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Comptabilité analytique basée sur les activités

par Saheb Bachagha *

Depuis quelques années, on parle de plus en plus de comptabilité d'activité ou de comptabilité basée sur les activités. Il s'agit là d'une méthode de calcul des coûts de revient qui diffère grandement, dans sa philosophie plus que dans ses aspects « calculatoires », de la méthode qu'on nous a enseignée au lycée et à l'université connue sous le nom de la «méthode des sections homogènes».

Nous verrons dans une première section ce qu'est la comptabilité d'activité puis dans une seconde section nous montrerons qu'un des aspects les plus importants de cette nouvelle forme d'approche du calcul et de l'analyse des coûts est qu'elle permet au comptable d'apporter une contribution importante à la réflexion stratégique de l'entreprise.



Une comptabilité basée sur les activités



La méthode des sections homogènes est une héritière logique de l'organisation industrielle de la première moitié du XIXe siècle : l'activité commerciale et industrielle y était, le plus souvent, découpée en entreprises spécialisées sur un seul métier, lui-même centré sur la pratique d'une technique. Par exemple, les métiers de cardeur, fileur, tisserand ou autre teinturier étaient en général exercés chacun par une entreprise spécialisée (ou par un artisan). La régulation des flux entre ces acteurs spécialisés se faisait par le marché puisque les multiples producteurs, dans une technique donnée, étaient en concurrence pour offrir leur prestation de service ou leur valeur ajoutée..

Tous les coûts étaient directs par rapport à la création de cette valeur ajoutée et la pression pour la réduction des coûts venait du marché. Les coûts étaient, de fait, également directs par rapport au produit qui sortait de ces entreprises puisqu'elles étaient, dans une grande mesure, mono-prestation ou monoproduit.

Mais cette situation de grande simplicité a été remise en cause très rapidement par l'intégration verticale des divers prestataires de services dans des entreprises industrielles de taille beaucoup plus grandes, créées pour exploiter les économies d'échelle apportées par les nouvelles techniques de production et réduire les aléas qui pourraient empêcher la saturation de l'outil de production tout en réduisant les coûts de transaction. La variété des produits et l'existence d'une technostructure fournissant des prestations permettant à chaque métier de s'exercer a ainsi amené à distinguer les coûts directs, c'est-à-dire directement causés par le produit ou le service que l'on produit et commercialise, des coûts indirects qui sont les coûts mis en oeuvre pour fournir l'environnement à l'intérieur duquel la réalisation des tâches de production ou de commercialisation prennent place.

Très logiquement, la méthode des sections homogènes reprend cette distinction entre les coûts directs et les coûts indirects. Les coûts directs, c'est-à-dire les matières et composants et souvent une grande partie de la main-d'œuvre, sont aisément attachés aux produits tandis que les coûts indirects doivent « transiter » par des sections (appelées « centres d'analyse » dans le langage du plan comptable) avant d'être attachés aux produits par l'intermédiaire d'une unité d'œuvre qui est supposée représenter la prestation fournie par la section et consommée par le produit. L'unité d'œuvre de chaque section est supposée représenter une simplification et une approximation du processus réel de causalité de la consommation des ressources.

Dans ce modèle de l'entreprise, c'est le produit ou le service fabriqué et commercialisé qui est supposé être la cause de la consommation de ressources.



La remise en cause du modèle



Bien que la relation causale unique « Volume produit - (cause) - Coût » soit plus que simpliste et difficile à accepter dans l'environnement actuel des affaires, cette situation n'a guère posé de problème tant que le ratio des coûts indirects ramenés aux coûts directs était faible.

Tant que les coûts de matière et de main-d'œuvre directe représentaient plus de 80 % des coûts totaux mis en oeuvre, les approximations implicites dans la méthode étaient tolérables.

Mais avec l'apparition de machines d'abord à commandes numériques puis encore plus automatisées et gérées par des ordinateurs, le poids des coûts directs s'est réduit au coût de la matière ou des composants puisque la main-d'œuvre devenait essentiellement une population de servants des machines et non de contributeurs directs à la valeur ajoutée réalisée sur la matière. On arrive aujourd'hui à des situations où la main-d'œuvre industrielle ne représente plus que quelques % des coûts totaux. En contrepartie, aujourd'hui, la part des coûts indirects de production est devenue très significative, parfois même supérieure à 50 %, dans les coûts totaux. L'approximation quant aux procédures d'attachement de ces coûts indirects aux objets valorisés via des unités d'œuvre fondées sur une causalité « volume produit ou commercialisé » était tolérable précédemment ; elle devient difficilement acceptable quand près de 50 % des coûts totaux sont des coûts indirects, et ceci d'autant plus que le rôle de la main-d'œuvre, qui fournit pourtant encore aujourd'hui le principal vecteur porteur d'attachement des coûts aux objets (c'est-à-dire unité d'œuvre), devient de plus en plus réduite. A titre indicatif, un ordinateur Macintosh, fabriqué par Apple en Irlande, contient moins de 2 % de main-d'œuvre directe dans ses coûts totaux. Et ainsi, entre deux produits, c'est le plus « moderne » qui utilise, en général, le moins de main-d'œuvre ; mais on comprend aisément que ce soit également celui qui engendre, de fait, le plus de coûts indirects à cause des machines et technologies sophistiquées auxquelles il fait appel ;



