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? Si l'on ne
prend pas garde aux superlatifs ronflants. Dans son 20 H en direct de Tunis, David
Pujadas ouvre son journal sur la communauté française, bien entendu.
Ils (les Français) seraient au nombre de 20.000 officiellement mais de 30.000 réellement. A quoi serait due cette distorsion arithmétique ? Le deal franco-tunisien est insondable. Rassuré sur le sort de ses compatriotes, notamment, celui de cette amille d'enseignants qui se sent en sécurité et qui a droit à ses cinq baguettes de pain par jour, comme tous les Tunisiens, il passe à « la Révolution du jasmin ». Elle aurait fait plus de 75 morts dit-on. Ce qui n'a rien de comparable avec celle des œillets. La question centrale est en fait, la crainte du retour des islamistes aux affaires politiques. Mais comme toute population, disparate et stratifiée, la tunisienne ne déroge pas à la règle. Pour le jeune désœuvré, la question est réglée d'avance : « Celui qui veut prier qu'il le fasse et celui qui veut prendre un apéro, il est libre de le faire? », Répond-il candidement. Là, le journaliste avertit qu'il va nous faire écouter, l'avis de musulmans modérés. Et là c'est la douche froide. Pour l'un des interviewés entre deux âges : « Le retour des islamistes est presque souhaité?ils peuvent participer à la moralisation de la société? ». Pour l'autre : « les islamistes ont autant souffert que nous de Benali qui les a exilés ». A partir de son exil, Rached Ghanouchi leader de la mouvance islamiste, rassure les partenaires de son pays que celle-ci, ne compte pas présenter de candidat à la prochaine élection présidentielle. Il donne ainsi, un certain répit à ses détracteurs. Le jeune ingénieur, lui, qui ne semble n'avoir souffert d'aucune restriction matérielle du fait de son emploi dans l'automobile, dit aspirer à vivre en démocratie. Et que si la nouvelle équipe était tentée par une quelconque dérive : « Nous sortirons encore dans la rue !». Sait-on au moins mis d'accord sur un «smig» démocratique ? Ce qui est sûr, c'est que la chose démocratique a permis à tous les extrémismes de par le monde, du wahhabisme pakistanais à l'évangélisme yankee en passant par les lepénistes, de s'inscrire, sans état d'âme, dans les processus électoraux de leurs pays respectifs ? Et quand les urnes ouvrent les boîtes de Pandore, on pourra toujours s'égosiller sur le bourrage de celles-ci. La règle du jeu est ainsi faite ! Le must des interventions a été, sans doute, celui de cette grande dame, l'avocate qui a consacré sa vie durant à la défense des droits des femmes, surprise et même étonnée par ce qu'a pu faire l'ex-président Benali : «Que j'ai toujours pris pour un bon père de famille ! D'ailleurs, je n'aurais jamais pensé qu'il s'en irait si vite». Personne, apparemment, ne croyait au coup de dés de l'histoire. Ceci rappelle, étrangement, les lendemains d'octobre 1988 et décembre 1991 moments de flottement qu'a eu à vivre notre pays. Des acteurs jusque-là calfeutrés dans leur confort, font soudainement irruption dans le décor pour claironner qu'ils étaient à l'avant-garde du combat. La maman éplorée de Bouazizi demandera la reconnaissance du martyre pour son fils et l'immortalisation de son nom en lieu et place du 7 novembre commémorant le coup d'Etat médical par lequel fut destitué Bourguiba. Lucide, elle mesure le geste désespéré de son fils qui aura, sans doute, rendu sa dignité à tout un peuple. Pendant ce temps que se passe-t-il chez nous ? Certains appellent de tous leurs vœux, une réaction en chaîne sans préparation et sans aucune militance. On hume même l'odeur de jasmin. On se surprend soudain à admirer le voisin tunisien que nous tenions pour « un pleutre » personnage etc. etc. N'a-t-on pas fait avorter toutes les velléités révolutionnaires que la jeunesse a chèrement payées ? Les tribuns du vendredi n'ont-ils pas spolié la victoire