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La politique ou le retour au passé ?

par Abdou B.

«La lâcheté ne sait pas profiter des leçons que la générosité lui donne».

Après une élection présidentielle qui a fait couler beaucoup d'encre et de salive, le temps des bilans et des projections est arrivé. Elu pour un troisième mandat, le président de la République se trouve à un moment charnière de la vie nationale, de sa carrière politique et au carrefour d'enjeux qui vont dessiner l'avenir de l'Algérie, dans un sens ou dans un autre. De leur côté, chaque candidat et chaque opposition ont du pain sur la planche, et il n'est pas forcément blanc. Il ne l'est pas non plus pour le FLN et le MSP qui ont pourtant accompagné la victoire d'un homme qui a pris les plus grandes précautions en se prévalant de son indépendance, s'adressant à chaque fois au seul peuple à qui il doit sa légitimité, donc ses pouvoirs pour la durée du mandat qui commence.

Les cinq adversaires qui se sont présentés devant le suffrage universel et les opposants qui ont boycotté le scrutin en rangs dispersés se trouvent pratiquement logés à la même enseigne : comment gérer la défaite et en même temps panser leurs blessures et se replacer dans une perspective d'avenir. Le soutien critique et l'opposition ferme restent difficiles à faire vivre sans une politique programmatique forcément différente de celle élaborée avant et pendant l'élection consommée. Il va falloir, pour beaucoup, apprendre sinon réapprendre le militantisme à la base, la pratique politique de proximité et surtout innover et trouver de nouvelles formes pour se rendre lisible, visible et audible pour les citoyens. Ces derniers, au-delà d'un scrutin dépassé, manifestent dans leur vécu quotidien une dangereuse indifférence vis-à-vis de la politique. Ce qui est néfaste pour le pays, la démocratie, le pouvoir et l'opposition éclatée, incohérente et surtout «pleurnicharde» devant de vraies fermetures qui fragilisent le pays en différant la construction d'un front national, reposant sur des consensus et des compromis stratégiques qui transcendent l'accès et le maintien au pouvoir des uns et des autres.

Le MSP apparaît parmi les plus fragilisés par la victoire de M. Bouteflika, confirmant le reflux des courants islamistes qui, en dehors de barbes et de tenues exotiques affichées dans les écoles, rues et universités du pays, n'offrent absolument rien de neuf en matière d'économie, d'industrie culturelle, de recherche scientifique et d'innovation consignées dans un programme accessible aux Algériens et au monde extérieur. Au-delà de certaines pétitions de principes périmés, c'est l'impasse pour eux. Le soutien, relativement critique, du MSP qui peine à asseoir une présence au sein du gouvernement et une «opposition» incompréhensible, a provoqué une implosion sérieuse en son sein.

Des dissidences qui couvaient entendent, en quittant le MSP, revenir à «la prédication» dans un monde en crise, dans une Algérie en retard dans les domaines de la culture, du tourisme, des sciences et de l'innovation. La prédication qui a des lieux spécifiques, dans toutes les religions, se trouve être en contradiction violente, dans l'activité politique, avec les articles 36 et 42 de la Constitution. La tragique expérience récente de l'Algérie qui a «démocratisé» l'intrusion du religieux dans le champ politique et la vie privée garantie par l'article 39 de la loi suprême disqualifient à l'avance toute tentative de retour à l'ex-FIS et aux avatars sanglants des frères «musulmans». La problématique posée lorsque M. Abassi Madani et ses adjoints à l'intérieur et ses soutiens à l'extérieur est régulièrement réactivée, sinon posée comme exigence par divers courants archaïques qui font fi de l'emplacement stratégique, hérité de l'histoire et la géographie, de l'Algérie. Un grand pays comme la Turquie, qui a la laïcité (qui n'est pas l'athéisme) inscrite dans sa Constitution, n'a suscité et ne suscite ni débats ni réflexions dans les formations politiques nationales qui sucent à toutes les rentes, même les plus dangereuses pour l'avenir des générations futures.

De son côté, le FLN ne trouve ni une stabilité définitive ni le rang qu'il estime être le sien au sein de l'Alliance présidentielle, ni dans l'action gouvernementale dirigée par le secrétaire général du RND qui s'impose même à des ministres considérés intouchables, à tout ou à raison. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le conglomérat qui constitue l'ossature de l'architecture élaborée par M. Bouteflika risque lui aussi de connaître une cascade, ne serait-ce que de pure forme, de «redressements», de dissidences, de scissions, d'émergence de groupuscules, non autour de projets mais pour de la rente et des égo personnels. Est-ce que cela va-t-il profiter à l'opposition tellement plurielle qu'elle se réduit à une impuissance chronique et à des accès de fièvre à chaque élection locale ou nationale.

Le respect dû aux formations qui participent au gouvernement et à celles qui se situent dans l'opposition au pouvoir, dans les syndicats autonomes, dont les composantes sont aussi algériennes et patriotes que les membres du Parlement, de la société civile «rebelle» n'absout personne de prendre des positions. A l'évidence, partout dans le monde, il y a des consensus intouchables et des symboles au-dessus de tous. La récente campagne tenue pour l'élection présidentielle a mis en exergue des sujets qui ont fait polémique, ajoutant de la cacophonie dans un paysage politique désarticulé. Le drapeau algérien et l'hymne national sont souvent dans les pages de la presse écrite comme «litiges» et souvent arborés comme des rentes de légitimation. En arborant un drapeau noir au lieu et place de l'emblème national, le RCD a certes provoqué de l'émoi, feint ou réel et des réactions disproportionnées qui laissent pantois. Aujourd'hui, n'importe quelle minuscule cellule de n'importe quel parti minuscule peut faire jouer l'hymne nationale, arborer le drapeau de tous, souvent en piteux état. Durant une campagne électorale, n'importe quel citoyen lambda, n'importe quelle permanence d'un candidat montent le drapeau, font écouter Kassamen, font respecter une minute de silence à la gloire des martyrs... Ce mélange de folklores indécents, l'utilisation de symboles collectifs, relèvent de la responsabilité de l'Etat et de lui seul. Le consensus basique conforté par une simple loi doivent bannir ces pratiques archaïques. Qui a l'autorité de lever le drapeau et exclusivement où ? Qui a le pouvoir de faire jouer Kassamen, où et quand ?

Des questions simples pour lesquelles les réponses apportées éviteraient des accusations surréalistes, la menace par les tribunaux et des surenchères patriotiques hors du temps.

Au même titre que la religion de la communauté nationale, les symboles qui ont structuré le mouvement national, la guerre d'indépendance doivent éclairer la jeunesse. Mais il faut qu'ils soient protégés de tous et de toutes les misérables manipulations dans le champ politique. Les affrontements partisans et la concurrence pacifique entre des programmes, régulés dans les grands pays, ne sont pas des pseudo-concours de patriotisme dont nul ne détient le monopole, selon qu'il se trouve au pouvoir ou dans l'opposition. Seule l'histoire et la postérité retiendront les élus qui auront la vie longue ou l'immortalité dans l'inconscient collectif.