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«La démocratie ne
peut être ni exportée (par l'Europe) ni imposée (par les USA)
Elle ne peut être que le produit de la conquête des peuples du Sud à travers les luttes pour le progrès social, comme cela fut et est la cas en Europe ». Samir Amin, économiste égyptien, altermondialiste. Les dictatures sont une maladie endémique. Elles ont laissé griffures, blessures et entailles dans l'âme des peuples opprimés. Les oligarchies arabes sont dans un puits historique pour reprendre l'expression de Amin Malouf, elles ont édifié des barrières de non-sens, construit des règnes despotiques, réinventé des mythes dynastiques et dithyrambiques à leur égard et malheureusement oublié que le changement est l'unique sel de l'histoire autant dire son principal moteur. Les régimes arabes autistes à outrance et démesurément gérontocratiques, déconnectés des réalités sociales et baignés dans les mensonges triomphalistes ne veulent guère entendre parler de la symphonie de la démocratie jusqu'au point d'ériger en constante figée, immuable dans le temps et statique dans l'espace, le cliché largement répandu en occident faisant des nations arabes des entités sclérosées, fragmentées tels des îlots enclavés qui portent les graines de despotisme et de la soumission dans leurs gènes. L'exception arabe Il est certain que l'idée fort saugrenue de l'exception arabo-musulmane en matière de despotisme est totalement erronée car elle est historiquement infondée. En plus, elle est battue en brèche par les récents bouleversements qu'a connus la Tunisie, l'Égypte et l'Algérie. De par le passé, ces stéréotypes surannés ont accouché de nombre de confusions langagières, de dérives sémantiques, et d'amalgames conceptuels dans l'imaginaire occidental eurocentriste, centrifuge et ethnocentriste. L'islam est confondu avec l'islamisme, la dictature est assimilée au pouvoir théocratique, les oligarchies sont comparées aux règnes dynastiques(1). La civilisation occidentale conservatrice et matérialiste, motrice et technique, fortement imprégnée de la culture des lumières et dopée d'un legs colonial inestimable se dresse en modèle incontournable face à un monde arabo-musulman, de culture foncièrement orientale, spéculative et contemplative, spiritualiste et émancipatrice. Déchiqueté et déstructuré par les affres d'une colonisation sauvage et débridée. Ces nuances notionnelles vont nous permettre de voir de plus près la perception étriquée qu'avait forgée l'occident vis-à-vis de ce qu'il considère comme étant le syndrome arabo-musulman du despotisme. Ce glissement progressif du langage avait, d'une manière ou d'une autre, catégorisé le monde arabo-musulman sous le prisme dépréciatif et l'étiquette réductrice de nations nées d'une inertie historique, congénitalement incapables à se démocratiser ou à la longue, à se libérer du joug de l'oppression et de la camisole de la soumission. Si l'exception française est considérée dans l'imaginaire occidental comme synonyme de droits de la personne humaine et de libertés, l'exception arabe est au contraire perçue comme la source de despotisme et la matrice des fanatismes. La leçon égyptienne Le passé de l'Égypte est fructifère. Les expéditions napoléoniennes (1798-1801) et la vague de modernisation qu'avait entamée Mohamed Ali (1769-1849) ont donné du lustre à sa civilisation pharaonique déjà plus que millénaire. L'histoire contemporaine garde de l'Égypte une image de grande nation. Elle fut le chantre du panarabisme, la veine jugulaire de la renaissance arabe. Cependant, elle fut également le berceau du Baasisme, idéologie rétrograde à la base irako-syrienne qui avait pour but la résurrection de la grandeur et du gigantisme de la culture arabe et l'exclusion des minorités non arabes du jeu politique. En fait, la main de fer du régime de Nasser (1918-1970) a réfréné toutes les velléités de structuration de la mouvance islamiste des frères musulmans créée auparavant par Hassan Al -Banna en 1928. La société égyptienne était régentée, l'opposition bâillonnée, les purges multipliées et le pays engagé dans des guerres frontales avec Israël notamment en 1967. Malgré le charisme de Nasser, l'armée égyptienne détient la réalité du pouvoir et agit en sous main dans le sérail. En réalité elle est le pivot central de tout un appareil d'État verrouillé. A cet effet, Nasser en fin stratège a voulu faire main basse sur l'armée mais il semble qu'il ait été mis hors du jeu, Béchir Ben Yahmed en fait le diagnostic suivant « depuis près de soixante ans qu'elle règne sur lui en maître absolu et sans avoir jamais essayé de le conduire à la démocratie, l'armée égyptienne a balloté le pays à droite et à gauche littéralement»(2). En effet, le régime autocratique et totalitaire instauré par