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Fallait-il interdire les crédits à la consommation ?

par Mohamed Chabane*

La décision d’interdire l’octroi de crédits à la consommation aux particuliers dans la conjoncture actuelle est-elle justifiée ? L’application de cette décision aura-t-elle des retombées positives sur l’économie nationale ?

Faut-il accepter d’avoir des centaines de milliers de foyers surendettés comme dans les pays développés ou mettre une barrière efficace à cette situation en supprimant purement et simplement les crédits à la consommation ? Répondre à ces questions n’est certainement pas une tâche facile et nécessite une profonde étude de l’impact de cette mesure sur la consommation en particulier et l’économie locale en général.

 Dans tous les cas, l’application de cette mesure est une preuve de plus de l’invisibilité à long terme, l’absence de planification et l’incohérence des orientations économiques dans le pays.

 Même si cette opération est émanante de l’appréhension des autorités de voir un surendettement drastique des ménages, cette crainte à l’heure actuelle est incompréhensible et irrationnelle, de fait de l’encadrement draconien du crédit à la consommation en Algérie par les banques elles-mêmes avant que ça soit par l’Etat.

 Elle serait justifiée au nom de la protection de la souveraineté de l’industrie nationale, si celle-ci possédait déjà une base capable de répondre qualitativement et quantitativement à la demande locale, or, l’industrie algérienne est réunie et quasi inexistante. Elle est contrariée depuis longtemps, par un environnement financier et commercial hostile à son développement. Sa part du PIB ne représentait que 4,39% du PIB en 2008.

 Cette action serait intelligible si les montants destinés aux crédits à la consommation accordaient étaient des montants faramineux au risque de créer une grave insuffisance de fonds propres des établissements de crédits ou l’incapacité de ces derniers à faire face à leurs engagements, or, la totalité du crédit à la consommation ne représente qu’un marché d’un milliard de dollars.

 Le risque de voir une intervention publique pour maintenir le financement et la recapitalisation des fonds propres des banques pour éviter leurs faillites à cause de la crise des emprunts comme dans les pays industrialisés est extrêmement minime.

 En tous les cas, l’entrée en vigueur de cette mesure aura plusieurs effets néfastes à court et à long terme sur l’économie algérienne. Hormis qu’elle rétrécit encore plus les capacités financières et le pouvoir d’achat de la tranche moyenne de la population, excepté qu’elle risque d’accentuer les tensions sociales déjà culminantes de fait des inégalités grandissantes, cette mesure va obligatoirement ternir l’image déjà sombre de l’économie algérienne et va lui ôter tous ce qui reste de crédibilité. En effet, l’Algérie qui opte pour l’arrêt des crédits à la consommation, sans préavis, va perpétuer l’altération de l’image de son économie déjà sinistrée et mal vue par les opérateurs économiques internationaux. D’après le dernier classement Davos du «World Economic Forum Annual 2009», l’Algérie pointe à la 99ème place en termes de compétitivité économique. Elle se classe la dernière au Maghreb, après la Tunisie (36ème), le Maroc (73ème) et la Libye (91ème). Elle recule par rapport à son classement en 2007 (81ème) et 2006 (77ème). En matière de lutte contre la corruption, l’Algérie occupe la 92ème place après le Maroc (80ème) et de loin derrière la Tunisie (62ème). D’après le même rapport, l’Algérie pointe à la dernière place au monde (sur 134 pays) par rapport à la sûreté des banques. Le rapport classe l’Algérie à la 15ème position sur les 19 pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord en matière de climat des affaires. Elle se classe derrière le Maroc (128ème place) et très loin derrière la Tunisie (74ème place) attirent nettement plus d’opérateurs économiques. Les deux pays favorisés par leur climat d’affaires, leurs législations commerciales et surtout la confiance des acteurs économiques dans la souplesse, la transparence et à la crédibilité de leurs systèmes administratifs par rapport au système algérien.

 Le résultat est là. les Investissements Directs Etrangers (IDE) provenant de l’Europe ont chuté en 2008 de 50% par rapport à 2007 tant en flux qu’en nombre de projets. On enregistre près de 29 projets d’IDE valant 907 millions d’euros en montants brut en 2008 contre 60 projets d’IDE pour une valeur de 1,8 milliards d’euros en 2007. Les flux d’IDE en provenance de pays Méditerranéens s’effondrent également en 2008, tombant à 169 millions d’euros contre 2,3 milliards d’euros en 2007. Hormis l’activité des hydrocarbures, le reste des secteurs ne bénéficient que de très peu d’IDE, sinon d’investissements purement spéculatifs à court terme. Interdire le crédit à la consommation ne représente qu’une marche en arrière dans le processus d’attirer des investisseurs étrangers en Algérie. Elle représente une mesure antagoniste à la logique économique de consommation, à l’ouverture commerciale du pays et à la transition vers l’économie du marché.

 Face à la sévère crise que traverse le monde depuis 2008 et en prévision d’un éventuel écroulement plus drastique que connaissent les recettes des hydrocarbures aujourd’hui, on aurait préféré voir des mesures plus concrètes pour gagner le pari d’une croissance réelle, pour renforcer le marché intérieur, pour permettre de résorber le chômage afin de réaliser un développement rapide assurant la réussite d’une transition d’économie rentière à une économie productive. L’urgence est là et non pas dans l’annonce d’actions sans aucune portée positive à l’économie algérienne.

 

*Laboratoire d’Economie et de Sciences Sociales de Rennes