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«Un art qui a de
la vie ne reproduit pas le passé, il le continue.» Rodin
Le temps d'un film signé par un réalisateur du Tchad et un autre tourné par Rachid Bouchareb, l'illusion a encore fonctionné faisant croire à la naissance ex nihilo d'une industrie cinématographique en Afrique. Les impacts médiatique, festif et la présence de grands pays producteurs à Cannes ont conforté l'illusion, tellement le plus grand festival au monde est le parfait miroir aux alouettes. Comme dans un réflexe pavlovien, le retour en urgence d'un «patriotisme cinématographique» et d'un panafricanisme stérile s'opère le temps que les lampions s'éteignent sur la Croisette, une fois d'énormes contrats signés et que la chasse aux films pour les différentes sections soit lancée pour Cannes 2011 après quelques semaines de repos pour les organisateurs. Ces derniers ont douze mois sur douze les regards rivés sur le tableau de bord de la production mondiale là où elle existe en flot continu. Et parce que la concurrence, donc les affaires sont féroces entre les grandes manifestations dont l'objet est le film, il faut toujours faire plus vite, mieux en suscitant avec rigueur des polémiques, des scandales, du people, des rumeurs. L'essentiel se joue dans les palaces où sont brassés des milliards par les branches du cinéma que sont la production, la distribution, l'exploitation et les industries techniques qui inventent sans cesse pour que les spectateurs achètent des billets, des livres, des revues spécialisées, des DVD, des produits dérivés et des rêves. A travers une politique au sommet, jamais démentie depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, quelle que soit la majorité au pouvoir, la France fait de Cannes le numéro un mondial. Avec des dosages d'une subtilité extraordinaire où cohabitent l'argent, la diplomatie officielle ou secrète, de grands talents, des managers de pointe dans la stabilité au poste, la troisième production mondiale (après l'Inde et les USA), la participation de la mairie, de la région, de l'exécutif, de sponsors, de mécènes, de vente de droits pour des TV (le grand journal de Canal +), d'une série d'émissions radio et TV, Cannes et la France rayonnent sur le monde. Tout le monde y gagne. Les commerces, le tourisme, les artisans, les taxis, les prostituées, les salles de cinéma, Air France, font des chiffres d'affaires, deux semaines durant, jour et nuit. Il s'agit en fait d'une politique adoubée au sommet, sans «haut patronage», sans défilé d'officiels, mais avec des résultats mesurables, des recettes, du prestige et un rayonnement international sur la durée à tous les niveaux. Cannes joue un grand rôle dans les relations entre la France d'un côté et ses anciennes colonies et la francophonie de l'autre. Même l'Egypte est intégrée dans la stratégie française. N'est-elle pas vice-présidente de l'UPM ? C'est de bonne guerre et l'Elysée met tous ses efforts pour que la France et Cannes fassent toujours place, aux plans financier, médiatique, culturel et linguistique, aux cinéastes africains qui ont du talent, quel que soit le pays d'origine et peu importe qu'ils aient une ou plusieurs nationalités (ce dont tout le monde se fiche). Les conditions et les procédures sont maîtrisées par le CNC (et ses aides), les distributeurs, le circuit art et essai, les exploitants qui bénéficient d'aides. La place des techniciens et des laboratoires français est protégée et les centres culturels français dans le monde assument leur part. Il n'y a rien d'anormal, de blasphématoire de la part d'une puissance qui entend tenir son rang et qui met les moyens nécessaires, dans la plus grande liberté de création. Et l'Afrique dans la mondialisation culturelle et face à la vitalité insolente des cinématographies américaine et française ? Ces deux pays, d'une manière ou d'une autre, dominent dans les rares salles de cinéma du continent et donnent à voir leurs films sur les chaînes de TV, privées et publiques d'Afrique. Les dirigeants africains, quant à eux, respectent et maintiennent avec ténacité le statu quo opératoire sur le continent depuis deux, trois sinon quatre décennies. Les salles de cinéma disparaissent une à une avec le maintien de pure forme de quelques espaces dans les capitales. Loin des normes universelles, ces salles périclitent, disputées par divers démembrements de l'Etat qui ne connaissent rien au septième art, sans système informatique relié à un centre autonome, responsable de la répartition des maigres recettes, lorsqu'il y en a. Selon une logique et une pratique quasi automatique, les responsables africains délèguent en quelque sorte la création cinématographique aux guichets français: maisons de production, laboratoires, TV, avances générées par le CNC, distributeurs, exploitants, revues spécialisées et soutenues financièrement et surtout les festivals dans l'hexagone plus ou moins spécialisés en «africanité». Au-delà de l'émotion et de l'émotivité, sincères ou simulées, pour des raisons objectives et évidentes, les relations entre la France et ses ex-colonies échappent au politicien et très souvent aux politiques d'Afrique, en matière de cinéma. Quel cinéaste africain, par «patriotisme» ou anticolonialisme, serait assez suicidaire pour refuser à chaque fois que c'est possible de solliciter le CNC français, un producteur, un distributeur, un laboratoire ou des techniciens français (ce qui ajoute des points pour la nationalité des films) ? Chahine disait qu'il acceptait même l'argent du diable ! Et les réalisateurs ont bien raison de chercher de l'oxygène s'ils ne le trouvent nulle part dans les systèmes du continent africain. Lors du festival de Cannes 2010, la France avait trois films en compétition officielle, sans compter les autres sections. Elle organise dans un pays maghrébin une rétrospective de l'ensemble des films présentés à la quinzaine des réalisateurs du dernier Cannes. Qui s'en soucie parmi les partis et les différents dirigeants d'Afrique ? En 2009, la France a produit 230 films avec 200 millions de spectateurs pour la même année. Sélectionner un film du Tchad et un autre d'Algérie sur la base de la résonance phonétique des noms des cinéastes, de temps en temps, est tout bénéfice pour Cannes. Il en est de même pour les succès remportés par des films tournés par des Iraniens (toujours pour la même résonance) même si les acteurs, les techniciens, les laboratoires et l'argent sont français. Il s'agit, ni plus ni moins, de la manifestation sur grand écran, d'une volonté politique et économique avec les moyens réglementaires et financiers nécessaires. Et c'est de bonne guerre, et c'est tant mieux pour les cinéastes à la peau brune ou noire, exilés, installés, ou mal vus dans leur pays. Deux films «africains» à Cannes ont occupé la galerie. Tant mieux pour les créateurs. Peut-être qu'un jour, dans la foulée d'une bonne idée (le NEPAD), les responsables du continent africain, peu ou prou légitimes, penseront à renforcer le NEPAD par la création d'industries du film, privées, pour réellement hisser un ou plusieurs drapeaux africains à 100%. |
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