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Economie algérienne : coup de tonnerre gouvernemental en plein été

par Pierre Morville

Les dernières décisions du gouvernement en matière de crédit à la consommation sont justes, maladroites et incomplètes.

Le gouvernement algérien a pris au creux de l’été une série de mesures économiques qui suscite une kyrielle de questions tant auprès des acteurs concernés, au premier rang desquels la population algérienne, ses entrepreneurs, ses médias, l’environnement régional, les investisseurs étrangers. Il faut recadrer ces décisions importantes dans le contexte des politiques actuelles des Etats confrontés à une crise d’ampleur et sans équivalents historiques.

 Dans l’ensemble méditerranéen, nord et sud, l’Algérie jouissait jusque-là d’une situation d’exception, étant le seul ou l’un des rares pays créditeur net tant en matière de balance d’exportation que de dettes extérieures.

 Cette situation privilégiée et vertueuse a été, comme partout, mise à mal par l’émergence d’une crise économique mondiale, entraînant une grave et subite dégradation du solde des échanges extérieurs. Les premières mesures imposées, par ordonnances du complément de la loi de finances 2009, répondent-elles aux attentes de la situation ?

 Naturellement, elles ont fait surgir inquiétudes et critiques. Celles-ci visent tant le fond que la forme. Les consommateurs et les entrepreneurs se sont indignés d’une série de décisions, prises sous ordonnances, sans consultations ni débats, qui vont réduire la demande interne. Une série de mesures techniques ne vont pas, c’est le moins que l’on puisse dire, faciliter la vie des clients des banques et des entreprises importatrices de biens essentiels ou accessoires, ni renforcer la confiance des entreprises étrangères déjà frileuses en matière d’investissements en Algérie. Sans nul doute eût-il fallu un peu de pédagogie et quelques délais. Sauf si le gouvernement a voulu jouer un effet «coup de tonnerre»...

 Certains n’hésitent pas à qualifier les dernières mesures de «poutiniennes», en référence à la reprise en main musclée de l’économie russe par Vladimir Poutine.
 
Il y a pires critiques. Le leader russe a en effet réussi dans un climat hyper-libéral et libre-échangiste à l’excès, à redresser, nationalisations et contrôle des changes à l’appui, une économie agonisante après la cure globalisation marchande que lui avait infligé le FMI, sous la houlette du divaguant Eltsine. Mais tous les dirigeants du monde actuel doivent trouver les mesures efficaces pour faire face à une situation dangereuse et changeante.
 La donne internationale a changé et c’est à cette aune qu’il faut mesurer les dernières décisions du gouvernement algérien.
 


Au cœur de la crise, la demande interne
 


La crise ouverte par la faillite de Lehmann Brother est nouvelle, c’est-à-dire qu’elle est sans précédent connu. Certes, le capitalisme (puisque c’est son nom...) nous a habitués à des crises cycliques qui ont mobilisé tous les aspects de la crise actuelle: spéculations boursières, fonte brutale des actifs financiers, récession puis dépression économique à une échelle planétaire...

 Mais trois facteurs en font une crise originale: davantage que son ampleur, c’est la rapidité de la diffusion planétaire des effondrements boursiers et bancaires, suivie d’une récession mondiale qui est le trait, à mes yeux, novateur de cette crise. Bien sûr, la mondialisation et la circulation instantanée des capitaux à travers le monde expliquent cette «pandémie» foudroyante. Mais l’un des arguments-clés donné par les tenants de l’ouverture absolue des mouvements des capitaux était justement que cette circulation devait préserver l’économie mondiale d’un collapsus généralisé: en cas de crise dans une région du monde (par exemple les USA), la croissance perdurerait par le relais d’autres économies régionales comme les pays en émergence. Contrairement aux espérances, l’effondrement fut global.

 La seconde novation est le caractère massif, généralisé et rapide des interventions étatiques. Après trente ans d’idéologie libérale où «l’Etat n’est pas la solution mais le problème», le gouvernement américain a investi ou plus précisément misé (dans le sens d’un pari effectué avec des sommes qu’on ne possède pas et sur un résultat improbable) 5.700 milliards de dollars pour sauver son système financier et une partie de son appareil industriel. Le PNB américain s’élève à 13.800 milliards de dollars. Le PNB mondial s’estime à environ 50.000 milliards de dollars. A titre de comparaison, le portefeuille de «produits dérivés» de la seule banque Morgan s’élevait à 43.000 milliards de dollars.

 Troisième phénomène, plus commun: cette crise a pris de court le capitalisme et l’ensemble de ses relais étatiques, institutions internationales, «milieux d’expertise», médias...

