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La campagne électorale est difficilement l'occasion de faire entendre les cris et hurlements des sans-voix que les voix officielles n'ont cessé d'étouffer, tout en faisant semblant de les écouter ; nécessité des urnes oblige. Dans ce contexte, j'ai décidé de parler, encore une fois, des jeunes de Oued Djer. De faire entendre, en pleine campagne électorale, une autre voix que celles que l'on entend à la radio ou à la télévision. Parce que Oued Djer - même si cette bourgade, tapie au pied de l'Atlas blidéen, est à une quarantaine de kilomètres de Blida et à moins de cent d'Alger - est un monde oublié, aussi oublié que les hameaux de la steppe algérienne, du Sud ou de l'extrême Est, ou des villages de Kabylie, plantés sur des pitons séculaires, comme autant d'inexpugnables vigies. Rares sont les personnes qui savent ce qui s'y passe ou se doutent de ce qui s'y pense. Une aventure humaine frappée en plein vol... Je veux parler de cette aventure commencée avec un groupe de jeunes gens et de jeunes filles au mois de novembre 2007. Une belle aventure frappée en plein vol, par la cécité bureaucratique faisant que l'administration, au lieu de jouer son rôle de stimulateur et d'animateur des énergies sociales, lui préfère celui d'impitoyable étouffoir des volontés citoyennes. Cela a commencé par un projet : «La Caravane de la Mère et de l'Enfant», porté par l'Association nationale de Défense des Droits de l'Enfant (ANADDE), approuvé par le ministère de la Jeunesse et des Sports. Un projet simple: défendre les droits de l'enfant, des jeunes et des femmes, grâce à l'animation culturelle et sportive, vecteurs susceptibles de les rendre plus visibles et plus parlants aux autres citoyens et aux gouvernants. Et surtout, grâce à l'action des jeunes, filles et garçons, au sein du village seuls capables, en étant motivés, de mener à bien et de manière durable, une véritable initiative de développement communal. Cela a commencé par une réunion de la section ANADDE de Blida, choisie pour être wilaya pilote, champ d'expérimentation avant d'entamer un Tour d'Algérie, riche de toutes nos observations au contact du réel. Au sein de la wilaya de Blida, il nous fallait choisir une commune. Le choix de notre groupe s'est porté sur Oued Djer parce que sa population avait cruellement souffert durant la décennie de l'horreur, des larmes et du sang. Il faut dire aussi qu'elle était totalement décentrée par rapport aux autres communes et qu'un îlot de 1.500 habitants comme El-Mâaif, à 3,5 km de Oued Djer centre, vivait comme « s'il n'y avait pas eu d'indépendance », me dira N... qui y habitait. Visite insolite à Oued Djer La décision prise, nous nous sommes rendus immédiatement sur les lieux, pour prendre contact avec les jeunes et les autorités de la commune. C'était un 26 novembre de l'année 2007. Près du monument des Martyrs de la commune, un groupe de jeunes était assemblé. Il ne nous a pas fallu longtemps pour briser la glace et expliquer ce que nous venions faire chez eux. D'autres jeunes, qui passaient par là, sont venus entendre et suivre le débat engagé avec leurs camarades. Quelque temps plus tard, un homme d'un âge certain, et l'oeil fureteur, s'est avancé pour nous demander : « De quel parti êtes-vous ? ». Grosse stupeur parmi nous qui débarquions en pleine campagne électorale communale, sans nous rendre compte de l'émoi que cela pouvait créer. Les élections allaient se dérouler le 29 novembre. H... fut le premier à réagir : « Nous sommes les représentants du Parti des enfants ! ». Rires dans l'assemblée. Le débat s'est poursuivi pour mieux expliquer et éclairer, jeunes et moins jeunes, sur les tenants et aboutissants de notre projet. Nous avons parler de nos intentions, de nos objectifs, de l'organisation, du comment les choses allaient se dérouler concrètement. A la fin de cette rencontre au pied levé, des numéros de téléphone furent échangés ; et promesse fut faite de se recontacter après les élections. Puis, nous nous rendîmes au siège de l'APC, pour rencontrer le secrétaire général et lui expliquer le pourquoi de notre insolite présence dans les murs de Oued Djer. La construction du projet Par la suite, la Maison de jeunes de Oued Djer et son directeur, tout acquis au projet, allaient jouer un rôle plus que positif dans