inavoués, de dénaturer la contestation légitime et purement syndicale des magistrats. Le SNM apprécie par ailleurs à sa juste valeur les efforts consentis par les magistrats algériens pour assurer la pérennité de l'Etat de droit et les appelle à rendre justice en toute conscience et courage. |
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