les officiers libres dès 1952 était particulièrement renforcé par l'escalade d'affrontement par pays du tiers monde interposés, entre les deux blocs Est-Ouest durant la guerre froide. Le règne éphémère de Mohamed Naguib (1953-1954) ne fut qu'un court intermède pour Nasser pour se débarrasser de la tutelle des frères musulmans et s'ancrer dans le pouvoir. Le rôle de leader du monde arabe qu'a joué l'Égypte a conforté le prestige du Rais. Son soutien à la cause algérienne et sa lutte pour l'indépendance de la Palestine avaient effacé le fantôme de sa défaite en 1967 et ravalé l'amertume de la répression de l'opposition aux yeux des masses égyptiennes et arabes. En quelque sorte, le malaise interne de l'Égypte était caché par l'aura externe du Nasser. La mort de celui-ci en 1970 a desserré l'étau autour des opposants et fait fléchir la position égyptienne envers le conflit arabo-israélien. Son successeur Anoaur Al-Sadate a renoncé au panarabisme nassérien, signé l'accord de Camp David en 1978 et livré l'Égypte en pâture au protectorat israélo-américain. Isolée politiquement du monde arabe, l'Égypte avait dû mettre son rôle de leader panarabiste au musée de l'histoire. Après l'assassinat du président Sadate en 1981, le régime égyptien profondément désarçonné avait laissé la porte ouverte au chaos total et ce fut à ce moment-là que les islamistes avaient refait surface et l'état d'exception décrétée. Il semble clairement que le panarabisme de Nasser ait dégénéré en contre-offensive islamiste très virulente, «on ne saurait cependant oublier que dès le début des années soixante-dix, l'utopie islamiste s'était épanouie non seulement à la suite de la faillite du nationalisme et des désastres économiques, mais également sur la base de la contestation des pratiques répressives et autoritaires des gouvernements» (3). Ce fut également dans ce contexte très difficile qu'avait eu lieu l'investiture de Moubarak. Une fois la normalisation avec Israël garantie, le nouveau président avait bénéficié d'un soutien indéfectible de la part des puissances occidentales. Durant ses 29 ans de règne sans partage, Moubarak a désacralisé définitivement le mythe nassérien, opposé un niet fatal aux visées libératrices de l'opposition, à titre d'exemple, le mouvement Kefaya était toujours sous le collimateur du pouvoir. Le (P.N.D) n'avait fait que dans sa cooptation. L'Égypte, une puissance démographique de 85 millions dont plus de 15 millions installés au Caire et dont 10% sont des chrétiens coptes a longtemps souffert des politiques néolibérales du régime. En dépit des richesses du pays entre autres les revenus du tourisme, les ressources minières, les hydrocarbures et l'or, la précarisation aurait touché la plupart des foyers et le niveau de vie est très bas. La contagion vertueuse et l'effet médiatisé de la révolution du jasmin n'ont fait qu'accélérer la cadence de la révolution du Nil. Les soubresauts du géant pharaonique ont été favorisés par divers facteurs que l'on pourrait résumer dans quatre points essentiels: 1-la nécessité impérieuse de l'alternance au pouvoir et l'incidence de la révolution du jasmin sur les consciences 2-L'essoufflement social de la population égyptienne des suites des politiques néolibérales sauvages et sa volonté de renouveau démocratique. 3-L'état d'exception qui a duré plus de trente ans a exaspéré les masses populaires. 4-l'interconnectivité coordonnée du tissu associatif et la cyber-opposition phénoménale à travers les réseaux sociaux a joué un rôle de premier ordre dans la mobilisation citoyenne. Dans cet ordre d'idées, il est à signaler que plus de 9000 personnes ont répondu favorable à l'appel du 25 janvier 2011 à la place de Tahrir pour chasser Moubarak du trône. L'espoir algérien L'Algérie et l'Égypte présentent des similitudes frappantes. Les deux pays ont vécu des périodes de grande tension politique. Néanmoins, le diagnostic s'avère être quasiment différent. Au plus fort de la répression de la mouvance islamiste dans les années 90 et l'interruption du processus électorale, un fossé abyssal s'est creusé entre les élites et la population. Le mépris des masses est le point de mire de la logique des gouvernants. En ce sens, les citoyens algériens sont malmenés dans leur vie quotidienne et touchés dans leur amour-propre « l'Algérie est devenue une sorte de prison-hôpital à grande échelle » (4) dirait l'écrivain nobélisable Mohamed Dib. L'acharnement des politiques néolibérales et la paupérisation de pans entiers de la société ont fracassé le tissu social et fomenté des césures et scissions dans les formes de solidarités anciennes, la mentalité individualiste véhiculée par l'économie de bazar et les détritus néolibéraux l'emporte de loin sur l'intérêt collectif. D'aucuns voient dans cette régression