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L'enfant, cet adulte de demain

par Farouk Zahi

«Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d'autrui» - La Rochefoucauld

La Journée mondiale de l'enfance et la Journée de l'enfant africain, célébrées respectivement les 1er et 16 du mois de juin, sont-elles devenues les seules occasions, pour faire l'état des lieux sur cette frange de la population ou bien un cérémonial à qui il ne peut être dérogé ? L'Algérie qui, il n'y a pas si longtemps, se targuait de consacrer à l'enfance tout un arsenal juridique permettant sa promotion socio-économique et éducationnelle, est en train apparemment de perdre du terrain, sous les effets du boomerang démographique des années soixante-dix. La déchéance économique induite par la déstructuration des secteurs industriel et agricole d'Etat a contraint des cohortes entières à devoir trouver d'autres moyens de subsistance autres, que ceux jusque-là assurés par la sécurité du travail. L'enfant, dispensé de l'apport contributif à la cagnotte familiale, s'est soudain trouvé contraint à son corps défendant, de faire face avec le groupe aux besoins nutritionnels de celui-ci. C'est ainsi que même scolarisé, il était confronté à une vacation pour vendre à la place du père, qui n'osait pas souvent afficher sa déchéance, soit du pain maison ou tout autre produit de manufacture domestique. Entre-temps, il a diversifié son comptoir. La table de vendeur de cigarettes, de lointain souvenir, est devenue par la force de l'habitude un commerce courant qui fait désormais partie du paysage. La polémique soulevée récemment par la publication d'une enquête effectuée par la Fondation pour le développement de la recherche médicale (Forem) n'a pas de raison d'être ; l'honnêteté intellectuelle commanderait de tenir compte du constat et d'en apporter la contradiction en toute sérénité. En fait, ce qu'a avancé la Forem n'est ni anormal ni hérétique, ceci en l'absence d'un système fiable de veille sociale. Les chiffres officiels sur lesquels a reposé certainement l'enquête sont : le taux de 94 % d'enfants scolarisés avec ses 500.000 issus de la déperdition scolaire. Quant aux 300.000 enfants utilisés de manière informelle dans les secteurs pourtant formels, dénote à la fois et malgré l'interdit, d'une inculture citoyenne et d'une culture frauduleuse. Cette fraude qui a envahi tous les espaces n'offusque plus personne, pour la simple et bonne raison qu'elle est passée dans les mœurs. Le législateur lui-même, s'il ne la pratique pas, la subit dans son environnement quotidien. Donc, il n'y a pas lieu de s'offusquer de pareille déclaration et de s'inscrire en faux, quand on sait que ceci ne représente que 2 % des 15.000.000 de population infantile recensée. Ce chiffre, loin d'effrayer, doit constituer le butoir à mettre en avant pour arrêter la progression d'une éventuelle tendance à l'aggravation. Cette main-d'œuvre juvénile peut, moyennant quelques amendements réglementaires, être intégrée à un processus d'apprentissage à la charge de l'Etat jusqu'à l'émancipation. Éclairer les zones d'ombre devient, dans ce cas, une mission régalienne de la puissance publique.

