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Les signaux d'un discours

par Ahmed Saïfi Benziane

En l'absence d'une lecture sereine, loin de toute affectivité des élections pour un troisième mandat de Boutelika, en l'absence d'un débat contradictoire franc et direct, la parole est donnée au décodage de quelques signes apparents de ce que renvoient les images d'une télévision dépassée par le niveau international, budgétivore et sélectif.

Pas seulement, puisque les commentaires des télévisions étrangères, comme d'habitude, viennent au secours de l'opinion nationale avec leurs lots de désinformation et de messages où la clairvoyance n'est pas toujours de mise. Mais c'est toujours ça. Si certains ont lu dans l'absence de la candidate à l'échec Louisa Hanoune, une bouderie des sphères officielles, d'autres se sont demandés pourquoi Bouteflika a aligné face aux figurants à son investiture d'anciennes figures présidentielles, qui n'ont apparemment rien de commun.

D'autres encore, ont vu dans cet alignement la réconciliation du sérail et la fin d'une guerre ouverte via la presse écrite, avec pour toile de fonds l'arme du secret de guerre où chacun rejette ses erreurs sur l'autre et l'écriture de l'Histoire demeurera l'éternelle victime.

Pour les générations d'après-guerre tout le monde est responsable, tous ceux qui ont défilé au sommet de l'Etat ou dans sa périphérie immédiate et qui n'ont laissé aucune possibilité de voir clair dans la mémoire collective. Il reste le discours d'investiture et les engagements pris pour faire de l'Algérie un pays en lequel on peut croire. Il reste à « engager le pays sur le chemin d'un pays fort, serein, et prospère dont nous rêvons ». En retenant que lors de la précédente investiture en 2004 il était question de nous « dégager progressivement de la dépendance par rapport aux hydrocarbures et de commencer à préparer l'économie à l'après pétrole dans le contexte de mondialisation accélérée ».

Cela fait déjà cinq ans et les chiffres démontrent le contraire. Mais déjà en 99 le doigt état mis sur une certaine « dépendance aliénante vis-à-vis des ressources énergétiques » qu'il fallait stratégiquement combattre pour « nous hisser à la hauteur des exigences de la mondialisation et éviter que cette nouvelle configuration des relations économiques internationales ne constitue seulement pour nous, un handicap supplémentaire et un facteur de régression ». Cela fait dix ans et la dépendance n'a fait qu'augmenter jusqu'à atteindre nos besoins les plus alimentairement élémentaires. Que s'est-il passé et à quoi sont dus les écarts qualitatifs entre la volonté politique et la réalité du fonctionnement de la machine administratives ? Le trésor public a pourtant été saigné pour engager les démarches dans le domaine de la production notamment agricole. C'est ce qui fait peut être dire à Bouteflika en 2009 qu'il est « important de poursuivre et d'intensifier la lutte contre les pratiques du favoritisme et les passe-droits, sources de frustration et de découragement, et contre la corruption dont les effets contribuent à saper gravement le sens et le goût de l'effort ».

En fait, de poursuivre et d'intensifier, il est plus juste de dire qu'il faut d'abord commencer si telle est la volonté du chef suprême des armées, du premier magistrat du pays, fort de plus de 90 % des suffrages exprimés et dont on dit qu'il n'a plus rien à perdre. Première sortie officielle sur une question qui, non seulement a gangrené le corps social mais ne laisse effectivement aucun effort aboutir. Aucun. Mais alors comment lutter contre la corruption ? En pensant que « l'accélération de la modernisation des services publics, la rationalisation de leur organisation, l'optimisation de leur gestion sont des objectifs? » doivent se réaliser ?

Ce ne sont là que des aspects techniques qui comportent en leur sein l'accélération, la modernisation, l'optimisation de la corruption. Ce serait plutôt en s'attelant à « une sévérité redoublée à l'égard des insuffisances et de tout manquement individuel à l'éthique qui doit animer les magistrats » que quelques espoirs de justice peuvent jaillir du marasme général. Le « nettoyage » de la justice est le seul à même de préserver les valeurs morales d'une société et de ceux de plus en plus rares, dont des magistrats, qui croient encore en une justice dans ce pays. C'est en joignant le geste au discours et en engageant une véritable réforme de la justice basée sur la compétence et la moralisation du corps, que l'espoir d'un pays sérieux, serein et fort pourra voir le jour. C'est à ce moment que l'on pourra énoncer que « les organes de presse ont un rôle important à jouer dans cette lutte. La liberté de presse, qui participe essentiellement de notre projet démocratique, sera pleinement respectée, l'Etat restant déterminé à agir pour faciliter davantage encore, et à tous égards, l'exercice et le développement de la profession ».

L'Etat doit se déterminer alors par rapport au respect de cette liberté sans pression directe ou indirecte sur les organes de presse. Sans injecter des capitaux via prête-noms pour créer des organes de presses dont le seul souci est de contrer précisément la liberté d'expression loin de tout professionnalisme. En tout simplement prêter allégeance aux hommes forts du moment. La véritable régression dont parle Bouteflika est d'abord là. L'Etat doit se déterminer par rapport aux délits attribués aux journalistes et qui ne sont parfois qu'une volonté de dire la vérité même gauchement. L'Etat doit comprendre que les seuls acquis qui ont résisté à la décrépitude du mouvement démocratique, ce sont ceux d'une presse libre qui se débat comme elle peut pour rester fidèle à ses missions. Bouteflika a fait le serment de respecter ses engagements. Sa machine administrative le suivra-t-elle ? Pas si sûr si les ficelles restent entre les mains des mêmes marionnettistes. Faute de quoi nous connaîtrons le sort de ce que les médecins appellent l'apodose et qui n'est rien de plus que le processus par lequel des cellules déclenchent leur autodestruction en réponse à un signal.