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Seul un Anglais
pouvait défendre avec conviction une hypothèse de démantèlement de l'Euroland,
en la créditant de surcroît - vaste ironie - d'un supplément de croissance
économique.
Ainsi en est-il de Christopher Smallwood, un économiste du cabinet Capital Economics, prône un retour au système des monnaies nationales pour relancer la prospérité en Europe. «Dans l'intérêt de la santé économique et du succès futur de l'Union européenne, la zone euro doit être démantelée», estime le cabinet londonien cette semaine. Ses préconisations relèvent d'une vieille tradition britannique («politique d'équilibre» multiséculaire) qui consiste à ne jamais se laisser se constituer en Europe continentale un ensemble géopolitique de nature à menacer la quiétude de Sa Majesté.Or, les prolongements logiques de l'Euro, en cours actuellement en vue de la fondation (discutable sous d'autres considérations) d'un «gouvernement économique», relance les inquiétudes par-delà le Chanel. Cela préoccupe d'autant que l'émancipation allemande, d'après affaissement du Mur de Berlin et des Démocraties Populaires, s'appuie sur les graves déficits de l'Europe du Club Med (ou des PIIGS*) et sur les confusions intérieures françaises pour reprendre un vieux rêve de domination teutonne à partir de la Mitteleuropa où les IDE germaniques ont retrouvé presque intact le Lebensraum de Friedrich Ratzel, d'il y a plus d'un siècle. Les industries allemandes sont infiniment plus efficaces dans la germanisation unifiée de la Nouvelle Europe que ne le furent vainement les «casques à pointes» de Guillaume II ou les Panzer-divisionen primitives de Herr Hitler. On peut ajouter que l'Allemagne a placé à sa tête une Ossie qui lit Dostoïevski et Tolstoï dans le texte et qu'il est le seul pays (avec le Japon et son «Empire» géoéconomique asiatique) qui ne sent pas menacé par la Chine. Bien au contraire, les exportations allemandes sont violemment stimulées à chaque poussée de croissance de l'Empire du Milieu. La «qualité» allemande donne la main à la «quantité» chinoise. Entre les deux, il y a ceux qui hésitent (de moins en moins) entre perte de souveraineté, protectionnisme et obsolescence. Chacun voit bien, susceptibilité grandiloquente gauloise mise à part, que l'euro est l'autre nom du Deutschemark. Nouveaux paysages La différence est d'importance avec les situations passées : face à l'Allemagne qui domine pacifiquement l'Europe et le monde il n'y a plus de contrepoids. La Grande-Bretagne actuelle n'a plus qu'une lointaine ressemblance avec l'économie-monde de la reine Victoria (dont Chamberlain, Churchill et plus récemment Mme Thatcher et Blair - toutes couleurs politiques confondue- ont administré l'effacement avec beaucoup de panache). Naturellement, si l'anglais se parle entre ceux qui comptent pour s'entretenir de ce qui compte, ce n'est pas à Oxford, à Cambridge ou à Eton qu'il le doit. Depuis 1931, la City spécule sur ce que peu à peu l'économie britannique ne produit plus et les flux de capitaux venus d'Amérique post-colombienne, transitant par la péninsule Ibérique de Charles Quint et de Philippe II et le Benelux, ont refranchi l'Atlantique vers le Nouveau Monde. Depuis la fin de la dernière guerre, l'Amérique a épuisé le crédit qu'elle a hérité des malheurs européens (pour mémoire : en août 1944, « Bretton Woods » était assis sur 75% de l'or monétaire mondial stockés à Fort Knox), ne peut plus continuer à aspirer l'épargne mondiale et à consommer plus qu'elle ne fabrique. Les centurions désuets du Pentagone ont mangé leur pain blanc et le dollar est virtuellement démonétisé : seule la gestion de sa dépréciation est laissée à cogitation problématiques. Kondratiev guette? La Grande Russie vidée de ses compétences et son carburant révolutionnaire, se dépeuple, ses armées sont technologiquement obsolètes et sa monnaie est indexée sur ses ressources naturelles. Restent les reliques et les souvenirs? Le Kremlin retourne à sa vocation originelle et recycle en une mixture étrange l'exubérance de la nouvelle oligarchie et l'ascétisme des anciens fonctionnaires du KGB, mise en scène dans les fastes retrouvés du culte orthodoxe. Ailleurs, la mondialisation offre un paysage profondément transformé par les nouvelles techniques logistiques, Internet, la connectivité numérisée des outils, l'ouverture des marchés, la dématérialisation des produits et des procédures, le bouleversement des échelles de valeurs (entendues au sens large), des avantages comparatifs éphémères, le raccourcissement accéléré des cycles, la désuétude des nations? Les repères se brouillent et l'on ne parvient pas à réinitialiser les variables avec les constantes. Dans les coulisses, affranchis de toute légitimité élective, s'agitent les nouveaux maîtres du monde réunis à Davos, à l'hôtel Bilderberg? Les enceintes internationales ne sont plus (à supposer qu'ils l'aient été un jour) des lieux de décision. Les processus de délibération qui décident de l'avenir du monde sont de plus en plus occultes. Nul cri d'orfraie au «complotisme» ne suffirait à en éluder l'évidence. En sorte que la proposition de Christopher Smallwood est non seulement cousue de fil blanc mais n'a aucune chance d'être suivie d'effet. Les membres de l'Euroland sous la botte allemande protestent pour la forme mais ils savent qu'il n'ont aucune autre alternative : hors de Maastricht et d'Amsterdam, le marché est impitoyable. Quelles leçons tirées alors de cette évolution pour notre compte ? En ces circonstances, Alger se trompe d'interlocuteur. L'UPM (comme d'ailleurs son anagramme indigène) est un mort-né. Ce n'est ni avec Paris, ni d'ailleurs avec Bruxelles ou Washington (dont le regard est pointé vers le Pacifique), qu'elle doit traiter pour défendre ses intérêts, mais directement avec Berlin (ou plus précisément avec Francfort). C'est d'ailleurs la meilleure façon qu'il a de se faire entendre par les autorités françaises et de négocier un passé respectable. Songeons à Ankara qui n'a pas choisi un autre chemin? Mais cela suppose qu'à Alger on apprenne à être lisible et crédible. Il est légitime pour un «petit» pays de masquer ses circuits décisionnels et de ne pas révéler ses gradients d'incertitude. La ruse est licite. Mais cela n'est acceptable que si l'on sait ce que l'on ne veut pas et que l'on soit au rendez-vous de ses engagements. La fiabilité est plus importante que la richesse. Malheur à la nation qui n'a plus ni parole, ni ennemis honorables. * Acronyme approximatif et discourtois du mot «cochons» en anglais, forgé pour désigner le Portugal, l'Irlande, l'Italie, la Grèce et l'Espagne. |
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