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Les deux faces du secteur informel

par M. T. Hamiani

Pendant que les Etats concentrent leurs efforts à la recherche d'investisseurs extérieurs, l'on continue à omettre que les économies des pays en développement reposent essentiellement sur des activités informelles qui concernent une part extrêmement importante de la population. C'est encore ce secteur qui est le principal pourvoyeur d'emplois, qui permet de créer un minimum de revenu et de richesse, et de fournir les principales opportunités d'insertion à une population très jeune.

Parmi les questions que l'on doit se poser est de savoir comment aider à l'évolution des entreprises de l'économie informelle pour lui permettre de se maintenir et d'améliorer le sort de la population qui en vit sans pour autant nuire au secteur formel ? Une stratégie de lutte contre la pauvreté a-t-elle un sens ou une chance de réussir si elle ne permet pas à la majorité des acteurs économiques d'accéder au financement, d'évoluer vers une plus grande maîtrise des techniques et des marchés, et de bénéficier d'un environnement institutionnel plus équitable ?

 Les travailleurs du secteur informel représentent plus de la moitié de la main d'œuvre dans les pays en développement. Mal payés, sans contrat de travail ni prestations sociales, ils n'en représentent pas moins le secteur le plus dynamique de l'économie dans bien des cas. La crise économique mondiale, et l'explosion de l'emploi informel qui devrait en résulter, rend d'autant plus pressant le besoin de politiques publiques spécifiques, afin d'améliorer le bien-être de ces millions de travailleurs mais également d'assurer un développement durable.

 L'Emploi informel dans les pays en développement : une normalité indépassable? Donne des clefs aux décideurs pour faire face à ce phénomène et stimuler la création d'emplois de meilleure qualité pour tous.

 Juridiquement, selon le critère «illégal/légal», le secteur informel se définit comme étant l'ensemble des activités irrégulières dont l'exercice illégal constitue une fuite devant les normes fiscales, la législation du travail et le droit commercial. Autrement dit, cela correspond à des activités interdites par la loi ou des activités légales en elles-mêmes mais exercées par des personnes non autorisées à le faire. Il s'agit en définitive de produire des biens et services par des entités illégales. Cependant, il peut également s'agir d'activités légales assurées par des personnes autorisées à le faire, mais qui possèdent des caractéristiques permettant de les classer dans le secteur informel. Ces caractéristiques concernent: le non-paiement de l'impôt sur le revenu, de la TVA et des autres taxes et impôts, le non-versement des cotisations sociales, et la non-soumission à certaines procédures administratives

L'EMPLOI INFORMEL : UNE NORMALITÉ INDÉPASSABLE ?

Le travail informel est la norme dans les pays aux revenus bas et moyens. Il est aussi assez important dans certaines économies aux revenus élevés. Dans plusieurs cas, la part des emplois exercés en dehors des structures formelles d'un pays peut représenter plus de la moitié des emplois non agricoles, et jusqu'à 90 pour cent si on y inclut les emplois agricoles. En outre, dans des régions telles que l'Asie du Sud et l'Amérique Latine, la croissance économique de ces 20 dernières années a vu s'accroître les taux d'emploi informel.

QUELS SONT LES PROBLÈMES ASSOCIÉS AU TRAVAIL INFORMEL?

En général, les travailleurs informels gagnent moins et leurs droits fondamentaux sont plus menacés et difficiles à défendre. L'informalité peut être une cause majeure de la pauvreté : la plupart des travailleurs informels ne sont pas suffisamment protégés face aux problèmes de santé, à des conditions de travail plus dangereuses ou aux licenciements sans indemnisation. Les plus pauvres sont les plus exposés, car le travail est souvent leur seule source de revenus. Une proportion élevée d'emplois informels entraîne à son tour un manque à gagner en matière de revenus fiscaux et réduit la capacité de l'État à développer des systèmes de sécurité sociale.

LA CRISE AFFECTERA-T-ELLE L'EMPLOI INFORMEL?

