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Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis !! Antoine de Saint-Exupéry (1) Le paysage bancaire et financier en Algérie a été pris de court par la loi de finances complémentaire 2009, notamment sa disposition relative à l’interdiction faite aux banques d’octroyer des crédits à la consommation aux ménages (sauf les crédits immobiliers) (2). Observateurs, analystes et banquiers sont divergents quant aux motivations et aux conséquences de cette décision. Certains estiment qu’elle est inattendue et surprenante car ce produit est largement apprécié par les ménages eux-mêmes qui en ont recours systématiquement afin de subvenir à leurs besoins. D’autres pensent qu’elle est logique et bénéfique pour tout le monde notamment pour l’économie nationale et sa balance des paiements, qui commence à se détériorer sérieusement (3). Enfin, une autre partie ne cache pas sa déception et son incompréhension face à une décision fort préjudiciable à ses activités notamment pour les concessionnaires, les commerçants, et pour certaines banques privées qui ont fait de ces crédits des produits phares (des agences entières, voire même des filiales, ont été dédiées aux crédits aux ménages). Mais ils sont tous d’accords et unanimes sur un point : cette décision sera sûrement impopulaire !!! Quelles sont les motivations profondes et sincères de cette décision ? Quelle est la réalité de l’endettement causé par les crédits à la consommation aux ménages algériens ? Quelles sont la position et la situation des banques et des entreprises impliquées dans cette activité ? Quels sont les enjeux et conséquences qui découlent de cette décision ? Quelles sont les solutions et les alternatives disponibles pour l’ensemble des intervenants dans ce produit (entreprises, banques, Etat, ménages) ? Cette interdiction concerne-t-elle uniquement les banques au sens propre et juridique du terme, ou sera-t-elle généralisée même aux établissements financiers ? Bien d’autres questions sont restées sans réponses claires et convaincantes. A travers cette modeste contribution, nous allons essayer d’apporter des éléments de réponse et des clarifications techniques, économiques et financières que certains ne connaissent probablement pas, que d’autres occultent délibérément pour des raisons financières et qu’un troisième groupe n’admet pas comme motifs à une telle décision. Pour comprendre les raisons et les motivations des uns et des autres, pour cerner de près les arguments qui prévalent dans les réactions des uns et des autres et pour rappeler à nos concitoyens les réalités qu’ils ne maîtrisent probablement pas, nous allons passer en revue quelques évidences économiques et financières : Première évidence : Le crédit à la consommation n’est pas seulement le crédit automobile. Il est aussi ce crédit destiné à financer des formations, destiné à meubler appartements et maisons, destiné à améliorer le bien-être de la famille, destiné s’équiper et à doter son foyer en matériel informatique, c’est également ce crédit destiné à pallier des besoins urgents et imprévus des ménages (avances pour le budget de Ramadhan, avances pour le budget de l’Aid ou de la rentrée scolaire, avances pour mariage). Un autre aspect longtemps promu et défendu par des membres de ce même gouvernement, notamment le ministre des TIC, sera carrément suspendu à savoir celui de l’opération OUSRATIC. Toutes ces formes de crédits sont classées dans la catégorie des crédits à la consommation. Par ailleurs, au sens juridique du terme, les banques sont différentes des établissements financiers sur plusieurs plans (voir toutes les lois relatives à la monnaie et au crédit). Cette interdiction n’a cité nommément que les banques. Alors logiquement et juridiquement, les établissements financiers continueront à faire du crédit à la consommation aux ménages jusqu’à promulgation de nouveaux textes plus clairs. Deuxième évidence : Le pouvoir d’achat des ménages algériens s’est fortement détérioré ces dernières années malgré les augmentations sensibles et successives des salaires. En effet, cette détérioration est due, d’une part, à l’évolution et au développement fulgurant des besoins des ménages algériens, notamment les citadins, et l’apparition de nouveaux besoins coûtant en terme de budget (téléphonie mobile, Internet, formation privée, tourisme et voyages, soins privés) et d’autre part, l’évolution des prix souvent aléatoire, incontrôlée, non maîtrisée par les pouvoirs publics (nous avons tous vécu et assisté à des pics historiques des niveaux des prix de la pomme de terre et de la viande rouge, l’augmentation exponentielle des loyers des logements). Troisième évidence : La balance des paiements algérienne est structurellement dépendante de deux variables, à savoir les prix des hydrocarbures et l’importation de presque tous les besoins de l’économie nationale, notamment tout ce que le crédit à la consommation finance (automobiles, meubles et mobilier, matériel informatique, formation à l’étranger, soins médicaux à l’étranger). Ces dix dernières années, la veille économique et stratégique de l’Algérie a été bernée par les niveaux exceptionnels des prix des hydrocarbures et les