dans l'échelle de valeurs une détérioration dans la relation État-société, les dysfonctionnements criants dans la gestion des crises et le maintien de statuquo favorable à une situation voulue par les gouvernants « le pouvoir dirait Mouloud Hamrouche, a éliminé toute régulation sociale. Et les gouvernants sont réfractaires à tout fonctionnement institutionnel de gouvernement, à toute réforme institutionnelle»(5). Il paraît clairement qu'au bout d'un long processus d'effritement catastrophique des institutions étatiques, les citoyens aient perdu espoir dans la politique, le politique et les politiques. Cet état de faits n'aura de cesse d'empirer de plus en plus faute d'une réactivation sérieuse de l'élan citoyen en faveur du militantisme, le sacrifice de soi et l'amour de la patrie. En vérité, la société nécessite une thérapie démocratique d'envergure, des soins intensifs de citoyenneté car elle est cruellement en manque de structuration associative de base, le romancier Rachid Boudjedra écrivait déjà en 1992 ce qui suit « la société algérienne a besoin d'une sorte de psychanalyse sociale qui aille au bout d'elle-même, vérifie ses paramètres, corrige ses hypocrisies, développe sa rationalité, en un mot, émerge du chaos mental pour mieux maîtriser le monde de soi et le monde de l'autre. Il n'y a pas mille chemins pour cela mais un seul: dire et se dire la vérité, en finir avec les faux semblants, les faux fuyants, les mutismes névrotiques»(6) . A dire vrai, ce constat mérite une attention particulière car bien que les masses soient assoiffées d'ouverture et de démocratie, la canalisation défectueuse et le chaos structuré dans lesquels baigne la société civile les en dissuadent. Il n'est point exagéré de dire aujourd'hui que le pouvoir est grabataire, l'assemblée nationale un dindon de la farce, les associations une excroissance ou un parasite, les partis des structures croupions sans poids dans la prise de décision. Un tel délabrement moral des institutions ne serait que le sergent recruteur du défaitisme, de banditisme et de mercantilisme véreux. En plus la fracture intergénérationnelle entre l'élite gouvernante et les masses gouvernées a été aggravée par le manque de relève politique et la volonté du système politique de se reproduire dans des transitions dynastique et claniste archaïsantes. La logique hégémonique a pris le dessus sur le travail de mise en perspective des compétences nationales marginalisées. Dans cet ordre d'idées, un débat national de fond doit tenir lieu afin de desserrer le goulot d'étranglement autour des citoyens. Certes, le changement est fonction de conscience et de mentalité mais il est également question de socialisation et de participation politique efficace. L'espoir algérien est enraciné en l'âme de chacun de ses enfants, il va falloir seulement le ressusciter dans les esprits et le mettre en pratique dans la réalité. La nécessité d'un aggiornamento politico-social Ce qui est à retenir de cette quatrième vague de démocratisation qui a déferlé sur le monde arabe est l'aspect universel des révolutions. Les jacqueries et soulèvements ne sont pas uniquement l'apanage de l'Europe vieillissante, c'est aussi le destin des peuples opprimés du Sud. Une démocratie ne se construit que grâce aux efforts que pourraient consentir les populations pour s'arracher leur droit à l'auto-détermination. La démocratie s'enseigne et s'exerce par la socialisation et la participation politique « il n'y a pas d'un côté une Europe de valeurs et du progrès et de l'autre une Afrique des ténèbres et des malheurs [...] les peuples que l'on considère sans histoire, non rentables, non solvables, dépourvus de valeurs.. »(7) Le monde arabo-musulman doit se mettre à jour, recycler ses tares, redynamiser ses points morts, et consacrer la démocratie comme valeur refuge face aux vents de l'incertitude, la transition démocratique est le seul palladium de nature à l'enraciner dans la modernité et lui éviter de passer par les fourches caudines d'une réforme venue de l'extérieur, le défi est énorme et les peuples sont prêts à assumer leurs destin. Il ne manque que la volonté politique des élites. * Universitaire. Notes: 1- Roger Caratini, le Génie de l'Islamisme, Éditions Michel Lafon, 1992 2-Béchir Ben yahmed, apparences et réalités, Jeune Afrique,n° 2613 du 06 au 12 février 2011. 3-Abderrahim Lachichi, pour comprendre l'islamisme politique, l'Harmattan,2001,p 152. 4-Mohamed Dib, propos recuellis par Mohamed Zaoui in Algérie, des voix dans la tourmente, le temps des cerises, 1998. 5-Mouloud Hamrouche, El watan 01 février 2011 6-Rachid Boudjedra, le Fis de la haine, pamphlet, Éditions Denoel 1992 7-Aminata Traoré, l'Afrique humiliée, Editions Fayard,2008, p 33 et 175 |
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