de « Bab el Oued Chouhada ? ». L'ouverture démocratique qui a permis à plus de 60 partis politiques de s'engouffrer dans les abysses politiques sans vocation, n'a-t-elle pas été sans effet sur le devenir de ces jeunes d'octobre rendus d'impuissants vétérans? L'actuelle génération n'étant pas mieux lotie, mais sait, néanmoins, que les nouvelles résidences huppées ne se construiront plus sur les cendres des « Trois horloges ». On tente d'accrocher son wagon à la fracassante locomotive, mais les jeunes, refusent tout protectorat. Ils continuent à s'exprimer à leur manière, extrêmement, dramatique parfois. Alors, mettons nos carrières et celles de nos enfants en jeu, risquons la prison et l'exil, pourquoi pas, pour notre idéal démocratique. Un idéal, comme tout le monde le sait, n'est jamais gratuit. L'image de ce jeune qui s'est immolé dans la wilaya de Tébessa, est montrée en boucle aussi bien par les chaînes arabes (saoudienne et qatarie) qu'européennes. Les tireurs de ficelles espèrent en faire la flammèche qui mettra le feu aux poudres. Sous le sceau du sacerdotal droit d'informer, ils présenteront les images de désolation d'un Maghreb qui bouillonne. Manière comme une autre, de faire le parallèle entre leurs opinions publiques démocratisées et la rue maghrébine, longtemps inféodée, présentement survoltée. Les pyromanes avides de flammes et de sang, souhaitent le chaos déjà vécu entre 1992 et 1995 où la seule institution constitutionnelle, l'armée en l'occurrence, est restée debout. Un homme sorti de ses rangs, apolitique de surcroît, a fait le pari fou d'organiser une élection présidentielle que d'aucuns vouaient à l'échec. Des analystes et autres politologues, prédisent des scénarii catastrophiques et se délectent d'une vision apocalyptique qu'ils n'ont pas pu prévoir pour l'Irak qu'ils voulaient démocratiser à l'insu de son peuple. Certains mêmes, s'oublient et se mettent carrément dans la peau des « suppliciés » des régimes autoritaires dont voici un spécimen de verbiage : « Si la chose est compréhensible pour la Tunisie, elle ne l'est pas par contre pour l'Algérie qui « dort sur un matelas de 155 milliards de dollars US ! ». Le Tunisien, n'a jamais eu faim, contrairement à ses voisins?il vient de donner une leçon de dignité et de bravoure ! » dixit, Abdel Bari Atwan d' « Al Quds Al Arabi », basé à Londres. Pour le non averti, cette gouaille véhémente, le ferait prendre pour un irréductible opposant tunisien ou algérien. Et à ce propos, des voix d'opposants tunisiens s'élèvent déjà, pour dénoncer « la mascarade » de la désignation du gouvernement de transition où sur les cinq portefeuilles de souveraineté, quatre restent entre les mains de l'ancienne équipe du président déchu. Abid Briki, secrétaire général et porte-parole de la puissante UGTT, encore un superlatif, avertit que son institution ne reconnaît pas le nouveau cabinet ; il appelle toutefois au calme et craint des jours sombres pour l'économie tunisienne qui dépend principalement des recettes du tourisme et des échanges avec la Libye. La destruction du tissu économique du pays, a drastiquement paralysé l'exportation. Y avait-t-il une réelle alternative à l'autoritarisme de Benali et à l'enrichissement éhonté de ses proches ? Cette union générale des travailleurs tunisiens dont on surestime les vertus, n'a-t-elle pas cohabité en bonne intelligence avec le maître de Carthage ? Et ce n'est enfin, que grâce au sacrifice d'un jeune chômeur non syndiqué, brûlé par la soupape du mécontentement, que la strophe ; «Si le peuple, aspire un jour à la vie.. » de Chabbi trouva toute sa résonance. Espérons, tout de même, à nos voisins la stabilité vite retrouvée et qu'ils ne fassent pas la grosse tête de discours creux. Les épopées héroïques auront été, toujours, déboulonnées par leur effacement de mémoires versatiles. |
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