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Ceux qui croyaient que l'ère des coups d'Etat militaires latino-américains, les fameux «golpes», était révolue en sont pour leurs frais. L'armée hondurienne vient de renouer avec la peu glorieuse tradition des pronunciamientos en déposant le président élu Manuel Zelaya dimanche 28 juin. Expulsé vers le Costa-Rica, le président, qui souhaitait organiser un référendum pour modifier la constitution et lui permettre de se représenter une seconde fois, a décidé de retourner dans son pays pour reprendre le pouvoir dont il a été indûment privé. Le Honduras, qui fut l'archétype de la république bananière dominée par les trusts agroalimentaires nord-américains, est un pays caractérisé par une division sociale très nette entre l'immense majorité de la population et une classe possédante qui contrôle tous les leviers de pouvoir. Manuel Zelaya, lui-même issu de cette oligarchie, en se rapprochant des leaders de gauche du continent, a brisé le pacte de pouvoir instauré à la fin des années quatre-vingt, quand la dictature militaire au service des grands propriétaires terriens a cédé la place à un régime constitutionnel. A l'époque, le système mis en place avait été pensé et structuré autour de l'impossibilité pour les forces sociales du pays de remettre en cause l'ordre oligarchique. Le verrouillage politique a été favorisé par l'existence de liens très étroits entre l'armée du Honduras et celle des Etats-Unis. Un rôle pivot pour les services américains Ce petit pays, qui a joué un rôle pivot dans les actions subversives des services secrets américains - notamment contre la révolution nicaraguayenne et au Salvador -, abrite une des plus grandes bases aériennes des Etats-Unis dans le cône sud. Mais Zelaya, dès son élection en 2005, entreprend de modifier la donne intérieure en menant une politique bien plus sociale que celle à laquelle s'attendait la grande bourgeoisie de Tegucigalpa. Au plan international, la réorientation s'est traduite par le rapprochement avec le Venezuela et l'adhésion récente du pays à l'ALBA (Alternative bolivarienne pour les Amériques), regroupant les pays latino-américains désireux de sortir de leur trop grande dépendance à l'égard du grand-frère yankee et de son modèle ultralibéral. Pour nombre d'observateurs, le coup d'Etat n'aurait été possible sans au moins l'aval tacite des Etats-Unis qui, par le truchement de leurs « conseillers », contrôlent de très près l'armée hondurienne. Le coup d'Etat, qui a suscité la condamnation de l'Assemblée générale des Nations unies, est également condamné dans des termes clairs par le président Obama lui-même. Le président américain a qualifié de coup d'Etat l'expulsion de Manuel Zelaya, précisant que pour lui, il était «toujours président du Honduras». Le Département d'Etat a relayé la position du chef de la Maison-Blanche. «Nous pensons que le président Zelaya est le président constitutionnel, démocratiquement élu du Honduras, et qu'il devrait pouvoir achever son mandat», a déclaré le porte-parole du Département d'Etat. Le même responsable a également indiqué que les Etats-Unis procédaient au réexamen de leur aide économique au Honduras mais n'ont pas encore décidé la suspension ou le gel de cette aide. Un latifundiaire à la présidence par intérim Les putschistes quant à eux font mine d'ignorer l'indignation internationale et ont fait nommer Roberto Michelleti, le président du Parlement, un authentique représentant des latifundiaires, en tant que président de la république par intérim. La nomination a réjoui l'ensemble des forces qui soutiennent le putsch, notamment l'église catholique, les églises évangéliques, le patronat et les médias privés. Les pays voisins, à commencer par le Venezuela qui a menacé d'interrompre ses livraisons de pétrole à des prix subventionnés, ont décidé de faire pression sur les militaires honduriens et d'envoyer une délégation de chefs d'Etat accompagner Manuel Zelaya lors de son voyage de retour au Honduras. Il est évident que toutes les forces démocratiques sud-américaines sont épouvantées par le retour de moeurs politiques qui ont coûté si cher au continent. L'âge des « gorilles », ainsi qu'étaient nommés les généraux putschistes, a laissé des traces amères dans la mémoire des peuples de la région. Mais ce qui pose question à de nombreux observateurs est le rôle réel des Etats-Unis dans la mise en oeuvre du putsch. Obama devant le fait accompli ? Les déclarations du président Obama et de la secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, sont dénuées d'ambiguïtés : le coup d'Etat est inacceptable et ne sera pas soutenu, au contraire. Mais ainsi que le pensent - et le disent - des responsables politiques sud-américains, l'initiative du chef d'état-major de l'armée de terre, architecte de l'opération, n'aurait pas été possible sans que les Etats-Unis en aient été informés et sans la participation des conseillers militaires de ce pays. L'affaire est trop grave pour qu'elle n'ait pas été précédée de préparations politiques et diplomatiques impliquant le partenaire traditionnel du Honduras. Il est difficile d'imaginer les généraux honduriens se lancer dans une telle aventure sans avoir au moins balisé le terrain. L'appui au golpe serait-il une décision autonome des services secrets américains prise sans consultation de leurs autorités politiques ? Le président Obama aurait-il été mis devant le fait accompli ? La réponse à ces questions contribuera à clarifier la position réelle des Etats-Unis et à mesurer la sincérité des déclarations de non-ingérence réitérées par la nouvelle administration. A moins que l'autonomie relative des organes américains de guerre secrète illustre la marge de manoeuvre réduite dont jouirait un président animé de bonnes intentions mais sous haute surveillance. Le Honduras pourrait être ainsi le révélateur des équilibres de pouvoir à Washington. |
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