L'expérience suggère que la crise économique actuelle entraînera une hausse des niveaux de pauvreté dans les pays en voie de développement, car ils sont dépourvus de réseaux de protection sociale efficaces. La part de l'emploi informel a également tendance à augmenter lors de périodes économiques difficiles : la perte d'emplois dans le secteur formel entraînera une augmentation de la part de l'emploi informel ainsi qu'une baisse des salaires et des revenus dans les couches les plus vulnérables de la population, dont la majorité dépend exclusivement du travail pour sa survie.

COMMENT FAIRE FACE À LA HAUSSE DE L'EMPLOI INFORMEL?

Dans le contexte actuel de crise économique, une action rapide au-delà des politiques conventionnelles est nécessaire pour empêcher que l'augmentation du chômage et des emplois précaires et mal rémunérés accentue la pauvreté dans le monde. La formalisation doit rester un objectif des politiques d'emploi, mais dans le court et moyen terme, un ensemble de mesures est nécessaire pour promouvoir la création d'emplois de qualité.

 Entre autres, elles devraient encourager les travaux publics, le microcrédit et des programmes de transfert conditionnel afin d'améliorer l'infrastructure, de renforcer des capacités, de soutenir les réformes institutionnelles et de promouvoir l'accès aux ressources pour les entreprises informelles.

 Le secteur informel peut aussi constituer un obstacle à la restructuration de l'économie. On estime qu'environ 10 pour cent des emplois sont détruits chaque année dans de nombreux pays, quelle que soit leur situation économique et institutionnelle, et que bon nombre des travailleurs qui perdent leur emploi doivent choisir entre le chômage et un emploi dans le secteur informel. Cependant, dans les pays qui n'ont pas de système de protection sociale, même le plus élémentaire, le chômage n'est vraisemblablement pas une option. Le taux d'entrée dans le secteur informel est donc élevé, mais il en va de même du taux de sortie du secteur, de sorte que le niveau de mobilité dans le secteur informel est comparable à celui qui est observé dans l'économie formelle. Cela donne l'impression que les segments informels de l'économie sont dynamiques, mais en fait, de nombreux travailleurs y restent pendant de longues périodes et, bien souvent, ils en sortent par le bas, c'est-à-dire, entre autres, par le chômage ou le retrait du marché. En outre, il est beaucoup plus difficile pour les travailleurs du secteur informel de revenir sur le marché de l'emploi formel, en particulier dans les segments inférieurs de ce marché. Dans beaucoup de pays et toujours selon le bureau international du travail ou l'organisation internationale du travail , une fois sur le marché informel, un travailleur a deux fois plus de risque de devenir chômeur dans une année donnée que de retrouver un emploi dans le secteur formel. De surcroît, la probabilité qu'il reste dans le secteur informel est plus de deux fois plus grande. Les mêmes données montrent que, si la réaffectation des emplois est importante pour la réussite de l'ajustement structurel, l'économie informelle peut empêcher la transition nécessaire entre différents segments de l'économie formelle en partie à cause de la perte de capital humain et social pour ceux qui restent longtemps dans l'économie informelle. Cela peut entraîner des pénuries de main-d'œuvre dans les secteurs qui prospèrent à la suite d'une réforme commerciale, de sorte que les entreprises de ces secteurs sont amenées à réduire leur capital et la taille de leurs installations, ce qui limite leurs possibilités d'exportation et empêche les pays concernés de profiter pleinement de l'ouverture commerciale.

 Enfin, l'économie informelle est jugée indispensable pour permettre aux entreprises du secteur formel qui font partie de chaînes d'approvisionnement verticales de soutenir la concurrence sur les marchés internationaux.

 Toutefois, les conclusions que les données empiriques disponibles permettent de tirer sur ce point sont ambiguës. Il se peut que les entreprises qui utilisent des intrants provenant de l'économie informelle soient elles-mêmes en position de faiblesse sur les marchés mondiaux et doivent lutter pour survivre. L'utilisation d'intrants fournis par le secteur informel est alors pour elles un dernier recours pour faire face à la concurrence internationale. Cela ne peut pas être considéré comme une stratégie gagnante pour conquérir des parts de marché.

 De plus, les données disponibles semblent indiquer que le soutien par le secteur informel d'entreprises formelles non rentables peut être préjudiciable à terme au développement et à la croissance économiques.