niveaux historiques des excédents de la balance des paiements. Ceci a engendré des tendances au recours systématique à l’importation (cette observation concerne à la fois les agents économiques publics et privés). Quatrième évidence : Tous les investissements, à quelques exceptions près, consentis par les agents économiques en Algérie tendent, de manière directe ou indirecte, à renforcer les importations. Notons par exemples quelques-uns des plus significatifs : la réalisation de l’autoroute est-ouest qui est confiée à des étrangers (Kojal et Citic/Crcc) ce qui engendre des transferts de devises, l’importation de matériels et services techniques, voir même de main d’œuvre, la réalisation des stations de dessalement d’eau de mer ou de production d’électricité confiée également à des étrangers (General Electric, Acciona, Orascom), les investissements en partenariat avec des multinationales dans le secteur des hydrocarbures engendrent des transfert de dividendes, les grandes marques automobiles installées en Algérie pour la revente en l’état (importation de véhicules et de pièces de rechange). Cette observation est valable également sur presque l’ensemble des investissements lourds et consommateurs de devises. Rares sont les investissements destinés à la production de biens exportables et générateurs de devises à la nation. Cinquième évidence : Le marché financier et bancaire mondial est en crise. Les marchés rentables et sans risques comme celui de l’Algérie se raréfient de plus en plus. Les Etats interviennent de plus en plus dans cette sphère sensible mais vitale pour toute l’économie pour protéger les épargnants et le système bancaire de tout risque majeur de défaillance. L’Algérie est totalement dans son droit de vouloir faire de même afin de protéger ses citoyens de tout abus de la part des plus indélicats et de protéger ses banques de cette bulle grandissante de l’endettement des ménages Ces évidences conduisent à des conclusions claires de la part des observateurs et des personnes averties. Alors, sont-elles prises en compte par le gouvernement dans sa politique et ces décisions stratégiques ? Pourquoi certains experts critiquent-ils cette décision et ces mesures, donc ? Qu’avancent les uns et les autres comme arguments ? Des cadres du ministère des finances expliquent avec insistance que cette mesure vise des objectifs supérieurs de protection de l’économie nationale, des ménages algériens et des banques locales. D’après ce que nous avons constaté ou compris de ce qui a été avancé comme arguments déclarés ou visés par cette mesure, trois principaux émergent et légitiment la démarche : 1- Freiner les importations des biens de consommation et des automobiles vient en premier lieu. Leur évolution ne cesse de prendre de l’ampleur dans les importations totales du pays alors que leur apport à l’économie nationale est nul en terme de valeur ajoutée(4). En effet, pour les partisans de cette décision, ces produits coûtent chers en terme de devises, de coûts d’entretiens et d’équipements nécessaires à leur gestion efficace (routes, contrôles techniques, récupérations des déchets, accidents, embouteillages, pollution). Ils n’en voient aucune utilité économique, alors pourquoi continuer à les laisser accroître et compromettre davantage notre budget d’importation. On utilise même le terme de « danger pour les réserves nationales de change ». Alors cette décision est légitime, voir même vitale. 2- Le surendettement des ménages algériens vient en seconde position. En effet, les ménages algériens n’ont pas les moyens de faire face à leur trend de consommation et leur pouvoir d’achat a été érodé par les nouveaux et multiples besoins auxquels ils doivent subvenir. Ainsi, ils ont recours systématiquement aux crédits à la consommation et de façon exagérée, démesurée et parfois même au détriment de besoins basiques et essentiels à une vie décente. En l’absence d’un référentiel et d’une base de données fiables, les banques n’arrivent pas ou peu à cerner les capacités réelles d’endettement des ménages algériens alors, elles abusent dans le fait de leur faire crédit (comprendre: crédit à la consommation). Autant arrêter et stopper ces abus avant qu’ils n’atteignent des proportions dangereuses pour toutes les parties. En supprimant définitivement ce produit on élimine les risques d’impayés à la fois lourds et structurels pour les banques et, on supprime les risques de surendettement et d’insolvabilité pour les ménages. 