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M. Ouyahia parle
de retraite. Celle des autres, pas la sienne. Et, comme toujours, il a recours à
la méthode qu'il connait le mieux : l'interdit.
Le gouvernement algérien a inventé toute une panoplie de procédures pour affronter un problème. Mais affronter un problème ne signifie pas le résoudre, loin de là. En fait, le gouvernement se contente d'en parler, d'organiser des conférences et des salons sur la question, de produire des tonnes de documents et de procédures, sans jamais apporter de solution définitive. Le plus souvent, cependant, le gouvernement ignore le problème, jusqu'à ce que la crise atteigne un tel degré de gravité qu'elle menace les grands équilibres du pays. Les ministres algériens étaient ainsi les seuls au monde à ne pas être au courant de la hausse vertigineuse des importations, qui ont pratiquement doublé entre 2006 et 2008, comme ils ont longtemps occulté le phénomène des harraga, ou encore les grèves lancées par les syndicats autonomes, ainsi que les centaines d'émeutes, avec routes barrées, engagées par des citoyens ne trouvant pas d'interlocuteur pour régler leurs problèmes quotidiens. Quand il n'est plus possible d'ignorer le problème, le gouvernement prend des mesures brutales, sans concertation, ni réflexion sérieuse. Ce sont des décisions autoritaires, prises sans en mesurer l'impact réel sur le pays. Ainsi, interdire, du jour au lendemain, le crédit à la consommation a un peu gêné l'achat de véhicules par des particuliers, mais n'a résolu ni le problème du transport, ni la faiblesse ou l'inexistence de la production nationale. Le seul résultat immédiatement visible est une gêne supplémentaire pour les consommateurs, qui ne comprennent pas comment on peut, du jour au lendemain, mettre fin à une procédure sur laquelle ils comptaient pour alléger un peu les difficultés de la vie quotidienne. Il arrive aussi, et même souvent, que le gouvernement apporte une mauvaise solution à un vrai problème, comme ce fut le cas de la toute dernière mesure annoncée par M. Ahmed Ouyahia, concernant la suspension de la procédure offrant aux travailleurs la possibilité de bénéficier d'une retraite anticipée. A priori, M. Ouyahia a raison de s'inquiéter de l'orientation grave que prend le dossier de la sécurité sociale. Mais l'argumentaire présenté par M. Ouyahia pour s'attaquer à ce problème est erroné, ce qui l'amène à adopter une méthode inefficace pour proposer de fausses solutions. Le Premier ministre a concentré son argumentaire sur les difficultés financières de la caisse de retraite. Or, le déficit de cette caisse est le résultat d'une politique erronée, et peut parfaitement être corrigé. A condition de corriger les erreurs commises en amont. En Algérie, on permettait à un travailleur de prendre une retraite anticipée après « trente-deux années de service », selon la formule consacrée. Quand il est cadre supérieur, ou député, il peut partir à la retraite après seulement vingt ans. De telles mesures pouvaient avoir leur justification en leur temps : la population était jeune, la main-d'oeuvre abondante, et le pays comptait très peu de retraités. En outre, le pays avait le souci de protéger les rares cadres dont il disposait. Il voulait les mettre à l'abri du besoin, pour leur permettre de vivre dans la dignité et les mettre à l'abri de toute sollicitation. Depuis, la situation a radicalement changé. L'espérance de vie s'est considérablement allongée, faisant exploser le nombre de retraités. Dans le même temps, l'instabilité du marché du travail a poussé des milliers de personnes à quitter l'entreprise publique ou l'administration, considérant que la retraite proportionnelle pouvait constituer un filet de sécurité. Ce départ massif a eu un double impact. D'une part, il a concerné les éléments les plus dynamiques, qui ont tenté l'aventure. D'autre part, il a vidé les administrations et entreprises publiques de cadres ayant atteint la cinquantaine, c'est-à-dire ceux qui ont accumulé le maximum d'expérience. Peut-on le leur reprocher, eux qui pouvaient doubler leurs salaires en changeant d'entreprise ? C'est là que se situe l'erreur de M. Ouyahia. Il a agi de manière brutale, autoritaire, en ayant recours à ce qu'il maitrise le mieux : l'interdit. A aucun moment, il n'a tenté de convaincre. Il a aussi commis une autre erreur, plus grave. Il ne s'est pas demandé comment un ingénieur ayant accumulé vingt-cinq ans d'expérience touche encore quarante mille dinars par mois, alors que n'importe quelle entreprise étrangère installée en Algérie offre au moins deux fois plus pour le même travail accompli quelques kilomètres plus loin. Ceci sans parler des possibilités de s'expatrier pour faire fortune. La correction doit donc concerner en premier lieu le niveau des salaires dans l'entreprise publique et l'administration, comme d'ailleurs dans le secteur de l'enseignement supérieur, les finances, etc., autant de secteurs qui enregistrent une véritable saignée en matière de personnel de haut niveau. Ainsi, au lieu de distribuer du revenu par le biais d'une retraite proportionnelle à des gens qui ont décidé de travailler au noir pendant quelques années, il est préférable de donner de vrais salaires à des cadres compétents qu'il s'agit de motiver pour les garder au sein de l'administration ou de l'entreprise publique. Quant au système de retraite, il doit naturellement trouver la solution par la négociation, avec les vrais représentants des travailleurs. On peut ainsi imaginer un allongement progressif de la durée de cotisation, pour la porter autour de quarante ans dans un délai de dix à quinze ans. C'est un chantier qui peut être lancé, pour le voir aboutir au bout de deux ou trois ans, après un vrai débat, et de vraies négociations, avec les vrais représentants des travailleurs. Mais il faudrait, pour cela, un gouvernement convaincu de la nécessité du dialogue, ce qui ne semble pas être encore le cas du gouvernement actuel : le dialogue ne sera visiblement de mise que lorsque M. Ouyahia sera à la retraite. |
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