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«Ces noms de
lieux à perte de vue, à perte de mémoire». (Lacheraf, Des noms et des lieux,
1999)
L'histoire et l'étymologie du toponyme (nom de lieu ou nom géographique) Afrique auquel il faudrait associer Afri / Ifri/ Afer / Afariq/ Africa / Ifrîqiyâ / Ifriqech / Banû Ifran, etc. ont fait l'objet pour les historiens, depuis les Grecs, les Phéniciens, les Romains, les Byzantins, les Arabes, les Espagnols jusqu'aux Français de la période coloniale, d'explications et d'interprétations les plus diverses et les moins inattendues. L'étymologie d'Afrique reste, quoiqu'on dise, rattachée aux ressorts historiographiques des différentes hypothèses formulées à chaque période de l'histoire de l'Afrique du nord et de l'Afrique de manière générale. D'excellents articles et de nombreuses références bibliographiques concernant l'étude des origines de Africa : des hypothèses savantes, des étymologies populaires ou imaginaires, mythologiques comme celle des Grecs, des essais d'explication comme celles des auteurs arabes, français ou maghrébins sont contenus, entre autres, dans l'Encyclopédie de l'Islam, nouvelle édition (1990) et l'Encyclopédie berbère (1985). S'il y a bien une hypothèse qui, depuis sept siècles, commence à s'affirmer et à se construire progressivement comme étant celle la plus plausible, c'est celle qui rattache Afrique/ Afrika / Ifrikiya à la racine FR, au vocable lybico-berbère iFRi /aFeR / iFeR... Nous verrons comment, à partir des résultats des travaux de recherche menés depuis une vingtaine d'années par des spécialistes maghrébins en toponymie et en onomastique (onomastique : science des noms propres) commencent à avancer des explications, fondées sur des traitements informatiques, notamment de gestion de bases de données, rejoignant progressivement les interprétations d' Ibn Khaldoun, d'une lucidité et d'une connaissance remarquables de la société maghrébine, du moins de ses systèmes de nomination. Il est le premier à rattacher le nom d'Ifri, ancêtre - éponyme des Banu Ifran («enfants d'Ifran»), au vocable berbère ifri avec le sens de «caverne». Lewicky, célèbre historien polonais, spécialiste de l'époque médiévale du Maghreb, dans l'écheveau des dissertations étymologiques données par les Grecs, les Romains, les Arabes, les Français, opte pour celle d'Ibn Khaldoun et ajoute quelques lignes: «si cette étymologie est juste, on peut supposer que la confédération des Banu Ifran (ou plutôt son noyau) a dû son nom au fait que les fractions zanâtiennes qui entraient, dans sa composition, vivaient à l'origine, dans des demeures troglodytes (grottes)» (Encylop. de l'Islam, 1990). Pour Kotula, la notion d'Ifri a conservé à travers les siècles «son sens ethnique et géographique; avec le temps, elle a même été employée pour définir tous les habitants du continent africain, tierce partie du monde antique (Salluste, Jug, 17,3; Horace, carm,III, 46), mais à partir du milieu du II° avant notre ère, après la création de la province romaine d'Afrique, elle a commencé progressivement à désigner sa population , prenant une acception politique et administrative. Après la création de la province romaine d'Afrique, elle a commencé progressivement à désigner sa population, prenant une acception politique et administrative» (Encycl. berb, II). Si des noms de ces grandes tribus de l'Afrique du nord (ethniques ou ethnonymes) comme celles d' Ifren (Ifran), Maghraoua, Ilouman, Ouémannou sont connues et facilement reconnues et reconnaissables, il n'en demeure pas que d'autres, ayant vu leurs morphologies altérées par le temps, sont également identifiables dans les formes usitées actuellement. Nous pouvons rapprocher Maghraoua de la forme arabisée dialectale Beni Wragh (Ouragh). Ilouman cité par Ibn Khaldoun, a vu sa forme arabisée en Beni Louma, Louat, Levathe, Meghila, Meghiles, etc. Ce que les historiens modernes appellent Berbérie Orientale, elle correspond, en fait, à la partie orientale du Maghreb d'aujourd'hui, sous le nom d'Ifrîkiya / Ifrikich, terme adopté par les Arabes. Afrique : entre filiation et mythologie Le terme Ifrîkiya est, insiste le tunisien Talbi, «indubitablement - quoi qu'en disent les auteurs arabes, emprunté au latin Africa ; le terme Africa, et les autres formes dérivées d'un même radical Afer (pl. Afri) sont attestées dans les sources latines avant bien la chute de Carthage». Si les références historiques, sont nombreuses en la matière, notamment sur le rapprochement entre Africa / Africanus, c'est, sans contexte, en raison du sur / nom du grand roi berbère Scipion : Scipion l'Ancien, Scipion l'Africain (235-183 av. J.