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Obama échoue à l'international mais réussit à l'interne, avec une grande réforme du système de santé

par Pierre Morville

Le nouveau président américain rencontre difficulté sur difficulté, notamment au plan international. Mais il repart, dopé en bâtissant une réforme historique du système de protection sociale des citoyens américains.

Curieuse démonstration que vient de réaliser Benyamin Netanyahou. En annonçant un plan de construction de 1.600 logements à Jérusalem-Est, il avait déjà torpillé la semaine dernière, la venue en Israël du vice-président américain, Joe Biden. Celui-ci, très en colère, avait pris à juste raison cette opération de propagande comme une grosse gifle assénée à l'allié historique américain, qui tente maladroitement et sans succès de renouer d'invisibles fils du dialogue entre Israéliens et Palestiniens.

 Le Premier ministre israélien en a remis une seconde et pesante couche à Washington même, où se tenait le congrès du principal lobby pro-israélien, l'American Israël Public Affairs Commitee (AIPAC, fort de 100.000 membres et très influent dans la classe politique américaine): «nous continuerons à construire à Jérusalem-Est ! » a claironné Bibi Netanyahou, pour démontrer sur le sol américain qu'il n'avait que faire des avertissements ou menaces voilées d'Hillary Clinton, celle-ci plaidant dans le désert pour une énième «reprise de dialogue» entre Palestiniens et Israéliens.

 Quel intérêt pour le Premier ministre israélien, à la tête d'un pays de sept millions d'habitants, d'aller insulter chez lui, son principal allié, voire unique soutien, le responsable des Etats-Unis, toujours 1ère puissance mondiale ?

Tel-Aviv humilie Washington Certes, Benyamin Netanyahou qui a passé une grande partie de sa vie aux Etats-Unis et qui en a gardé la nationalité, se sent idéologiquement très proche des néoconservateurs américains. Certes, le lobby pro-israélien (là-bas, le mot n'est pas tabou et l'AIPAC se présente comme tel) est fort puissant, très influent dans le monde économico-politique, ralliant bien au-delà de la communauté juive américaine, jusqu'au « Christians United for Israel », un mouvement chrétien aussi ultraconservateur, qu'exalté. Il n'empêche. Il n'est pas de très bonne politique d'aller insulter Barak Obama dans sa capitale alors que le sort d'Israël ne dépend que du soutien diplomatique, militaire et financier des Etats-Unis.

 La Maison Blanche, après les folles erreurs de l'unilatéralisme armé de George Bush, peine à retrouver son leadership mondial. Pire, ses prétentions réaffirmées de puissance mondiale sont ouvertement contredites par son petit allié au Moyen-Orient qui mêle constamment des rodomontades internes (« Israël ne se laissera pas imposer une politique étrangère par les Etats-Unis ! », refus de toute transaction avec l'OLP et le Hamas, menaces répétées d'une opération militaire contre l'Iran?

 Certains commentateurs expliquent cette raideur de Netanyahou par la fragilité de sa coalition politique qui englobe les Travaillistes, le Likoud et diverses formations ultrareligieuses ou d'extrême droite, front hétéroclite dont la seule conviction commune est: « il faut ne rien céder, tout ce qui est pris est bon à prendre, chaque jour de gagner consolide le tout ». Des voix plus sérieuses comme le quotidien israélien «Haaretz», soulignent, a contrario, l'isolement exceptionnel d'Israël sur le plan international, la dégradation profonde de son image publique dans le monde, l'impossibilité de jouer en contre avec les Etats-Unis? Mais tous ces propos de bon sens n'intéressent pas les députés de la Knesset, tous occupés à leurs marchandages pour les futures échéances électorales locales.

 Cette situation hurluberlu va même jusqu'à indisposer le Pentagone, pourtant réputé aux Etats-Unis comme très pro-israélien. Le général américain David Petraeus, qui a orchestré la reprise du contrôle de la situation militaire en Irak, est qui est présenté comme un candidat probable du camp républicain aux prochaines présidentielles, vient de critiquer publiquement la politique israélienne et la poursuite de la colonisation. Pour ce haut-gradé qui dirige le CENTCOM, l'Etat-major central qui chapeaute notamment les opérations américaines en Afghanistan, au Pakistan et en Irak, les réactions négatives des pays du Proche-Orient se nourrissent tant des excès de la répression en Cisjordanie, à Gaza que dans les menaces de l'Etat hébreu face à l'Iran. «La colère arabe à propos de la situation en Palestine limite la profondeur et la solidité des partenariats entre les Etats-Unis et les gouvernements et les populations de la région», a déclaré le Général Petraeus devant la Commission des armées du Sénat, le 17 mars.

Obama embourbé dans la politique étrangère Incapables de maîtriser les foucades du petit allié israélien, comment les Etats-Unis pourraient-elles, en effet, imposer un nouveau leadership alors que ce pays continue de traverser une passe difficile de ses relations internationales ?

 Car pour Barak Obama, chaque jour apporte son lot de désillusions. L'excellent site de géopolitique De Defensa citait cette semaine de nombreux points sensibles:

 - Des relations américano-israéliennes, proches d'une tension « sans précédent ».