Un modèle fondé sur le processus d'activité



A lieu de s'intéresser à l'accumulation des coûts « indirects » dans des centres de responsabilités fournisseurs de prestations de service (appelées unités d'œuvre), la logique d'activité vise à accumuler les coûts par étapes du processus de réalisation du produit ou service commercialisé, lequel processus ou séquence d'actions permettent d'amener un produit ou un service au client en lui ajoutant progressivement de l'utilité fonctionnelle du point de vue du client - c'est-à-dire en lui ajoutant de la valeur. Ainsi dans ce nouveau modèle la question principale est d'identifier, au départ, les divers niveaux de service, et les coûts afférents, pour les principales prestations (activités) rendues dans l'entreprise vers l'intérieur ou vers l'extérieur.

Définition du terme d'activité

Dans ce contexte, une activité est définie par un ensemble d'actions ou de tâches qui ont pour objectif de réaliser, à plus ou moins court terme, un ajout de valeur à l'objet ou de permettre cet ajout de valeur. Pour pouvoir être qualifié, un processus doit posséder trois caractéristiques : avoir une finalité (c'est-à-dire une « production », avoir des moyens (c'est-à-dire des consommations de ressources) et avoir un « système de conduite », c'est-à-dire une manière non unique de mettre en oeuvre les moyens pour atteindre la finalité.. Des exemples d'activités sont (liste non exhaustive) :

- la passation de commande,

- la qualification des fournisseurs susceptibles de répondre à un besoin de l'entreprise,

- la réception de marchandises ou de composants,

- le contrôle de qualité à la réception,

- la manutention,

- le magasinage,

- le lancement d'une production,

- le réglage des machines,

- l'entretien,

- la production elle-même,

- la maîtrise de la qualité,

- la prise de commande,

- la préparation d'une commande,

- la préparation de la facture client,

- le suivi de la facture client,

- etc.

On voit que derrière toute activité il y a des actions qui consomment des ressources (donc qui sont la cause, vraisemblablement essentielle et principale, de l'existence des coûts) et que ces actions trouvent leur cause dans des décisions qui coupent le plus souvent à travers plusieurs centres de responsabilité. Ainsi, les actions liées à la qualification d'un fournisseur trouvent, par exemple, leur origine à la fois :

- au bureau d'études, qui identifie et spécifie le composant dont on aura besoin et fait par exemple le choix de ne pas utiliser un composant standard ou dérivé d'un standard,

- au service commercial, dans la mesure où la spécification de la finalité du produit est identifiée dans ce service, et

 - au service achats de l'entreprise qui réalisera les tâches de qualification.

Dans l'approche par activité, on ne centre plus le processus d'attachement des coûts sur les centres de responsabilité, comme c'était le cas depuis qu'on calculait des coûts de revient par la méthode des sections homogènes, mais on le centre sur des activités, transfonctionnelles dans de très nombreux cas, qui définissent l'approche que l'entreprise a retenue pour satisfaire aux besoins des clients. Tous les coûts peuvent être alors considérés comme étant directs par rapport à une activité et une seule : c'est le fait de faire quelque chose, et de le faire d'une certaine façon, qui est à l'origine de la consommation de ressource.



Une nouvelle relation de causalité



Le raisonnement devient alors : la manière de faire les choses cause les activités, chaque activité cause les coûts qui la concerne et le produit consomme des activités.