-C); «l'adjectif africanus est aussi maintes attesté à une époque antérieure à la chute de Carthage, après (146 av. JC). Le territoire, annexé par Rome fut appelé Provincia Africa ou carrément, d'après Gsell, Africa, par omission du substantif, simplement Africa» (Hist. Ancienne,VII, 2). Le territoire des indigènes était appelé Provincia Africa, pays des Afri, vivants sur le territoire de Carthage». Quant à l'origine d'Africa, si, pour Talbi, à partir de ce moment, le terrain devient plus mouvant, pour Gsell, «il vaut mieux confesser notre ignorance sur l'origine de ce nom» (Hist. Ancienne, VII). Talbi réfute cette assertion et souligne : «pourtant, de l'antiquité à nos jours, plusieurs théories, plus ou moins ingénieuses ou convaincantes, ont été échaudées» En effet, l'état actuel de la connaissance que nous avons de la toponymie locale nous permet de dire que nous sommes, d'emblée, et le cas n'est pas unique, en face de l'expression latiniste, ou carrément de «thèse latiniste», pour reprendre l'expression de Foudil Cheriguen (Toponymie des lieux habités, 1993). L'enjeu historique est lié, évidemment, au type de rapports à r / établir entre la toponymie et le peuplement initial de l'Algérie et du Maghreb, et par conséquent sur une de ses manifestations historiques et idéologiques la plus saillante : «la continuité coloniale», mise en oeuvre par les officiers - archéologues et linguistes de la période coloniale : «... un certain nombre de vocables en usage dans les dialectes berbères actuels sont issus du fonds indo-européen. ». Certains n'hésitent pas à rattacher, à partir des noms de lieux, le substrat linguistique pré-berbère à un «peuplement européen très ancien du pays». (Pellegrin, la toponymie alg., I956). Toute une mythologie généalogique, à égard, d'origine grecque, latine puis reprise par les Arabes, existe sur Africa. D'après Gsell, Africa, pays des enfants d' Afer, serait le fils d'une princesse Libye, soit fille de Jupiter, ou de Neptune ou d'Epaphus; ou encore le fils de l'Hercule libyen; ou de Cronos et de Phylira; ou d'Abraham et de Cétura; ou encore le petit - fils d'Abraham et chef d'une expédition en Libye, etc.. Dans le prolongement du mode de traitement développé dans l'antiquité, il n'est pas difficile d'établir le rapprochement aussi bien généalogique que linguistique adopté par les Arabes pour justifier l'existence d'une filiation arabe, sémitique voire biblique inhérente à l'origine d'Afrique (El Bekri, Ibn Abi Dinâr, Al Baladhuri), en ayant recours à un ancêtre éponyme nommé généralement Ifrikis, ou encore quelquefois Ifrikish/ Ifrikich. Cette explication, reprise par la suite avec des variantes, par la plupart des chroniqueurs et géographes arabes, fut rejetée par Ibn Khaldoun, la reléguant au statut des «histoires creuses». Cela ne l'a pas empêché, toutefois, par l'adosser à son compte, en relatant la fameuse légende présentée par les chroniqueurs arabes selon laquelle Ifrikis ou Ifrikish est, faisant écho, entre autres, à une légende gréco-juive, selon Tissot (Exploration I, 385) : il serait un héros purement arabe, un puissant roi du Yémen contemporain de Salomon, et les Berbères des Orientaux cananéens himyarites. Ce dernier roi aurait donné son nom à la région conquise. Toute une littérature, cependant, existe sur l'étymologie du toponyme Afrique. Nous nous limiterons aux plus récurrentes : avrik de averkan, par sonorisation de la consonne bilabiale afrik / aferkan «noir» en berbère, couleur, à l'évidence, de la majorité des habitants du continent. La seconde établit un rapport Taferka, avec le sens de «terre», «propriété terrienne» à Aferkiw : «le terrien, celui qui vit sur la terre», pour aboutir à la forme latine africanus. D'autres possibilités font dériver notre nom du grec aphrike («sans froid»), du latin aprica («ensoleillé, exposé au soleil»), ou d'un autre terme latin africus (ventus) désignant en Italie, le «vent pluvieux» en provenance de la région de Carthage, puisqu'à l'origine, les Romains nommaient uniquement «Afrique» cette partie nord du continent. Pour d'autres chercheurs, nous l'avons énoncé plus haut, le mot Afrique proviendraient de la tribu des Banu Ifren (tribu Amazigh). L'ancêtre des Ifren est Ifri et ce sont les Romains qui ont donné le nom Afrique aux habitants de la région orientale du Maghreb actuel. Ifren est l'ancêtre de la tribu des Banu Ifren, nom identifiable dans Iforen / Afer / Afar ou Ifuraces, nom que Corripus utilise pour désigner ces Berbères Zénètes, habitants de l'ancienne tripolitaine. De nombreuses études citent le rôle joué par les Banû Ifran ou Ifrenides dans l'histoire des soulèvements contre les occupants étrangers qu'ils soient romains, vandales ou byzantins. Les récits sur leur engagement avec la Kahina et leurs révoltes contre les pouvoirs omeyyades, abbassides, fatimides, zirides, etc. sont amplement relatés dans les écrits de nombreuses historiens. Si nous résumons toutes ces données, nous retiendrons que l'ethnique afri est la désignation portée par les populations de l'Afrique du nord ancienne et particulièrement celles localisées dans les environs de Carthage, par opposition aux Numides et aux Maures, établis plus à l'ouest. La forme transmise par les Romains nous est parvenues sous sa forme latinisée, arabisée, francisée : Afri / Afracanus / Africa/ Afrika / Afrikiya/ Ifrikiya / Afrique. Les Grecs usitaient le terme de Libyens pour désigner de manière générale les habitants de la région en question. Quant à l'alternance vocalique dans les noms cités ifri / afri , Vycichl (Ency. Berb. II) la résume comme suit : la forme afer est une forme refaite comme Poenus «Carthaginois» est refait d'après poenicus, punicus : punique. On est en mesure de généraliser cette articulation à plusieurs noms berbères (kabyle, beni Snous, zwawa, zénète): aghil / ighil «bras, colline», asli / isli «fiancé», afer / ifer, etc. Afrika entre épigraphie et toponymie Ainsi, nous voyons bien que deux domaines de connaissance sont convoqués pour élucider l'étymologie du terme afrique : l'épigraphie et la toponymie. Si le premier domaine a fait l'objet de nombreuses études approfondies, il n'est pas exagéré de dire que le deuxième est, pour reprendre l'expression de Salem Chaker (1993), le parent pauvre de la recherche linguistique. Le constat peut être aisément et malheureusement élargi au Maghreb (Benramdane et Atoui, Recueil bibliographique, 2005). Pour Cheriguen (1993), l'influence du type de traitement ethnologique dans les études lexicologiques françaises au Maghreb, le statut actuel des langues locales ainsi que la «thèse latiniste» dans les études coloniales, sont les principales raisons de la presque inexistence d'études systématiques en toponymie et onomastique au Maghreb. Heureusement depuis une vingtaine d'années, de nouvelles recherches concrétisées dans des thèses de magister et de doctorat, des ouvrages, des dictionnaires plus ou moins spécialisés ont trait, directement ou indirectement, à la dénomination des tribus, des lieux et des personnes au Maghreb, mais c'est sans conteste l'Algérie qui est présente sur le terrain de la toponymie, que ce soit à l'échelle régionale ou internationale, notamment à travers le groupe des experts de l'ONU sur la normalisation des noms géographiques. L'Algérie assure la vice-présidence du présent comité depuis une quinzaine d'années. Les études menées jusqu'à présent sur les noms de lieux algériens, maghrébins, voire méditerranéens ont permis de saisir les mécanismes qui seraient à la base de la désignation spatiale. Pellegrin (1949) note, et à juste titre, ceci : «les toponymes berbères ne se présentent pas, en général, isolément, mais forment des séries étymologiques, c'est-à-dire qu'on retrouve la même appellation, sous des vocalisations