 - « Des développements décisifs affectent la grande manœuvre US lancée en 2005 pour faire entrer l'Inde dans ses conceptions et ses réseaux stratégiques, notamment en la séparant de la Russie et en l'opposant à la Chine. Désormais, l'Inde est de plus en plus amenée à admettre qu'elle a été manipulée dans cette entreprise et qu'un réalignement correspondant à son engagement dans le groupe BRIC (Brésil, Russie, Inde , Chine) est de son intérêt autant qu'il apparaît évident à tous. »

 - Des difficultés sérieuses avec la Russie, notamment dans la renégociation de l'accord Salt-II, de contrôle des armes nucléaires

 - Des rapports tendus avec la Chine sur le front économique, notamment sur la question sensible de la sous-évaluation du Yuan

 - Une certaine prise de distance de l'Union européenne qui s'agace du rôle diplomatique marginal dans lequel Barak Obama semble la contraindre et qui s'émeut du nouveau protectionnisme américain, notamment dans l'industrie de défense avec un très vif affrontement entre Boeing et Airbus sur le dossier des avions ravitailleurs en vol KC-45 de l'USAF.

 - La persistance de relations difficiles des Etats-Unis avec sa frontière Sud, qu'il s'agisse du Mexique et plus largement des pays d'Amérique latine.

 Rajoutons à cette longue liste ce qui est ancien, la poursuite de la menace terroriste, l'extrême difficulté des troupes américaines à se dégager de guerres ingagnables à terme, l'Irak et l'Afghanistan, et ce qui est plus nouveau, comme le refroidissement des rapports entre Washington et Istanbul.

 Copiant la stupide initiative des parlements français et européen, la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants américaine a approuvé, jeudi dernier, une résolution sur la reconnaissance du « génocide » arménien par la Turquie, en 1915. Le texte voté par 23 voix contre 22, appelle le président américain à «qualifier de façon précise de génocide, l'extermination systématique et délibérée de 1.500.000 Arméniens».

 La réponse turque ne se fit pas attendre: Ankara a rappelé son ambassadeur. La Turquie, hier principal allié des Etats-Unis dans la région avait déjà pris ses distances avec Washington, lors de l'invasion de l'Irak et avec l'autre allié israélien lors de la dernière guerre du Liban.

 Dans la conjoncture moyen-orientale, la prise de position radicale du Sénat américain sur ce débat, véritable champ de mines diplomatique et polémique, vieille de près d'un siècle qui ne devrait relever aujourd'hui que du seul jugement des historiens, ne pouvait qu'être mal vécue par la Turquie, alors que les relations turco-arméniennes prenaient enfin un bon détour dans les derniers mois.

«Yes, we can! Yes we did!» On peut le faire ! Et on l'a fait !

N'accablons pas trop Barak Obama. C'est un homme d'Etat qui a de grandes ambitions pour son pays, qui a une véritable intelligence sur la situation du monde, et qui sait faire preuve d'une grande et longue détermination.

Il a, cette semaine, imposé à force d'opiniâtreté (et quelques compromis sérieux) une réforme sociale historique : la couverture sociale universelle pour tous les citoyens américains. Le projet progressiste était vieux d'un siècle, sept présidents ont échoué à réaliser cette conquête profondément démocratique qui vise à n'écarter aucun citoyen ou résident de la couverture des soins de santé.

 Cette réforme est passée de justesse: par 219 voix contre 212, la plus importante réforme sociale depuis 1965, permettra à 31 millions d'Américains de ne pas mourir dans la rue, faute de soins (même s'il reste pendant, le solde de 11 millions de sans-droits, sans compter la non chiffrable population des immigrés clandestins, notamment mexicains).

 La bataille fut épique : le Parti Républicain, les lobbies de l'industrie pharmaceutique, du corps médical privé, des sociétés d'assurances, toute l'Amérique conservatrice qui voit dans la Sécurité sociale soit une resucée du communisme, soit une incarnation du diable, s'est levée d'un bond pour combattre quasi les armes à la main, cette très profonde mesure progressiste.

 Son coût ? Pas mince : 940 milliards de dollars sur dix ans. Il faut noter toutefois, que dans une période de rétraction économique, c'est également un moyen astucieux et redistributif, de soutenir une consommation intérieure chancelante?

 «Nous avons prouvé que nous restons un peuple capable de grandes choses», a lancé Barack Obama après l'adoption de la réforme du système de santé dimanche soir. En gagnant cette bataille, en réussissant à convaincre des opposants au sein du Parti démocrate, le Président américain n'a pas fait qu'une réforme historique dans le contexte des Etats-Unis, il a montré une détermination et un sens tactique qu'il faut saluer. Dans les trois derniers mois, peu de commentateurs pariaient sur sa capacité à sortir de ce dossier embourbé, alors que tous les forts de son agenda (politique extérieure, réforme financière, changements climatiques?), semblaient paralysés. Yes, he can !

 France : Non, il ne peut pas !

Ce succès impromptu paraîtra un peu cruel à Nicolas Sarkozy. Lui qui depuis trois ans, semble vouloir donner des leçons de réforme à la terre entière et surtout au nouveau président américain, se retrouve dans la situation humiliante de voir sa majorité réduite à un quart de l'électorat (qui vote, au 8e des inscrits), ses «réformes » inabouties et aussi bien contestées à sa gauche comme à sa droite, son parti unique, l'UMP, qui rue dans les brancards, une opposition qui se persuade avoir enfin effectuer sa sortie du désert.

 On sent Nicolas Sarkozy, toujours à avoir raison contre tout le monde, un peu éberlué par l'ampleur du désaveu. Ses premières réactions paraissent un peu contradictoires. Il se déclare à l'écoute du message adressé par les électeurs mais ne change rien sur un programme de «réformes», extrêmement peu populaires. Ecologiste hier, il abandonne aujourd'hui la «taxe carbone» destinée à pénaliser les pollueurs. Mais il ne touche pas au très impopulaire «bouclier fiscal» qui protège les Français les plus fortunés.

 Le président français a un grand sens tactique mais un caractère parfois très obstiné et convaincu sur sa propre valeur. L'homme a du ressort. Mais il manque de constance. On cherche encore où est le grand projet.