Il y a derrière cette séquence un refus de la fatalité de l'existence des coûts, qui est implicite dans la méthode des sections homogènes, et un a priori qui est de ne pas considérer l'attachement des coûts aux objets (c'est-à-dire le calcul des coûts de revient) comme le but final de l'opération. On peut dire, en caricaturant à peine, que dans la perspective de la comptabilité d'activité, ce qui est important c'est d'arriver à comprendre pourquoi les coûts existent afin de chercher à les éviter. Le problème de l'attachement des coûts aux objets est, en soi, secondaire dans la majeure partie des cas. Un coût de revient calculé par la méthode traditionnelle des sections homogènes est très difficilement reproductible d'une période à l'autre, car il est le résultat de mix d'activités, de volume d'activités ou de mix de produits qui n'ont que peu de chance de se reproduire à l'identique et qui, pourtant, ne sont pas reconnus dans les unités d'œuvre retenues pour l'attachement des coûts indirects aux objets. Le coût de revient complet, dans l'entreprise essentiellement multi-produit et pour laquelle les coûts, hors matières et composants, sont peu directs, peut amener à des perceptions de rentabilité relative des produits très éloignées de celle qu'on pourrait trouver par d'autres méthodes.

On ne gère pas par les coûts, on gère par les activités.

Mais il faudra bien calculer des coûts de revient aussi bien pour valoriser les stocks que pour donner une borne au commercial dans sa recherche d'un prix de vente cohérent avec le marché. La méthode des coûts basée sur les activités est souvent identifiée au coût complet, et rien n'empêche l'utilisateur de cette méthode de rechercher le coût variable d'une activité et son coût fixe. A chaque fois, cependant, il devra bien préciser quel est le générateur d'activité qui cause la variabilité ou par rapport auquel la notion de fixité a été définie. Ce générateur d'activité ne sera que très rarement le volume de production ou le volume commercialisé.

Le coût complet n'est pas, à l'exception du cas assez rare, hélas, de la saturation de la capacité de l'entreprise, une information utile pour la majorité des décisions à court terme que le manager est amené à prendre. Le coût complet est cependant une référence intéressante en ce sens qu'il permet d'avoir une approximation du coût de revient à long terme, qui va largement au-delà de l'utilité fiscale du coût complet.

Le coût complet à long terme devrait être calculé sur la totalité du cycle de vie du produit, c'est-à-dire en y incluant les coûts pertinents depuis la conception jusqu'au service après-vente.

Dans une première étape, les coûts (indirects dans l'ancienne terminologie) sont attachés aux activités qui les ont causés, ce qui ne pose a priori pas trop de problème puisque tout coût est réputé être causé par une activité et une seule. Les coûts qui étaient directs dans l'ancienne terminologie peuvent, si on le souhaite, transiter par des activités mais ce n'est pas une obligation. Si on veut rendre compatible une comptabilité centrée sur les centres de responsabilité (ou sections), on pourra rechercher dans chaque section les activités qui la composent fonctionnellement (n'oublions pas qu'on les appelle « Centre d'Analyse » donc invite l'utilisateur à aller plus loin si le besoin existe).

On peut ensuite, dans une seconde étape, regrouper les activités identifiées dans chaque section en activités transfonctionnelles (c'est-à-dire ayant la même finalité, bien qu'intervenant dans différentes sections) dans des centres de « regroupement ». Les coûts attachés à chaque activité dans chaque section serviront à estimer le coût de chacune des activités qui a été considérée comme significative. C'est à ce niveau, connaissance d'une estimation des coûts des activités, que le manager trouvera la plus grande partie de ce dont il a besoin pour gérer son entreprise.

 

Plusieurs niveaux de causalité des coûts



On distinguera les inducteurs de coûts par « niveaux » de causalité. La méthode des sections homogènes ne prenait en compte qu'un seul niveau de causalité : le volume de production ou de commercialisation. Dans la comptabilité d'activité on distinguera tous les niveaux de causalité qui peuvent apparaître comme étant utiles : Robin Cooper et Bob Kaplan en distinguent quatre qui correspondent tant à des décisions managériales différentes qu'à des horizons de décision très différents.

- 1) les activités causées par le volume de production ou de commercialisation qui engendrent les coûts de main-d'œuvre directe, les consommations de matières, les coûts spécifiques de fonctionnement des machines, tels que énergie, entretien courant, consommations d'outillages, les coûts de main-d'œuvre directe, les consommations de matières, les coûts spécifiques de fonctionnement des machines, tels que énergie, entretien courant, consommations d'outillages, les coûts de commissions,

- 2) les activités causées par la forme d'organisation de la production ou de la logistique commerciale qui sont, par exemple, les lancements de lots, les manutentions et les mouvements d'approvisionnement des postes de travail, les passations de commandes de matières ou de composants, les contrôles de qualité en cours de fabrication ou en bout de chaîne, les camions pleins ou à moitié pleins expédiés aux clients, les améliorations de la gestion des flux, etc.,

- 3) les activités causées par l'existence même du produit au catalogue qui sont, par exemple, les travaux du service méthodes pour maintenir les spécifications du produit, le nombre de lignes de la gamme ou de la nomenclature, les modifications de gamme ou de nomenclatures, les améliorations du produit,

- 4) les activités causées par l'existence d'une capacité de production (qui résulte d'une décision très antérieure à la décision volumique), telles que la gestion physique des ateliers, la fourniture du clos et du couvert, le chauffage et l'éclairage, etc.