différentes en plusieurs points de l'Afrique Septentrionale parfois fort éloignés les uns des autres». Nous pouvons considérer que Pellegrin est le premier, en dépit des présupposés idéologiques et historiques qui le structurent, à jeter les bases d'une approche linguistique moderne, de l'étude de la toponymie nord-africaine. Tout le travail consiste, par conséquent, à recenser les racines, c'est-à-dire l'élément de base irréductible, commun à tous les représentants d'une même famille de mots à l'intérieur d'une langue ou d'une famille de langues. Il faut identifier les plus fréquemment employées dans la toponymie afin de fournir un outil susceptible de faciliter la compréhension des noms de lieux de souche berbère. Les traitements informatiques permettent, ce qui était impossible dans le passé, à dresser des séries comparatives des racines, de leurs variantes phonétiques et graphiques et même, parfois, de leurs étymologies dans l'imaginaire onomastique local. Nous allons mettre à profit le caractère systémique de cette approche à l'effet de montrer que tout travail académique, donc mené de manière minutieuse et documentée, est d'un apport certain dans la compréhension du fonctionnement linguistique de la toponymie algérienne et/ ou maghrébine. Prenons un exemple du type de toponymes que nous pouvons rencontrer en Afrique du nord : les noms exprimant le thème de l'eau ; un des plus récurrents dérive de la racine NS «anesis» : «suinter goutte à goutte. Etre imbibé». Ils désignent des endroits très humides. Employés à l'état isolé, ils s'emploient, de manière générale, sous une morphologie de l'arabe dialectal, exprimant le féminin collectif ou le pluriel, avec des transcriptions assez variées: anessiss, nessis, nessissa, nsissa, en nessissa, en nsissa, nssissa, en necisse, en nsanis, necissa, anessissa, nesenissa, nsinissa, nesnissa, ouarsenis. Ifri : la dimension patrimoniale de la toponymie IFRI ainsi qu'une série de vocables dérivent de la racine FR. Au Maroc, dans le Haut Atlas, ifri, pluriel ifran, ifraten, tifran a le sens de «caverne, grotte» mais aussi, «bassin artificiel, destiné à recevoir l'eau des montagnes» (Laoust, 1942). D'autres interprétations de cette racine ont été développées par Mercier (La langue libyenne et la toponymie antique de l'Afrique du nord, 1924) et Pellegrin (Les noms de lieux d'Algérie et de Tunisie_, 1949). Des spécialistes en toponymie maghrébine (Laoust, Pellegrin, Cheriguen, Benramdane, Atoui, Allati), mettent en évidence le rapport entre Ifri et Afrique, n'hésitant plus à être catégorique, partant des formes attestées issues des sources latines bien avant la chute de Carthage. Durant la période espagnole et ottomane, ce nom n'en est pas moins cité. Sous le règne du Bey Bechelaghem (1708-1732), à Oran, «la ville connaissait quatre faubourgs, il s'agit de Yfri, situé sur le flanc du Murdjadjo» souligne Benkada, un des rares spécialiste en topographie historique (actuel maire d'Oran), dans un de ses nombreux écrit sur sa ville. Durant la période espagnole, le nom d'Ifri est mentionné sous diverses orthographes : Yfre, «ifre», Yeffri (Hontabat, Vallejo, Tinthoin) : (Korso et De Eplaza, Oran et l'ouest algérien au XVIII° siècle d'après le rapport Aramburu, 1978). Plus loin dans le Moyen Age, El Idrissi cite Cap Ifrân, situé à l'est de Carthage. Despois (1935), reprenant les textes des chroniqueurs ibadîtes (1018-9) mentionne dans l'oasis d'Ouargla un village appelé «Ifrân (îfran, ifrân ou Farân)». Au Maroc, dans le Haut Atlas, Laoust relève qu'Ifri, sans aucune épithète a donné son nom à cinq villages. Il ajoute une remarque intéressante : «sans doute parce qu'elle est percée de grottes». Peyras (Enclop.berb.) recense un autre représentant de notre toponyme : «il n'est pas impossible que le toponyme espagnol actuel IFRE provienne du mot berbère IFRI., lieu d'implantation d'une fraction des Banu Ifran, dans les environs de Mazarron, dans la province de Murcie, d'après les traditions de généalogistes berbères médiévaux. (1069)». Pellegrin élargit le champ dérivationnel et cite : ifri; pl. ifran et ifraten; dim. tifrit, pl. tifritin. Avec un