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Un cinéma sur papier

par Abdou B.

«Une culture ne meurt que de sa propre faiblesse». A. Malraux

A la lecture des livraisons du Journal officiel de la RADP, le visiteur venu d'une autre planète sera forcément induit en erreur et il sera confronté à une réalité toute virtuelle, sans traduction aucune sur le terrain. En effet, les concepts de «cinéma», de «cinématographie algérienne» relèvent plus du fantasme d'une production de textes législatifs et règlementaires inflationnistes, d'organismes évanescents dès leur naissance sur les pages du J.O. On fait semblant d'avoir un cinéma, on fait semblant d'y réfléchir pour l'organiser, «l'encadrer», de soumettre à «autorisation» les films sur la guerre de libération, de créer des genres (films artistiques et commerciaux!), des sous-genres (fiction ou documentaire) censés être séparés par des murailles. Artistique et commercial seraient donc incompatibles? On alimente le Journal officiel autour d'industries, d'une économie, d'un art, de créations de l'esprit dont se moquent royalement le gouvernement, le Parlement, les formations politiques qui font semblant d'avoir affaire à une réalité. Or tout le monde sait que l'Algérie ne possède même pas les fondements basiques, les indicateurs les plus modestes qu'affichent des cinématographies dans de grands pays ou dans d'autres de moindre envergure.

C'est ainsi qu'un projet de loi relatif au cinéma va être inscrit à la session d'automne de l'APN. Cette dernière, qui n'a pas l'expertise en la matière et encore moins le plus petit intérêt pour le septième art ou la culture d'une manière générale, fera semblant de poser quelques questions d'ordre général et voter le texte. Aucun parlementaire ne connaît le texte publié au J.O. du 25 août 2004 (il est vrai que l'été et ses vacances n'incitent pas à l'étude du J.O.). Le décret exécutif (du 23 août 2004, publié le 25) portait sur la réorganisation du Centre de diffusion cinématographique (CDC) et sa transformation en Centre national de la cinématographie et de l'audiovisuel (C.N.C.A.). Ce dernier a donc sur le papier des missions, des responsables, un siège, une organisation, un budget dont les ressources sont énumérées, des dépenses (même d'équipement!!).

Or ce centre, chargé de tout ce qui concerne le cinéma dans toutes ses branches à travers un conseil d'orientation (ne pas demander à l'exécutif et au Parlement le nombre de documents élaborés par ce conseil!!) qui n'est pas responsable de l'inexistence d'un véritable cinéma national, a été remanié et réaménagé dans le J.O. Dans le conseil d'orientation, on trouve des représentants des ministères de? la Défense, des moudjahidine, des TIC, de l'ONCI? Un jour, il faudra expliquer aux générations futures en quoi ces représentants font avancer les industries du film, l'écriture cinématographique, la construction de salles, la formation?

 Le prochain avant-projet de loi sur le cinéma n'est que la énième mouture parmi tant d'autres qui ont circulé dans les ministères et dont la présentation au Parlement a été différée à plusieurs reprises. Certaines moutures n'ont pas eu l'aval de plusieurs ministres de la Communication qui ont cru, à tort ou à raison, que la culture voulait coiffer l'audiovisuel, donc l'ENTV; comme si un ministère pouvait s'octroyer la tutelle de la T.V. parce qu'une loi additionne dans chacun de ses articles les mots «audiovisuel», «œuvres audiovisuelles» «complexes cinématographiques et audiovisuels» (sic!), accolés à chaque fois au mot cinéma. Dans un avant- projet de loi, il est même écrit noir sur blanc que «le tournage de toute production cinématographique et audiovisuelle de tout format et sur tout support (?) est subordonné à l'obtention d'une autorisation de tournage». La volonté naïve de «contrôler» (ils adorent ce verbe) la T.V. est évident. Mais c'est aussi le meilleur moyen de réduire la diffusion d'une chaîne à quelques heures par jour. En effet, imaginons qu'il y ait en Algérie six chaînes de T.V. réelles, avec un statut juridique, qui doivent attendre d'un ministère des autorisations pour des tournages tous formats et sur tous supports.  Combien faut-il de mois, s'agissant d'un film sur la révolution, d'un documentaire sur la sexualité des adolescents, d'une série sur l'histoire du rayonnement mondial de l'islam, d'une fiction sur Boumediene ou Boudiaf, pour obtenir l'accord des moudjahidine (historiens de naissance), de l'ONCI (expert en gros plans), des affaires religieuses et du chargé national (historien du cinéma et gros managers dans l'industrie du film), de la Défense (que l'on met à toutes les sauces politiques, artistiques, effets spéciaux et direction d'acteurs). On voit bien qu'au départ on plombe la création cinématographique d'un pays qui n'a pas de cinéma mais des tonnes de lois, de règlements et une overdose d'établissements, de centres, d'EPIC, etc.