On n'incluera dans l'analyse que les niveaux d'activité pertinents. Chacun des niveaux d'activité listés ci-dessus correspond à un horizon de décision très différent et qui s'allonge au fur et à mesure que le numéro décrivant le niveau s'élève. On pourrait sans difficulté, et dans la même logique, parler d'activités causées par une famille de produits, par un réseau de distribution, par un type de clientèle ou par un type de fournisseur.

En fait, la décomposition en activités ne doit pas être trop fine pour de simples raisons de combinatoire et de simplicité requise pour que la méthode ait une utilité décisionnelle.

Chaque entreprise choisira les activités qui lui semblent représenter le mieux possible les causes d'explication de l'existence du niveau de consommation de coûts : ainsi, une entreprise travaillant par lots et sur une grande gamme de produits pourra mettre l'accent sur les activités dont on peut dire qu'elles sont liées respectivement au nombre de lots, au nombre de lignes de la gamme ou de la nomenclature, au nombre de contrôles, au nombre de réglages, aux heures de machines et aux heures de main-d'œuvre, tandis qu'une entreprise qui travaille sur un petit nombre de produits assez similaires, fabriqués en continu sur des chaînes dédiées et dont la plupart des coûts indirects sont liés à une activité de commercialisation, privilégiera plutôt les activités de livraison, de gestion des commandes et des factures, d'emballage, en plus des activités liées au temps-machine ou au temps de main-d'œuvre. Le choix des inducteurs de coûts, c'est-à-dire de l'unité d'œuvre utilisée pour attacher les coûts aux objets, est alors lié au niveau auquel se trouve l'activité dont on veut attacher les coûts. Par exemple, on retrouvera au niveau volumique des inducteurs de coûts qui ressemblent comme des frères aux unités d'œuvre que nous utilisons aujourd'hui dans de nombreuses entreprises : nombre de pièces fabriquées ou expédiées, heures de main-d'œuvre directe, heures de machines, poids des pièces, surface des pièces fabriquées, chiffre d'affaires énergies consommées, etc. Mais ces unités d'œuvre ne serviront à attacher que la partie des coûts dont on a observé qu'ils étaient causés par le volume de production, c'est-à-dire un ensemble de coûts beaucoup plus petit que ce qu'on attachait précédemment par ces types d'unités d'œuvres. Par contre, au niveau de la forme production, on trouvera des inducteurs de coûts tels que : le lancement, l'ordre de fabrication, le réglage, l'approvisionnement des postes de travail, la commande de matières ou de composants les contrôles de qualité, etc. Au niveau des activités causés par l'existence du produit au catalogue, on trouvera le nombre de références composant le produit, le nombre de modifications du dossier technique, etc. Nous ne recommandons pas de chercher à attacher aux produits les coûts liés à l'existence d'une capacité de production ou de commercialisation. Les décisions quant aux activités qui sont derrière ces consommations de ressources n'ont rien à voir avec les décisions volumiques ou organisationnelles telles que quantité à produire ou à vendre, organisation de la production en lots de tailles diverses, ou complexité des produits fabriqués.


Conclusion

En fin de compte, l'approche par les activités permet de construire un système de calculs de coûts de revient qui est compréhensible. Elle évitera, sans doute plus que ses prédécesseurs, de focaliser l'utilisateur de ce coût de revient sur l'unitarisation sauvage et aveugle le plus souvent) des coûts. L'utilisateur sera invité à penser en termes d'activités : il comprendra logiquement que s'il demande un délai de livraison anormal pour satisfaire un client, il engendra des coûts de <désorganisation> de la production ; il comprendra que s'il promet de livrer juste à temps, il aura intérêt à spécifier ce que ce terme veut dire : car, selon que le client entend <un camion plein chaque jour> ou qu'il entend <l'équivalent d'un quart de camion (peut être une camionnette) toutes les 6 heures>, les coûts de l'activité logistique-distribution en seront grandement affectés et le prix auquel le contrat sera signé devra le refléter. Mais, outre de représenter un outil de comptabilité analytique plus fin, l'approche par les activités permet de se reposer un grand nombre de questions sur l'intérêt même des activités. C'est ce que nous appelons l'analyse d'activité, ça sera l'objet de notre prochaine contribution.

 


*Expert-comptable et commissaire aux comptes Teleghma, membre de l'Académie des sciences et techniques financières et comptables Paris.