Cette «crise de la finance déréglementée», pour reprendre l’expression de Frédéric Lordon, débouche sur une remise en cause radicale de tous les fondements de l’ultralibéralisme économique qui est le discours dominant depuis plusieurs décennies: toute-puissance des marchés, nécessairement autorégulés, culte de l’actionnaire-roi et omniscience du «management», inefficacité de l’intervention étatique, nécessité d’une déréglementation généralisée, refus de tout «protectionnisme» ou mécanisme protecteur en matière économique, fiscale, monétaire ou sociale... Toute cette vulgate est totalement prise à contre-pied.
 Troisième leçon: cet effondrement des dogmes libéraux ne connaît qu’une seule exception: la sortie de la crise passera par la pression habituelle sur les revenus du travail ! Alors que la crise mondiale provient justement de l’affaiblissement constant de la demande interne...

 C’est cette contradiction qui est visible pour tous et notamment pour les premiers concernés, les salariés de tous les pays, qui étend et transforme cette crise économique et monétaire, en une crise idéologique mais également en une crise morale très profonde.
 


Baisse en valeur des exportations, hausse des importations



Dans les mesures gouvernementales de la rectification de la loi de finances, la disposition qui aura le plus d’impact dans la population sera sans nul doute l’interdiction faite aux établissements financiers de distribuer des crédits à la consommation. Le gouvernement souhaite en effet donner un coup d’arrêt aux prêts à la consommation aux particuliers, selon les analystes pour limiter les importations au moment où les recettes issues du pétrole et du gaz sont en chute libre. Les effets de la décrue du baril passé l’an dernier de 160 à 75 dollars se font en effet sentir avec un effet retard grâce aux contrats annualisés. Le gaz et le pétrole représentent 97% des exportations algériennes, la chute des cours a divisé par deux les recettes alors que les prix des produits importés, comme les voitures, bien d’équipements ménagers ou l’alimentation continuent de progresser.

 La mesure risque d’être fort impopulaire, les ménages algériens ayant largement recours au crédit à la consommation pour obtenir des produits qui, sinon, ne leur seraient pas accessibles, quitte à alourdir dangereusement le poids de leur endettement. L’autre raison au blocage du crédit à la consommation est l’absence ou l’insuffisance d’un tissu national d’entreprises produisant des biens de consommation.

 Après la crise financière de l’automne 2008, l’importation devient un recours dangereux, du fait d’un possible redémarrage rapide et puissant de l’inflation. Avant la récession actuelle, les mouvements spéculatifs, combinés à une croissance de la demande avaient fait chuter les matières premières, au premier rang desquels les produits énergétiques. Jusqu’au mois de novembre 2008, l’Algérie a réalisé un excédent commercial de 41,93 milliards de dollars, contre 29,22 milliards de dollars durant la même période de l’année 2007, selon des chiffres du Centre national de l’informatique et des statistiques (CNIS), relevant des services des Douanes.

 Les exportations, atteignant 76,10 milliards de dollars, sont composées à quelque 97,66% d’hydrocarbures. Quant aux importations, elles ont atteint les 34,16 milliards de dollars, contre 24,96 milliards de dollars pour les onze premiers mois de 2007, soit un accroissement de 36,87%. Toujours selon la même étude, les exportations hors hydrocarbures restent marginales, ne dépassant pas 2,2 Mds $ au cours de la période de référence, soit 2,34% du volume global.

 Selon les statistiques des Douanes, les exportations algériennes ont atteint 20,7 milliards de dollars en valeur au premier semestre, en baisse de 46,5% par rapport à la même période de 2008. L’excédent commercial est passé de 19,75 milliards pour les six premiers mois de l’an dernier à un milliard pour le premier semestre de cette année.

 Les réserves pétrolières et gazières constituent un élément structurel du développement algérien. Ce pays a réussi dans la dernière décennie la transformation et la consolidation du secteur-clé: «A plus long terme, l’Algérie recherche une remise à niveau de ses cadres et la modernisation des moyens d’extraction, de transformation et de commercialisation de ses ressources, quitte à abandonner la propriété de la richesse extraite au contractant, qu’il soit national ou étranger.» Une révolution ? Plutôt un mal nécessaire selon le président Abdelaziz Bouteflika, pour qui «la souveraineté réelle sur les ressources énergétiques s’exprime de plus en plus à travers la performance des acteurs nationaux qui doivent se hisser à un standard mondial de plus en plus exigeant [...]. Le poids pétrolier des Etats producteurs sera à l’avenir davantage déterminé par les performances de leurs compagnies nationales que par le niveau de leur production nationale ou de leurs réserves1(...)