vocalisme a : afri, pl. tifran. En Algérie, Ain Tifrit, Oued Tifran, Tifra, Tafraoua (?) etc. Ghar - Ifri, près d'Alger. «Il n'en est pas moins vrai que le nom des Beni Afer et des Beni Afren de Tunisie, les Ait Ifri du Maroc, atteste que cet ethnique n'est pas sans analogie avec ifri ou afri «caverne» afri «Africains»(1949). Peut-on dater la naissance du toponyme Afrique ? Pour notre part, la productivité lexicale de cette racine est attestée dans toutes les zones de l'Afrique du nord, mais nous nous limiterons à deux niveaux d'exploitation que nous maîtrisons actuellement : les noms des lieux-habités en Algérie (20 000 noms) et les toponymes de l'ouest algérien (21 500 noms). Le premier est le fruit d'un travail collectif pluridisciplinaire (linguistique, archéologie, anthropologie, géographie) mené dans le cadre d'équipe de recherche au CRASC (centre nationale de recherche en anthropologie culturelle et sociale), le second a fait l'objet d'une thèse de doctorat. Tout ceci pour dire que le relevé systématique, à un même niveau de représentativité du corpus soumis à l'analyse toponymique, couplé à une opération de numérisation ciblée, donne une visibilité à ce patrimoine dans sa dimension humaine, culturelle et transculturelle la plus féconde. Et ifri/ifran, en somme les représentants de la racine FR, n'en sont que l'illustration la plus fidèle. Le sens de ifri, ifran «grotte, escarpement» est attestée en chleuh, kabyle ; au Maroc central, il a aussi le sens de «trou, abri sous roche». Pour l'Algérie, les résultats obtenus à partir de nos deux nomenclatures sont éloquents. Nous noterons, en premier, les noms de lieux ayant un rapport avec le thème FR, en fonction de leurs déclinaisons morphologiques. Nous citerons ceux qui restituent intégralement ou partiellement le nom d'ifri/ifran : Ifri, Forêt d'Ifri dans la région de Tlemcen, Beni Ifrene, Douar Beni Fren dans la région de Mostaganem. L'expression du féminin ou du diminutif est contenue dans la même région : Aine Tifrit, Chabet Tifrit, Hamr Tifrit dans la région de Sidi Belabes. Tifrit a le sens de «dalles», «pierres plates» de «trou (cavité, grotte, terrier)». En Ahaggar tifirt a le même sens que tifrit : «grande dalle rocheuse en tachelhit; et aiguille rocheuse (...) iferi, pl.iferân (Naït Zerrad, Dictionnaire des racines berbères, 1998). D'autres séries marquant soit l'appartenance, soit le pluriel collectif en arabe maghrébin sont à relever dans le paysage toponymique national :Tafaraoui (Ain Hadid, 276), O. Tafaraoui, Tafraoui dans les environs d'Oran et de Frenda ; Tafraoua, Djebel Tafraoua (Medrissa), Oued Tafraoua (Nedroma, Bounaâma, Tiaret, Saïda), Kef Tafraoua et Ain Tafraoua (Frenda), Douar Tafraoua, Mare de Tafraoua (Saïda), Tafraout (Medrissa), Bled Tafraout (Tlemcen), Douar Tafraout (Chlef), Djebel Ferrara (Mechraa Sfa), Mechta Tifouria (Oued EL Fodda), Sidi Tifour (El - Bayadh), Sidi Mohamed El Foyar (Oran), Sidi Yahia Ben Frioua, Touafria (Chlef), Friouat Morghad (Saïda), Tifritine, Tifrit, Tifrit N'Aït L'Hadj (Bedjaïa), Ifri (Illizi), Frina (Souk Ahras) Ifri Issegouane, Tifra, Laazib N'Tifra, Tizi Tifra (Bedjaïa), Tifraouane (Jijel)., Tifraoui (Oued), Boulfri (B.B.Arreridj), etc. Certaines formations toponymiques peuvent suggérer la racine FRN avec le sens en touareg de «choisir/ efren/ (en choisissant ce qui est le meilleur et optant pour lui), tefren, être l'objet d'une sélection» (Dict. De Foucauld). Cependant, au Maroc, tafrent (Figuig) veut dire «col, passage entre montagnes» (Naït Zerrad) Pour Cheriguen, Tafrent, racine FR «se cacher, cacher» ou racine FRN, «choisir, trier», cette seconde hypothèse est plus probable car elle explique le n comme élément de la racine du terme» (Cheriguen, 1993). Le Dictionnaire des Racines Berbères (formes attestées) de Kamal Naït Zerrad (2002) rend compte de la polysémie de cette racine, en croisant des domaines sémantiques différents : monde animal, végétal, domestique, armement Effectivement, on peut attribuer, en fonction des régions et des déclinaisons dialectologiques, plusieurs significations à la racine FR :Ahaggar, Chaoui, Chenoua, Chleuh, Djerba, Adrar, Figuig, Beni