 On peut démontrer, en particulier, que les gains de compétitivité-prix résultant de l'utilisation de biens intermédiaires provenant du secteur informel ont un coût en termes de réduction de la taille moyenne des entreprises, de la croissance potentielle et des gains de productivité, ce qui nuit aux résultats économiques à long terme et aux performances dans le commerce international.

 L'économie informelle est associée à une plus grande vulnérabilité aux chocs économiques, qu'elle rend aussi plus probables. La combinaison de ces deux tendances peut créer un cercle vicieux, car elle nuit aux performances à long terme d'un pays, diminue les bénéfices qu'il peut tirer du commerce et réduit le bien-être économique. La volatilité de la croissance et la fréquence des phénomènes économiques extrêmes (par exemple brusque alternance de phases de croissance rapide et de ralentissement) ont tendance à augmenter avec la taille de l'économie informelle. Les pays où elle est supérieure à la moyenne ont presque deux fois plus de risque de subir des phénomènes économiques extrêmes que ceux où l'emploi informel est plus limité. Les données empiriques présentées dans la littérature confirment généralement cette association négative entre l'économie informelle et la volatilité des cycles économiques ? l'informalité agissant comme une cause directe de volatilité accrue et représentant un symptôme de carences institutionnelles qui rendent un pays moins résistant aux chocs, comme l'absence de stabilisateurs automatiques ou la présence de distorsions d'ordre réglementaire.

 Les différentes études ont montré qu'un taux d'informalité élevé pousse les pays concernés vers les segments les plus bas, et les plus vulnérables, des chaînes de production mondiales. Les pays où le secteur informel est très développé peuvent attirer des types particuliers de flux de capitaux, liés à l'existence d'un vaste gisement de main-d'œuvre bon marché. Un certain nombre de pays émergents et de pays en développement semblent avoir essayé, dans le passé, de tirer argument de la taille de leur secteur informel pour inciter les investisseurs internationaux à profiter des faibles coûts de main-d'œuvre. Certains soutiennent, par exemple, que les zones franches peuvent abaisser ces coûts par rapport au reste de l'économie par l'application sélective ou partielle du droit du travail. Mais les gouvernements peuvent aussi établir ces zones dans les régions et les secteurs où l'activité informelle est très répandue pour y améliorer les conditions de travail. Les observations empiriques laissent penser que cet objectif n'a pas toujours été atteint. Cela tient en partie à ce que le marché du travail informel et ces zones sont souvent les maillons faibles de la chaîne de production mondiale, ce qui empêche les entreprises opérant dans ces zones de s'approprier une part suffisamment grande de la valeur ajoutée internationale pour croître et innover.

 Les conditions de travail locales peuvent alors s'améliorer dans une certaine mesure ? du moins par rapport à la situation qui existait avant l'ouverture au commerce et à l'investissement ? mais les arrangements de ce type ne permettent guère aux pays de dégager des bénéfices de l'intégration internationale. Il se peut même que, au bout du compte, les conditions du marché du travail soient à peine plus favorables que celles qui existaient avant l'ouverture économique, alors que l'économie peut être devenue plus vulnérable aux chocs externes.

 Les résultats des études examinent trois moyens d'améliorer la complémentarité entre les programmes de travail prévus pour encourager le commerce et promouvoir un travail décent. Dans le premier cas, l'accent est mis sur l'importance de créer des conditions favorisant la formalisation de l'économie informelle, indépendamment du degré d'intégration du pays dans l'économie mondiale. Il faut reconnaître que les stratégies de formalisation ne peuvent pas régler d'un coup les problèmes du marché du travail dans les pays en en voie de développement. Mais, vu que, dans ces pays, environ 60 pour cent des actifs travaillent dans l'économie informelle, des pans entiers de la société sont privés de sources de revenu et de perspectives professionnelles adéquates. Dans le même temps, des taux d'informalité élevés limitent les ressources publiques qui pourraient être utilisées de façon productive, freinent la croissance de la demande globale et entravent l'intégration des pays dans l'économie mondiale. Les politiques qui permettent de soutenir les entreprises et les travailleurs du secteur informel ? dans le but de les ramener, à terme, dans l'économie formelle ? pourraient donc non seulement aider à améliorer les conditions de travail, mais aussi alimenter un moteur important de la croissance.

