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Il n'existe pas
de grande différence entre Ouyahia et Zerhouni. L'un est un technocrate,
travailleur, sérieux et assidu; l'autre est un homme chevronné, expérimenté,
efficace et écouté. Cependant, une grosse frontière sépare l'un de l'autre et
crée béatement la différence.
Ouyahia censé être un politique n'en fait pas du tout et prend la peau d'un haut administrateur de gouvernement et d'un Directeur général au RND. Zerhouni, censé être un fonctionnaire, arrive à faire de l'action ministérielle une approche politique. Sans aucun parti, il dessine les trajectoires de tous les autres. En somme, le premier est un fonctionnaire politique, le second est un politicien qui sait fonctionner. Voilà que c'est fait. Du moins l'impression d'avoir opéré un remaniement y est dans toute son entièreté. Cependant, l'on imagine mal un pays, des pouvoirs, de l'autorité, tous capables d'effectuer en moins d'un tour de table un remaniement presque de l'ensemble des ministres, avec le départ des uns, la venue des autres et permutation pour le reste, au moment où l'on a été incapable de nommer un directeur général de la Sûreté nationale. Poste vacant depuis le 25 février. Par contre, tout est convenable pour susciter des commentaires. L'essentiel de ceux-ci n'ira pas à l'endroit de tel ou tel ministre mais tentera de s'axer sur l'opportunité de l'acte remaniementiel et le changement de position de Zerhouni ainsi que sur les probabilités de nouvelles missions à confier aux ex-nouveaux récipiendaires. Le troisième mandat de Bouteflika s'annonçait à son entame difficile, tant l'oisiveté et l'immobilisme caractérisaient amèrement l'équipe gouvernementale. L'inertie politique gagnait la sphère dirigeante nationale et tous ses auxiliaires. Pas de visibilité. Situation de panne pour une nouvelle option de développement ; l'on faisait dans le surplace et le surchauffé, se contentant de se tenir, à défaut d'initiatives, aux restes à réaliser et aux quelques reliquats aux longs relents de l'ex-plan de relance économique. L'activité nationale se réduisait dans sa globalité aux dispositions introduites par la trop controversée loi de finances complémentaire de 2009. Que ce soit du côté du partenariat étranger ou celui de l'entreprise algérienne. Les cris pour risques de fermeture à connotation protectionniste fusent de partout. L'idée du « patriotisme économique » prenait un chemin qui n'était pas le sien. Les chiffres évaluant, depuis ces dispositions, en termes de gains et de flux transfrontaliers ont été différemment appréciés et inversement commentés. C'est selon. D'où pense-t-on le recours dans cette nouvelle composition exécutive à la mise en place d'un département ministériel chargé de la prospective et des statistiques, aggravé d'un secrétariat d'Etat en charge uniquement de la statistique. L'on saura incessamment de quoi cela retourne. S'il s'agit de notion académique d'études prévisionnelles ou d'analyses potentielles en vue de dégager des stratégies et des approches, l'Algérie regorge en fait d'instituts, d'offices et de centres proprement qualifiés pour ce faire. Ainsi une foultitude de ces entités de formation, de consultation, de recherche, de planification, de collecte, d'analyse, de stratégie ou de développement se trouve à disposition de tout décideur. Ils dépendent hiérarchiquement, chacun en ce qui le concerne, d'un département adéquat. L'on peut citer, entre autres, dans la foulée, certains de ceux-ci qui font, bon an mal an, expressément ou aléatoirement de la prospective et des statistiques : l'institut des études globales stratégiques, le CNES, le CENEAP, l'ONS, le CNIS, la CNP, etc. Allons-nous donc assister à un unique et exclusif pilotage de tous ces organes par ce nouveau-né gouvernemental ? Va-t-il servir de base commune de données intégrée et harmonisée ? Les prérogatives essentielles qui leur sont légalement dévolues seront-elles objet à chevauchement d'espace ? A titre d'exemple : les statistiques du commerce international sont, en vertu du code de la douane, collectées et analysées périodiquement par cette administration. Verra-t-elle, dès la mise en place de ce ministère, ses missions en ce sens amoindries ou carrément transférées ? Encore que le secrétaire d'Etat nouvellement désigné, le professeur très respecté Ali Boukrami, n'est pas un inconnu du monde extérieur de l'analyse et des statistiques. Lui qui, en professeur, définissait les statistiques comme « cette femme sur une plage? elle vous montre tout sauf l'essentiel ». En somme, comme une prestation de service, la prospective est une marchandise qui se vend. Quant à la statistique, « méthode permettant d'analyser et de synthétiser l'information contenue dans une collection nombreuse de données chiffrées », elle n'est qu'une probabilité qui obéit à des lois. Du verre à moitié plein au zéro comme chiffre déterminé, la stat oscille, vacille et titube dans un graphique et un camembert qui montrent certes quelque chose mais ne veulent en réalité rien dire. Sauf pour ceux qui l'ont conçue. Le commentaire le plus strident demeure cette affectation de Zerhouni à un poste nouvellement créé: vice-Premier ministre. L'on y sent un rapprochement organique de l'homme par rapport à l'instance présidentielle. Zerhouni, étant ainsi au sein de la chefferie à un niveau supérieur à tous les ministres, est appelé à devenir le véritable vis-à-vis du président. Si ce n'était l'éventualité d'un empêchement tactiquement politique et constitutionnel, il aurait été nommé vice-président de la République. Donc ce repositionnement va sans doute enraciner davantage