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La
nouvelle a d'abord suscité un sentiment de perplexité, rapidement transformé en
indignation, obligeant le président Obama à exprimer publiquement sa
stupéfaction devant ce qui ressemblait à un canular. En effet, les dirigeants
d'AIG ont décidé de distribuer des «bonus» - des primes - et des augmentations
de salaires à leurs traders, ceux-là mêmes qui sont responsables des choix
désastreux qui ont précipité l'effondrement de la ci-devant première compagnie
d'assurance mondiale.
Ces primes et ces augmentations, de l'ordre de 150 millions de dollars, alors qu'AIG n'a été sauvé de la faillite que par l'intervention massive du Trésor. Celui-ci a injecté dans la firme environ 170 milliards de dollars de fonds publics pour éviter une catastrophe financière aux conséquences plus dramatiques encore que celle provoquée par la banqueroute de Lehmann Brothers. Le président de la compagnie d'assurances, Edward Liddy, a justifié ces largesses par les contrats liant les traders à l'entreprise. Déjà ulcérés par le soutien public à des entreprises privées, qui heurte de plein fouet leurs convictions libérales, une bonne partie des sénateurs sont montés au créneau en réitérant à qui veut bien les entendre qu'une telle aberration est le résultat de l'immixtion de l'Etat dans le domaine économique. L'affaire est entre les mains de la justice, qui a demandé la communication des contrats d'embauche des heureux traders, et le département du Trésor a décidé de modifier l'aide supplémentaire de 30 milliards de dollars qu'il doit verser à AIG. Les experts estiment que la perte finale subie par l'assureur américain serait de l'ordre de 250 milliards de dollars. Pour de nombreux observateurs, cette affaire révèle la perte de sens de l'argent fou dont la déconfiture a déjà entraîné la perte de centaines de milliers d'emplois. De l'autre côté de l'Atlantique, une autre polémique avait agité le landerneau politico-financier quand la firme pétrolière française Total avait benoîtement annoncé, quelques jours après la publication d'un bénéfice historique de 14 milliards d'euros, la suppression de 555 emplois. «Manque de pédagogie», selon Laurence Parisot, la présidente du Medef, «absence complète de sens moral», a estimé le député écologiste Noël Mamère. Dans un contexte de colère sociale généralisée, le groupe pétrolier a le plus grand mal à justifier cette compression d'effectifs à contre-courant de ses résultats. Il n'y a rien de commun ni rien de comparable entre le scandale AIG et la controverse Total. Pourtant, ces deux affaires illustrent, chacune à sa manière, le mode opératoire d'un système fondé sur la logique d'airain du profit et les comportements d'une élite entrepreneuriale qui ne se sent comptable au fond devant personne, ni ses actionnaires ni ses créanciers publics. Le principe de la privatisation des bénéfices et de la socialisation des pertes est ainsi exposé dans toute sa cynique brutalité. Les analystes médiatiques font mine de découvrir le mode de fonctionnement du libéralisme et pointent du doigt ce qu'ils présentent comme des aberrations singulières. Pourtant, le capitalisme est essentiellement étranger à l'éthique ou à la responsabilité sociale, sa seule loi étant celle de la maximisation du profit. La mise en accusation de ces firmes devant le tribunal de l'opinion servirait-elle à exempter le système dans son entièreté ? |
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