 Il faut faire une distinction entre les politiques qui favorisent la formalisation des entreprises et celles qui visent les travailleurs. Dans le premier cas, les politiques peuvent renforcer les incitations en abaissant le coût de la formalisation et en augmentant les avantages qu'elle procure. Bien souvent, ce résultat peut être obtenu au moyen de modifications de la réglementation ou des dispositions administratives qui n'ont aucun coût budgétaire pour les autorités. La simplification des formalités, l'allégement de la pression fiscale (en particulier pour les jeunes entreprises et les petites entreprises) et l'octroi d'une aide aux entreprises qui souhaitent procéder à l'extension de leur activité sont autant d'exemples de stratégies que les pays peuvent mettre en œuvre. Ces mesures peuvent avoir un coût budgétaire limité, mais elles procurent des avantages qui peuvent être importants à long terme. En outre, les marchés publics peuvent être utilisés pour stimuler la demande de la part de l'économie formelle, ce qui peut inciter les entreprises informelles à entrer dans le secteur formel. Pour faciliter le passage des travailleurs informels dans l'économie formelle, les politiques menées devraient assurer en priorité

 a) un soutien aux travailleurs pour qu'ils sortent du secteur informel,

 b) des investissements dans l'infrastructure, afin d'encourager la productivité dans les entreprises informelles et de faciliter la formalisation de l'économie informelle,

 c) une protection sociale de base pour ceux qui restent dans le secteur informel. À cet égard, il faudrait mettre résolument l'accent sur les moyens et programmes de formation destinés aux travailleurs informels, étant donné la relation (négative) très nette mise en lumière dans les études entre le niveau d'éducation et le travail informel.

Ces politiques pourraient s'appuyer, dans la mesure du possible, sur les infrastructures de formation existant dans l'économie informelle afin de peser moins lourdement sur le budget et avoir une plus grande efficacité. En outre, pour toucher les travailleurs informels de la catégorie supérieure, on pourrait modifier le barème d'imposition et, si possible, adopter un code des impôts très simplifié de manière à renforcer le respect de la réglementation fiscale et du droit du travail, à accroître l'offre de main-d'œuvre dans l'économie formelle et à augmenter les recettes fiscales. Cette augmentation des recettes pourrait être mise à profit pour encourager plus directement la création d'emplois dans l'économie formelle en mettant en place des dispositifs d'embauche ciblés ou en subventionnant les salaires. Conjuguées à des possibilités de formation adéquates, ces mesures pourraient dynamiser considérablement l'emploi dans l'économie formelle.

 Toutefois, de telles politiques ne permettent pas de toucher tous les travailleurs informels. Aussi faut-il renforcer les mécanismes permettant de soutenir ceux qui restent dans l'économie informelle en assurant au moins une protection sociale de base, de manière à limiter la vulnérabilité sur ce marché et à améliorer le fonctionnement du marché du travail informel. Mais la crainte que ces mesures puissent avoir un coût budgétaire élevé, en particulier dans les pays où le secteur informel est important, explique qu'elles n'aient pas été appliquées plus largement. Les indications disponibles, toutefois, donnent à penser qu'un minimum social peut être assuré à un coût abordable sans mettre en péril la viabilité budgétaire. De plus, dans les pays où l'économie informelle a commencé à s'auto-organiser, les autorités pourraient soutenir ces mécanismes d'auto-assurance en fournissant les garanties nécessaires, sans les gérer elles-mêmes. Plus généralement, il faudrait s'appuyer sur l'effet multiplicateur des collectivités et des initiatives locales pour faciliter la mise en œuvre de ces mesures dans l'économie informelle et, partant, en améliorer l'efficacité. Le dialogue social entre employeurs et salariés, notamment à l'échelle nationale, est capital pour le succès des stratégies de formalisation.

Très important à savoir (Selon le BIT et l'OIT)

*Sur les 3 milliards d'individus dans le monde ayant un emploi, près des deux-tiers (1.8 milliards) sont des travailleurs informels

*Plus de 700 millions de travailleurs informels vivent dans des conditions d'extrême pauvreté, avec moins de .25 par jour.

*90 pour cent de la formation technique et professionnelle en Afrique a lieu dans le secteur informel.