l'existence de l'esprit présidentiel dans le cercle interministériel. C'est tout de même de bonne guerre de la part d'un président se sentant débattre, par ailleurs, son pouvoir, dit-on. Déjà que le Premier ministre ne donne qu'un apparat d'une fonction en charge d'un simple formalisme rendu impératif par la sacralisation constitutionnelle, qu'en sera-t-il demain de son adjoint ? Certains parlent d'un poste de surveillance loyal et dévoué installé tout près de l'activité globale du chef du gouvernement. Cette hypothèse est fragilisée par nature, d'autant qu'Ouyahia arrivait mal à créer une collégialité au sein de « son » équipe. En fait, elle n'est pas la sienne. Ainsi la venue de Zerhouni aura un sens de booster sinon fouetter les plis ministériels. Il aura la sagacité et l'excès de sérieux qui lui sont habituels de rompre les clans qui végètent au conseil. A travers sa personne et sous son présent poste, tous les ministres se vaudront. D'autres stimulent l'idée que Zerhouni aurait à chapeauter certains secteurs prioritaires et névralgiques à partir de ce perchoir. En sa qualité d'ancien ministre de l'Intérieur, l'homme n'avait qu'un regard sur la collectivité locale et tout ce qui se greffait autour d'elle comme gestion généraliste, paix sociale, liberté, associations, etc. Il était loin du monde économique, industriel, sanitaire, universitaire, agricole, éducatif et d'autres segments professionnels précis. Là, en cette forte position, son regard, joint à celui d'un Premier ministre « renforcé », ira s'étendre avec force sur toute l'activité des membres du gouvernement. Son aura et son poids feront le reste. Il est dit aussi que, derrière cette promotion fonctionnelle, se hisse à l'ombre un projet de consistance politique que seul Zerhouni est capable de porter. Le maintien du régime et l'amorce d'une succession au pouvoir. En fait, les avis divergent, comme les supputations s'accroissent. Cependant, plusieurs observateurs s'accordent à dire que le vice-Premier ministre aurait à assumer, par gestion particularisée, la responsabilité du volet sécuritaire. Soit un grand ministère de la sécurité moulu et fondu dans une vice-présidence chef-gouvernementale. Au nom du Premier ministre et partant de celui du président de la République, tous les acteurs de la scène sécuritaire avec tous leurs démembrements seraient tenus de lui rendre compte. Là aussi, son aura, sa prestance et son poids feront le reste. La bataille ne serait pas sans incommodités. Par ailleurs, les quelques sommaires nouveautés introduites dans ce changement n'ont pas à faire assez de commentaires. C'est classique de dire qu'un tel ministre avait failli à sa mission, pour qu'il soit remercié. Ce sont apparemment les cas de Mihoubi, Bensaleh et Djaaboub. Le cas Chakib Khallil paraît revêtir une unanimité quant aux genèses ayant vraisemblablement favorisé son virement. Le séisme de Sonatrach. Sans commentaires. Mais que représentent les supposées bourdes ou maladresses de Mihoubi à aller en compagnie de Rabrab (en bonne sainteté avec le pouvoir) inaugurer un siège pour son journal Liberté en face d'autres plus gravissimes dont les ministres sont reconduits ? Les grèves répétitives de l'éducation, de la santé, de l'université, du personnel administratif, la grippe porcine, les scandales du métro, de l'autoroute, du thon algérien et autres abominations n'ont pu avoir de cure sur leur présumés auteurs. Le nouveau patron du nouveau ministère de l'Industrie, de la PME et de l'investissement, un réel piédestal pour tout l'avenir du plan quinquennal annoncé récemment avec 286 milliards de dollars, devra s'atteler à agir dans une culture de rupture de ce qui a été fait jusqu'à présent en termes d'actions à insuffler à l'âme moribonde d'un investissement arrivé à sa plus haute phase de métastase. Son travail devrait, à peine d'inutilité, être coulé dans la familiarité des lois de finances. Enfant d'une régie financière, rompu aux cadastres et patrimoine public, Bendimered, pressenti à un moment comme Directeur général des Douanes, va certainement assainir le lourd contentieux du foncier industriel. Goulot d'étranglement à l'entreprise d'initiative industrielle. Il saura ce qu'est un acte d'investissement sans assiette foncière. Il aura aussi une autre théorie quant à la concession, la cession et la mise en adjudication de la disponibilité immobilière. Le changement est dit-on toujours bon. Pourvu qu'il y ait davantage d'ouverture. Les secteurs ayant connu un nouvel arrivant vont souffler du neuf et de l'inédit. Chacun devra apporter sa touche personnelle au tableau de bord. Les nuances continueront cependant à subsister. Par contre, dans d'autres ministères, principalement l'éducation, la culture, l'enseignement supérieur enfin tous ceux qui continuent dans la continuité, la population interne verra dans ce maintien une frustration et tiendra à bout de cœur sa résignation et sa fatalité. Le changement, qui s'est abstenu de s'abattre dans ces éternelles forteresses, s'y abattra par effets pervers de démotivation et désengagement. Les commentaires, après cette opération paraissant de petite chirurgie de remplacement, iront dans tous les sens et fluctueront au rythme de ce qui va venir. Zerhouni, contrairement à ceux qui pensent qu'il est logé sur le seuil d'une voie de garage saura, avec persuasion, faire son œuvre de grande synthèse. Ceux-ci doivent donc, au fur et à mesure de sa prise de fonction, se détromper. Mais il reste néanmoins légitime pour tous de se questionner: Qui est en fait et non en droit le vrai Premier ministre ? |
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