 Il manque au pays les fondements basiques qui justifient leur accompagnement par des lois (inventées par des pays producteurs il y a longtemps), des centres régulateurs qui proposent des lois et règlements (inventés depuis des décennies par ceux qui ont un cinéma national). Pour un pays qui a la superficie de l'Algérie et qui veut réduire les disparités régionales, un minimum initial de 1000 à 1500 salles réparties équitablement est incontournable pour générer des recettes en provenance de films importés par des distributeurs (fonction qui existe dans les grands pays de cinéma. Le parc de salles constitue l'exploitation (inventée depuis longtemps) qui est gérée par des propriétaires ou des gérants d'espaces privés. Dans chaque avant-projet, le fantasme qui consiste à vouloir «contrôler» la TV met côte à côte les termes «diffusion», «diffuseurs» et «exploitants». Or tout le monde sait que «diffusion» et «diffuseurs» ne s'appliquent pas au cinéma mais à la TV, alors pourquoi le département de la Culture aux côtés de la pléthore de missions, de responsabilités, de travaux (y compris le développement, le tirage de copies, la duplication (sic!) confiés au CNCA, s'occuperait-il de la «diffusion» alors que le dernier des citoyens sait que la chaîne unique ne dépend (heureusement) d'aucun ministère?

 La réalité est pourtant simple. On ne réorganise pas un secteur, des industries, des fréquentations, des laboratoires, un système informatique national qui n'existent pas. On ne créé pas les conditions de naissance, du développement et du rayonnement rentable d'un cinéma national en alignant des J.O et avec les seuls pouvoirs publics. Un cinéma national n'a aucune chance de vivre ou de survivre dans l'actuelle mondialisation. De quels droits et de quelles connaissances divines, un gouvernement, quel qu'il soit, serait-il habilité et légitimé pour autoriser ou pas un film sur la guerre d'indépendance? Les USA ont fait plus de 300 films d'envergure sur la guerre du Vietnam sans l'accord du gouvernement. Cela n'a diminué ni le rayonnement du cinéma U.S ni la puissance américaine. Bien au contraire, car autoriser ou non la création, c'est voir tout petit pour son pays qui aura un cinéma à partir de 40 à 50 longs métrages par an (et régulièrement) des dizaines et des dizaines de courts métrages, de films expérimentaux qui génèreront une dynamique pour construire des labos, des ateliers, des vocations, donner naissance à de vrais réseaux d'exploitants, de producteurs, de managers, de revues spécialisées, etc. Dans 3 ou 4 ans, on pèsera les lois et règlements et on fera la moyenne annuelle de films produits, coproduits, celle des films nouveaux mis dans les salles et celle de la fréquentation et des recettes. Gare à la grosse désillusion!

Sources:

- Journal officiel du 23 janvier 1991

- « «           du 25 août 2004

- « « du 11 septembre 2005

- « « du 9 octobre 2005

- Projet du décret exécutif de décembre 2003

- Pré avant-projet de 2007

- « « de septembre 2010