le démarrage et l'évolution de notre action. Toutes nos réunions et activités y trouvèrent un espace accueillant et adapté. Avertis que nous étions de la mentalité conservatrice de la population, nous ne voulions pas entamer la réalisation de notre projet, sans l'avoir présenté aux citoyennes et citoyens de la commune et en avoir débattu avec eux. Une assemblée des citoyens fut organisée à cet effet avec la bienveillante compréhension du maire, nouvellement élu. Dans la salle, même si les rangs hommes femmes étaient séparés, les femmes s'exprimèrent, en ateliers, pour donner leur point de vue et soutenir le projet « qui ne pouvait que nous faire du bien du fait qu'après l'école, nos enfants sont livrés à eux-mêmes et à la rue », dit l'une d'entre elles. Une campagne pour le choix des futurs animateurs et animatrices fut lancée peu après. Une trentaine de candidats se présentèrent, moitié filles et moitié garçons. Les filles ayant toutes terminées leurs études, licence en poche, vivaient soit de petits boulots, soit, pour la plupart, étaient recluses. Les garçons presque tous licenciés également, à l'exception de deux du niveau terminale, vendaient pommes, bananes, ou oranges, selon les saisons, dans des échoppes de bric et de broc, achalandées au bord de l'autoroute. C'était bien « mieux que de vivre en chômeurs », me dit l'un d'eux. Plusieurs réunions d'explication et de débats pour enrichir le projet aboutirent à l'assemblée générale constitutive de la section ANADDE de Oued Djer et à l'adoption de son programme d'action. Toutefois, l'idée que pour assurer la pérennité du projet, comme le souhaitaient les services du MJS et ceux de la wilaya, il fallait non plus des animateurs volontaires, mais des animateurs à demeure, de manière permanente. La conception de leur rôle évolua au fur et à mesure que nous en débattions. Le projet initial était largement dépassé par les réalités et besoins révélés par le terrain. Le débat avec les jeunes lui avait donné une autre consistance, un autre sens et une nouvelle résonance possible dans la vie du village. Qui, mieux que les jeunes du terroir, pouvait connaître la population des jeunes, des femmes et des enfants, et organiser à leurs intention des activités d'animation sociale et éducative, culturelle et sportive. Les jeunes filles se promettaient de mettre sur pied «Nadi Nissa Oued Djer» : une petite révolution sociale. La meilleure solution, et pour les jeunes et pour leur commune, était de les faire recruter par la wilaya, en qualité d'animateurs du développement communal. Une décision positive Le wali de Blida m'accorda une audience. Je lui présentais le projet qu'il trouva très utile pour la commune et la wilaya. Au bout de deux séances, avec lui et ses services, il fut entendu que les 30 jeunes seraient recrutés dans la cadre de la Nouvelle Politique de la jeunesse et de son plan d'urgence, décidé au cours de la réunion Gouvernement-Walis du mois d'octobre 2007. Nous avions déterminé le profil de ce nouveau poste et le wali fixa de lui-même la rémunération de ces jeunes et son financement sur le Fonds de wilaya d'encouragement des initiatives de jeunesse et de sport. Cette décision eut un incontestable retentissement populaire au sein de la commune et de toutes les autres sections Anadde. Les jeunes voyaient pour la première fois aboutir leurs rêves : avoir une place au soleil, faire entrer un salaire à la maison, être utile socialement et pourquoi pas, penser à se marier et fonder un foyer. N'est-ce pas cela que veut la majorité de nos jeunes ? Dopés par cette décision de simple bon sens, s'inscrivant dans le droit fil d'une nouvelle politique en faveur des jeunes, ils commencèrent à recevoir, sur place, à la Maison de jeunes, le début de leur formation théorique, puisque les filles ne pouvaient se rendre au camp de jeunes de Sidi Ferruch, où le programme général était domicilié sans autorisation de leurs parents. Venir chaque matin à Oued Djer, nous fit faire connaissance de quelques citoyens et de parents de jeunes, au café du village. Ce contact quotidien permit de lever certaines préventions légitimes et favorisa l'organisation de la deuxième partie du stage à Sidi Ferruch. C'était un monde nouveau qui s'ouvrait devant les jeunes : découverte du travail coopératif, de l'expression libre des idées, de la