Les enseignements de la déroute des années 1980 ont été tirés. Entre 2005 et 2008, la production de gaz naturel passe de 146,2 à 171,1 milliards de m3. Sur la même période, la production de pétrole brut augmente de 51,1 à 57,9 millions de tonnes. La production commercialisée suit la même courbe puisqu’elle passe de 146,1 à 162,5 millions de tonnes équivalent pétrole. En 2008, l’assise financière de l’Algérie est de 51 Mds $, soit l’équivalent de 24 mois d’importations.»*

 Cette réforme réussie des industries énergétiques ne doit pas masquer les grandes faiblesses de l’économie algérienne: absence d’un tissu industriel, faiblesse des secteurs de production des biens de transformation ou de consommation, dépendance en matière chimique ou pharmaceutique, poids de l’économie «informelle» (autour de 18% du PIB), système bancaire et financier archaïque...

 Plus inquiétant: l’Algérie a importé pour 7,02 Mds $ de produits alimentaires durant les onze premiers mois de 2008 contre 4,37 Mds $ à la même période en 2007, soit une augmentation de 60,45%.*

 La décision du gouvernement algérien de réduire drastiquement le crédit à la consommation et de contrôler plus strictement les investissements étrangers paraît donc parfaitement justifiée même si les ordonnances prises auraient demandé plus d’effort de communication et de pédagogie. Les éventuelles critiques qui ne manqueront pas d’émaner du FMI, de l’OMC ou de l’Union européenne buteront sur le simple constat suivant: les mirifiques projets annoncés par l’«Union pour la Méditerranée» se sont brusquement évanouis sous l’effet combiné de l’affaiblissement des capacités d’investissement des entreprises européennes et de la «renationalisation» des politiques économiques des pays de l’UE. A l’heure du «chacun pour soi», il est légitime que l’Algérie défende d’abord les intérêts de sa nation.

 Mais dans ce jeune pays qui a toujours vécu dans la direction de sa politique économique, l’affrontement entre «dirigistes» et «libéraux», le gouvernement algérien devra aborder de front quelques dossiers cruciaux pour trouver les bonnes solutions à cette sortie de crise mondiale. Les rentes garanties pour au moins trois décennies de l’énergie pétrolière et gazière devraient prioritairement être affectées à:
- l’objectif de l’autosuffisance alimentaire dans un pays qui fut le «grenier à blé» de l’empire romain;
- la confirmation des investissements déjà réalisés en matière de grands travaux et la contribution budgétaire sur l’éducation et la recherche;
- le relèvement du pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes, et notamment de la population des fonctionnaires d’Etat et des collectivités territoriales.
 Cet effort doit être soutenu par deux réformes d’importance:
- une fiscalité transparente, énergique et fortement redistributive;
- une profonde réforme de l’ensemble du système bancaire, avec en premier lieu, la Banque centrale. Au fait, comment ont été placées les réserves de l’Etat algérien pendant ces folles années de spéculation ?



Jeanson - Reiss : un républicain, une otage



Depuis le 1er janvier, on compte 500 millions d’Européens. Un nous a quittés, l’autre est retenue en Iran. Francis Jeanson, fondateur d’un réseau de soutien au FLN pendant la guerre d’Algérie (réseau dit des «Porteurs de valise»), est mort à 87 ans.

 Dans «Notre guerre», un livre paru en 1960 et immédiatement saisi, il s’était expliqué sur son combat, répondant à ceux qui lui reprochaient de soutenir les ennemis de son pays, qu’il défendait les valeurs de la France qu’elle-même trahissait.
 
Clotilde Reiss, jeune étudiante française, est poursuivie par un pouvoir iranien déstabilisé, pour «espionnage». Il se trouve que cette jeune femme est dans un «environnement amical», proche de ma famille. Ce détail personnel n’aurait aucun intérêt dans cette chronique, s’il ne m’avait pas définitivement convaincu de l’absolue innocence de cette lectrice qui a appris par amour de la culture iranienne, la langue perse et qui s’est fait arrêter au pied de son avion de retour à Paris, par un pouvoir militaire contesté, bien plus putschiste que républicain.

Universitaire, admiratrice du pays qui l’avait accueillie, sans autres convictions que simple démocrate: si Clotilde est une Mata-Hari française, alors moi, je suis archevêque !

* L’Algérie des réformes économiques : un goût d’inachevé (IFRI).