Iznacen, Kabyle, Maroc central, Mzab, Nefousa, Ouargla, Rif, Beni Snous, Zenaga. Mais celles que nous recensons ont un rapport à l'espace et à sa dénomination. Ainsi, nous relèverons, toujours dans le même ordre d'idées : Tafrent (Batna, Belabes, Constantine, Mascara, Ain Defla), Douar Tafrent (Mascara), Bled Tafrent (Arzew), Bled Tafrent (Sidi Belabes), Djebel Tafrennt (Tissemsilt), Djebel Tafrinte (Mechraa Sfa, 215), Koudia Tafrennt (Theniet El Had), Oued Tafrennt (Saida, Bounaâma), Tafrent (Mascra), Ras Tifrane (Tlemcen), Frenda (Tiaret), Tefrent (Bord Bou Arreridj) Ain Tiferine , (Bounaâma), Djebel Feriane (Tiaret), Douar Feriane (Nedroma), Béni Ifrane (Mostaganem), Franine (Oran, Mascara), Frane (Ouargla), Oufrane (Adrar), El Frine (Tarf), Tafrount (Tiaret), etc. Une simple étude de la ventilation spatiale de ces toponymes formés soit avec FR, soit avec FRN montrent que ces noms précèdent ou succèdent, de manière générale, un nom de relief ; ils peuvent également se situer sur des zones montagneuses. Nous avons affaire, dès lors, dans les dites régions à un peuplement très ancien dont IFRI et bien d'autres, sont les vestiges et les témoins les plus vivants et les plus authentiques, d'autant plus authentiques que le sens échappe à nos contemporains et même aux anciens, et dans la mesure où l'étymologie n'a été relevée, à l'exception d'Ibn Khaldoun, par aucun témoignage de la période antique et médiévale. Ne serait-il pas imaginable pour nous de formuler l'hypothèse de la formation historique du nom Ifri et de ses dérivés, comme Afrique. Ces vocables, produits linguistiques locaux, témoins et vestiges authentiques des pratiques onomastiques des populations autochtones, dans la période préhistorique. Une étude plus poussée confirmerait, à une échelle plus étendue, ce que nos travaux ont découvert : chaque fois que le nom d'Ifri ou une de ses formes dérivées est relevée, une grotte préhistorique n'est pas loin. En termes plus précis, il n'est pas exclu que ces noms de lieux dateraient de la préhistoire, probablement de la période néolithique (3.000 à 10.000 ans avant notre ère). Les caractéristiques du milieu naturel, les vestiges archéologiques, les données ethnographiques, anthropologiques et culturelles seront prises, de manière très sommaire, à notre compte. D'après les spécialistes (Balout, Camps), deux grands ensembles culturels, du point de vue anthropologique, sont nettement distingués par les caractéristiques de l'Afrique du nord, dans la préhistoire : l'ibéromaurusien et le capsien. Très riche en calcaire, certaines régions le sont aussi en grottes et abris sous roches : «Dans cette même zone ibéromaurisienne du littoral et du Tell maghrébins, les hommes de la race de Mechta-el-Arbi se maintiennent au Néolithique. Leur présence est attestée surtout dans le Maghreb occidental» souligne Balout, dans Préhistoire dans l'Afrique du nord. (1955). Cette présence est également attestée, dans cette zone ibéromaurusienne du littoral et du Tell, dans le maintien néolithique et de la continuité de peuplement des hommes de Mechta-el-Arbi, à Columnata... Les musées existants en Algérie et au Maghreb, regorgent de vestiges, des traces concrètes des «industries lithiques osseuses et poteries fabriquées par les hommes qui vivaient» dans les grottes néolithiques. La méthode linguistique consiste aussi à relever sur un territoire donné l'aire des racines linguistiques en établissant des comparaisons avec les données anthropologiques, archéologiques, historiques, géographiques, ethnologiques. Mais là, c'est tout un autre programme ! Enfin, comment on est passé d'un nom propre, donc d'un toponyme, précisément de relief IFRI, à un nom de peuplement (nom de tribu) : tribu d'Ifri, Banû Ifran, puis à un nom de continent : Afrika, Ifrikiya, Afrique ? Peut-être, cela va dans le sens de l'originalité qu'occupe dans le champ maghrébin et africain, les rapports entre toponymie, ethnonymie et généalogie. Mais là aussi, c'est toute une autre problématique ! * Enseignant-chercheur (Université de Mostaganem)Chef de projet CRASC |
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