prise de responsabilité dans la vie du camp, de la créativité, de l'animation intégrée, du montage de projet, de l'organisation de manifestations sportives ou culturelles, de l'animation sociale, etc. A l'issue du stage, les dossiers de recrutement furent transmis à la wilaya. Le début des désillusions et de la hogra Confiants de l'engagement du wali, les jeunes et nous-mêmes, avons poursuivi nos activités jusqu'au mois de juin 2008, avec l'organisation de la Fête internationale de l'Enfance qui fut l'œuvre des jeunes de Oued Djer. Mais, du côté de la wilaya, toujours rien. Tous les contacts avec la wilaya, par téléphone ou internet, demeuraient infructueux, comme si une invisible consigne avait été donnée quelque part. Les jeunes, qui commençaient à douter sérieusement, demandèrent la réunion d'une nouvelle AG. Tous décidèrent, à l'exception de cinq d'entre eux, de suspendre leurs activités, jusqu'à ce qu'ils soient régularisés. Une lettre ouverte fut adressée au Président de la République, pour attirer son attention sur ce déni de droit. Sans aucun résultat. Toujours est-il que quelles que soient les considérations et les supputations, un coup d'arrêt fatal venait d'être donné à un projet qui valait la peine d'être poursuivi dans l'intérêt des jeunes et des communes qui auraient pu en bénéficier. Les jeunes étaient écoeurés de la manière dont ils venaient d'être traités par une administration bien loin de répondre à ce qui était attendue d'elle : application des engagements pris. Elle démontrait ainsi aux jeunes de Oued Djer mépris et inconsistance des engagements et promesses des gouvernants. Elle détruisait et foulait aux pieds la confiance que des jeunes lui avait accordée. Ils étaient déçus à un point tel que je crus de mon devoir de revenir à la charge, sur incitation de quelques amis et de jeunes de Oued Djer qui demeuraient fidèles au projet en tant que volontaires. De nouvelles promesses furent faites. Peu de temps après, nous fûmes conviés à assister, les jeunes de Oued Djer et quelques membres de l'association de Blida, à une réunion présidée par le ministre de la Formation professionnelle, qui avait pour objectif de connaître le point de vue du mouvement associatif au sujet de la nouvelle politique de la jeunesse. Voyant notre nombre, le ministre de déclarer « vous êtes venus en force ». Oui, la force de la conviction et des droits spoliés. Après notre exposé de la situation, nouvelle promesse publique, et du ministre et du wali de Blida. Rien ne se fit, rien ne changea. La fin des illusions C'est de cette façon qu'un pouvoir se décrédibilise aux yeux de la population et de sa jeunesse. Et si certains de nos gouvernants disent ne rien comprendre au phénomène de la harga, aux kamikazes, aux jeunes qui prennent le maquis, à ceux qui se droguent et à ceux qui se suicident, ils ont là, sous les yeux, l'exemple parfait de ce qu'ils devraient savoir pour comprendre l'étendue de leur ignorance et l'échec de leur politique. Alors, que tous ceux qui n'ont que le mot jeunesse à la bouche, à chacun de leurs meetings, en cette période électorale, se souviennent de l'exemple des jeunes de Oued Djer, et leur rendent justice en les réintégrant dans leurs droits. Parce que Oued Djer, c'est l'envers du décor, le couvercle posé sur les réalités de notre pays, afin que nul ne les voit ou n'en entende parler. Et que l'on ne vienne pas dire, pour se dédouaner, qu'il y a des milliers de Oued Djer, en Algérie. Comme ceux qui, hier, trouvaient que quatre mille de nos enfants, morts en pleine mer, étaient un chiffre relatif, par rapport aux millions de jeunes. Même s'il n'y en avait qu'un, il faudrait en parler, et tout faire pour le sauver. C'est là tout le sens d'une Nouvelle Politique de la Jeunesse ! L'un des critères de recrutement : être du niveau terminale; et nous étions bien au-dessus. La contribution de la wilaya de Blida ne représente qu'une goutte d'eau face aux sommes faramineuses englouties par une campagne électorale délirante. Le salaire d'un DTN allemand aurait siphonné, d'après un responsable du MJS, tout le Fonds national d'encouragement des initiatives de la jeunesse et du sport, dont la fonction n'était pas de verser des salaires mirobolants à des techniciens comme il s'en trouve chez nous. |
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