3- Le troisième argument penchant vers l’interdiction et motivant la décision est celui de la volonté du gouvernement de renforcer le secteur du crédit hypothécaire. Au lieu de gaspiller les revenus des ménages dans des dépenses de consommation autant les orienter vers les dépenses d’équipement (accès au logement). Pour eux, le secteur du crédit hypothécaire a été étouffé, dans notre pays, par le crédit à la consommation car les banques ne font pas les efforts nécessaires pour le développer et se concentrent uniquement, par souci de rentabilité rapide, sur les crédits véhicules et les crédits à la consommation. Alors, en supprimant ce produit, elles devraient s’orienter, de fait, vers le crédit immobilier et ainsi participer, obligatoirement, aux efforts de résolution du problème numéro un de l’Algérie, le logement. Ces arguments convaincraient les plus réticents que la décision d’interdire le crédit à la consommation est primordiale pour l’économie nationale. Elle pourrait même recueillir l’approbation et le soutien infaillible des partis politiques car ce serait une décision nationaliste, une décision conforme à l’éthique islamique, une décision fort économique pour préserver les réserves de change. Mais voilà que les détracteurs de cette décision qui sont nombreux pensent autrement et évoquent d’autres aspects omis, méconnus ou délibérément occultés par les chargés d’élaborer des solutions à ces soucis légitimes sus cités. Les détracteurs de cette décision, quant à eux, pensent que les importations sont là (souvenons-nous des évidences citées en haut). Elles sont le fait de la faiblesse de notre économie, de la faiblesse de notre production, de la faiblesse de notre productivité et de notre compétitivité. Le crédit à la consommation, en général, et le crédit automobile, en particulier ne représentent qu’une partie infime des chiffres abyssaux de l’importation de l’Algérie. La solution serait de mettre en place une stratégie claire de diversification de nos produits et de nos exportations hors hydrocarbures. En effet, il serait plus judicieux de profiter de cet essor de la consommation domestique pour mettre en place une industrie et un tissu de production locale répondant aux normes universelles et aux exigences des ménages algériens. Ailleurs dans les pays développés, la consommation domestique est le principal moteur de l’économie et parfois, elle bénéficie de systèmes de stimulation, de soutien et d’encouragement (primes à la casse en Europe, rachat des dettes des ménages aux USA et au Japon). En Algérie, nos responsables ont choisit la solution la plus facile : freiner la consommation pour baisser les importations, une solution totalement radicale et contre productive. Ensuite, le surendettement des ménages est également une réalité qui sera toujours là. Le gouvernement va juste la déplacer des banques vers les vendeurs et les commerçants car ces derniers verront leur chiffre d’affaire baisser s’ils ne réagissent pas. Ils vont, par conséquent, mettre en place un système de financement qui se substituera au circuit bancaire, qui sera certainement moins contrôlé et moins maîtrisé que le circuit bancaire, via la généralisation et le développement des ventes par facilité, avec des chèques de garantie. Une pratique qui existe déjà, même si elle était marginale, qui va poser des problèmes d’ordre organisationnel, d’ordre fiscal, et d’ordre juridique. Ailleurs, dans les pays développés et qui veulent se développer, le surendettement est géré autrement que par les solutions radicales d’interdiction du crédit à la consommation. Des structures et des entités savantes ont été mises en place pour centraliser les informations et les données essentielles concernant cet endettement (une sorte de centrale des risques pour les ménages) (5). Ces organismes dépendant souvent des autorités monétaires, diffusent, à posteriori ces informations et ces données aux banques et aux établissements de crédit afin de respecter des normes établies par le gouvernement qui encadrent l’octroi de crédit aux ménages. Donc cette décision est totalement radicale, non justifiée et contreproductive. Enfin, le développement du crédit hypothécaire est le troisième facteur avancé par les personnes qui ont élaboré cette décision. Les détracteurs, eux, pensent que ce produit est en train de se développer réellement et n’a nullement besoin de l’interdiction du crédit à la consommation pour connaître son essor. Ce qui détermine son développement se sont d’autres facteurs liés à la rentabilité du produit, à la stabilité des ressources des banques et des établissements de crédit, de la solvabilité des ménages sur le long terme. Alors les décideurs ont-ils préparé des mesures qui influenceraient ces aspects ? Les détracteurs les plus convaincus affirment que non. Le crédit immobilier est caractérisé par des problèmes juridiques au niveau du foncier, des problèmes de détermination des responsabilités au niveau de l’évaluation des hypothèques, des problèmes au niveau du pouvoir d’achat des ménages. En effet, les ménages algériens ne peuvent supporter les prix actuels du logement, souvent soumis à la pression spéculative des intermédiaires et des courtiers, qui eux, disposent des liquidités nécessaires pour jouer ce jeu. Ailleurs, dans les pays développés et qui disposent d’une longue expérience dans le domaine du crédit hypothécaire, des établissements de refinancement et des institutions dont les fonds sont stables (souvent des dotations étatiques) sont à pieds d’œuvre et aux chevets de ce créneau spécifique, chose qui est marginale ou inefficace en Algérie. Donc, cet argument ne peut justifier cette décision totalement radicale et contreproductive. Ceci dit, d’autres aspects apparaissent aux observateurs à travers cette façon de faire, des conclusions sont tirées par les partenaires de l’Algérie et des réactions ne vont pas se faire attendre de la part des pays impliqués dans l’économie algérienne, soit via leurs