La société civile, constituée d'ONG, est certainement le meilleur aiguilleur pour toute action gouvernementale ; même irritante parfois, elle permet d'évaluer l'état d'avancement de projets sensés aller dans le sens du bien-être social. Il est aussi vrai que certaines ONG n'activent que sous les feux de la rampe et ne s'embarrassent d'aucune éthique déontologique. Le regard dirigé sur les chancelleries, elles ne se privent souvent pas de « trucider » les pouvoirs publics à chaque occasion propice. De véritables empires commerciaux se sont érigés sur la déshérence humaine générée par la maladie chronique invalidante, l'handicap physique ou mental, la malformation congénitale ou acquise, l'enfance assistée et bien d'autres tares. A propos de l'enfance assistée, il semble bien que dès son placement en famille d'accueil, celle-ci ne fait l'objet d'aucun suivi de la part des structures compétentes. S'il est tout aussi vrai que des associations développent un travail méritoire pour lequel il faut applaudir, il demeure néanmoins qu'elles n'ont malheureusement pas de profondeurs territoriales. Cette état de fait est exacerbé par le sous équipement en structures d'accueil idoines à même de fédérer les efforts louables de profanes en la matière. Fortement implanté dans les grandes concentrations urbaines du nord du pays, le mouvement associatif thématique ou non, ce distinguo a été, au fil du temps, imposé par un mandarinat dont la frilosité compétitive est à fleur de peau. Il est malheureusement quasi absent dans la ruralité où la corvée de l'eau et le gardiennage du troupeau font partie du décor. Et c'est à travers le parcours de ces immensités territoriales du pays qu'il est loisible de constater la défiguration du tissu social qui, jusqu'à un passé pas lointain, n'était nullement perceptible, encore moins mesurable. Les entrées ou sorties d'agglomération sont devenues un immense bazar où tout se vend par les enfants. Même les petits hameaux n'échappent pas aux négoces des produits locaux : du produit artisanal de cuisson (tajine et autres ustensiles) aux produits de la terre et d'élevage. Sur les axes routiers du Sud, une ribambelle d'enfants quémande de l'eau aux routiers. Sur les autoroutes et voies rapides du littoral, ce sont les pares-soleil et autres gadgets pour la mer qui sont proposés à la vente. La parité des sexes, garçonnets et fillettes, est à peine en faveur des premiers. L'acheteur potentiel que nous sommes, s'est-il posé la question un jour de savoir pourquoi ces enfants sont-ils là ? A-t-il au moins du respect pour ces précoces adultes mûris par l'adversité ? Ce phénomène est à l'image d'une société qui se recherche. Les causes historiques sont connues et cernées, les turbulences sanglantes qu'a connues le pays sont pour beaucoup dans cette transition sociale. La criminalité infantile est, selon les services de la DGSN (Forum d'El Moudjahid « L'enfant au centre de tous les enjeux »), un facteur nouveau dans les déviances urbaines. La Toile à travers les cybercafés est pour beaucoup dans la genèse de cette criminalité. Il est fait appel à une rigoureuse réglementation pour encadrer les secteurs des TIC (Technologies de l'information et de la communication). La cybercriminalité participe aussi bien au harcèlement sexuel qu'aux rapts d'enfants. La téléphonie mobile est devenue un moyen de chantage et de racket pour l'enfance en danger moral. Auteur et victime à la fois, l'enfant vit la décrépitude de la cellule familiale dont la responsabilité est relevée dans 90 % des cas d'agressions sexuelles subies. Il a été recensé pour les cinq (5) premiers mois de l'année en cours plus de 508 cas, compte non tenu des cas passés sous silence. Bien plus que les chiffres du premier semestre de l'année écoulée.

La tendance est nettement évolutive et nessairement préoccupante. Si les droits à la santé, à l'éducation, aux loisirs sont par le principe assurés par l'Etat, le droit au respect qu'on élude souvent quand on a affaire à l'enfant, doit être en bonne place dans les rapports de voisinage. Ne voit-on pas souvent des adultes pourchassant des bambins pour le seul motif de jeux exubérants ou bruyants. Parfois même, de manière guerrière en les lapidant de pierre et d'objets tout autant dangereux ? Cette attitude irrespectueuse commence malheureusement au foyer familial pour s'étendre à l'école, d'abord par le concierge qui brandit une main armée d'un flexible sous le regard placide du chef d'établissement ou par l'acidité verbale du maître. Où est donc passé le psychopédagogue ? L'enfant contraint de se défendre devant plus fort que soi, s'abritera dans un bréviaire insultant en prenant, toutefois, la précaution d'être hors de portée. Et, c'est ainsi que la boucle est bouclée. L'école qui devait policer les moeurs devient l'espace privilégié de joutes verbales où l'insanité et la rustrerie sont précocement apprises. La violence verbale cédera vite le pas à la violence physique. S'exerçant sur les pairs, elle ne mettra pas beaucoup de temps pour atteindre la maîtrise et l'ascendance. La délinquance juvénile avérée frappera à la porte du juge des mineurs, elle préparera le lit de la détention criminelle. Ce petit être frêle que nous avons terrorisé par un système éducatif monastique et oppressif : retards sanctionnés, notes punitives, discipline de casernement, privation de satisfaction de besoins biologiques ne pourra, à l'âge dit de raison, que s'insurger contre le carcan qu'il a subi en situation de dépendance matérielle et morale.