banques, soit via leurs concessionnaires, soit via des intentions d’investissement dans les secteurs des produits de large consommation : Premièrement, il y a une sorte d’incertitude juridique, d’instabilité de législation et de flou sur les tendances de la politique économique algérienne. Ce qui n’encouragera certainement pas les investisseurs à s’installer et à installer leurs usines et renforcera leur conviction de continuer à faire des affaires avec l’Algérie, mais uniquement de loin, tout en installant tout ce qui est créateur de richesse dans les pays voisins (Tunisie et Maroc). Deuxièmement, le développement du secteur hypothécaire doit se faire autrement que par l’arrêt du crédit à la consommation car, qu’on le veuille ou non, des ménages algériens disposent des capacités financières pour contracter à la fois un crédit hypothécaire et des crédits à la consommation. Ce développement se fera par la levée des contraintes et des obstacles juridiques liés au foncier qui demeure le problème numéro un du crédit hypothécaire en Algérie. Il se fera par l’instauration de normes et de règles pour le contrôle et l’évaluation objective des hypothèques et des biens immobiliers - objet des financements. Il se fera également par la création d’établissements et d’institutions performants et spécialisés dans le refinancement hypothécaire, de façon rentable et surtout liquide (rendre les hypothèques liquides via la titrisation et l’encouragement de son marché). Il se fera enfin, par la permission et la faculté données à l’ensemble des banques publiques comme privées d’accéder à l’épargne des agents économiques (publiques et privés) de façon égale et sans exclusive ni restriction. Pousser les banques et les établissements financiers à financer le crédit immobilier sans leur permettre d’accéder à des ressources stables et à long terme, créera un gap structurel dans leurs bilans qui constituerait un risque permanent de défaillance. Quant aux importations, il y a lieu de noter qu’elles vont continuer à grimper, non pas à cause des consommations des ménages algériens, mais à cause de la nature même de notre économie et de la structure même de notre balance des paiements. Tant que notre balance des paiements dépend des recettes d’exportation des hydrocarbures dont les prix nous échappent totalement, tant que notre production nationale se limite à l’exploration, l’exploitation et l’exportation des hydrocarbures qui est totalement rentière et qui n’apporte aucune valeur ajoutée, tant que les entreprises algériennes créatrices de richesses n’ont pas accès à une politique claire et efficace d’aide, de protection et de développement afin de participer à la diversification de nos exportations, je doute fort que les importations baissent. Et pour préparer ce climat serein aux entreprises intéressées par un marché de plus de 32 millions de consommateurs (je veux dire 32 millions de CONSOMMATEURS), un débat sincère et contradictoire est nécessaire et saura apporter les réponses satisfaisantes et convaincantes à ceux qui pensent que notre politique économique est aléatoire, que nos règles économiques sont instables et que la vision, nécessaire par ailleurs, à tout investissement, est floue. Des critiques et des conclusions, on peut en tirer, mais des propositions et des solutions concrètes, celles-là elles se font rares. Alors, il serait plus constructif de dire ce qu’a dit un jour Roger Martin Du Gard : « Quand la vérité est libre et l’erreur aussi, ce n’est pas l’erreur qui triomphe »(6). C’est notre liberté qui nous permet d’avancer et de faire des erreurs, c’est notre liberté également qui nous permettra d’avancer et de vaincre ces mêmes erreurs. Notes et références : (1) Ecrivain et malheureux aviateur français, 1900/1944, dans sa publication posthume « Citadelle », Editions Gallimard, 2000. (2) Voir la Loi de Finance Complémentaire 2009, Journal Officiel de la République Algérienne Démocratique et Populaire N°48 du 26/07/2009, notamment son article 75. (3) Pour le premier semestre uniquement, les exportations n’ont été que de 20.7 Mds USD alors que les importations étaient déjà à 19.7 Mds USD, soit un petit excédent commercial de 1.0Mds USD (voir les chiffres officiels du Ministère des Finances) (4) La structure des importations de l’Algérie fait apparaître que les importations de véhicules au premier semestre 2009 ont atteint en volume 133 292 véhicules soit une baisse de 10.5% par rapport à 2008, mais une augmentation en valeur passant à 142 Mds DA (voir le site de l’administration douanière : www.douane.gov.dz/cnis/stat/ent_statis.asp). (5) Il y a peine quelques mois, la Banque d’Algérie a lancé un appel d’offre pour l’assistance à la mise en place d’une centrale des risques dédiée aux ménages. Ce qui démontre l’intention de l’autorité monétaire de mettre fin à la distribution aléatoire des crédits aux ménages et gérer leur endettement. (6) Ecrivain et romancier français1881/1958, rendu célèbre par le prix Nobel de littérature 1937 pour son roman « l’été 1914 » et par sa réplique « je ne peux pas admettre la violence, même contre la violence ». *Cadre de Banque Diplômé de l’E.S.B et de la S.I.B.F |
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