Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Comment supporter l'intolérable ? La question hante les esprits des acteurs de la sécurité routière

par Mohamed Bensalah

La série noire se poursuit et les cris d'alarme s'essoufflent dans leur vaine tentative de conjurer la catastrophe. Face au rituel des morts, des blessés et des handicapés, les mots semblent vains. Les conséquences pour les familles, pour les parents et pour le pays sont très graves.

Le constat d'impuissance est manifeste face à cette tragédie quotidienne que rien ne semble enrayer. Loin de s'estomper, le phénomène prend, d'année en année, des proportions alarmantes. 2008 a enregistré un record absolu. Plus de 4.000 Algériens tués, des dizaines de milliers de blessés et autant d'orphelins et d'handicapés. Malgré l'intensification des efforts pour le juguler, le fléau continue à faire des ravages. Nos routes sont considérées comme les plus meurtrières du monde. La raison, une conjoncture de facteurs devenus classiques, liés à l'état du réseau routier de plus en plus défectueux, à la vétusté des véhicules en circulation, à l'absence de signalisation, aux pièces de rechange contrefaites, etc.

S'ajoutent à cela, l'augmentation exponentielle du parc automobile, les excès de vitesse, les dépassements dangereux, le non-respect du code de la route, l'alcool au volant, les carences au niveau des auto-écoles, facteurs qui aggravent de manière dramatique la crise actuelle.

Une remise en question des mesures prises jusqu'à ce jour s'impose. Les multiples campagnes de prévention, le nouveau code de la route, les radars espions, les «dos-d'âne» traîtres, les ralentisseurs hors normes et toutes les dernières mesures répressives (ponction financières, retraits massifs et abusifs du permis de conduire - 221 496 en 2008 ! - etc.) n'ont pas contribué à réduire l'ampleur du désastre. Les pouvoirs publics (et plus particulièrement le ministère des Transports, de la Santé et de la population) doivent s'impliquer beaucoup plus et surtout de manière rationnelle et plus pragmatique. Leurs actions ne peuvent se limiter à inventer des lois répressives et à sanctionner drastiquement les contrevenants. Corriger les insuffisances constatées revient à repenser les actions entreprises devenues caduques et à envisager des stratégies structurantes. Il est aberrant qu'avec un parc automobile, estimé à cinq millions de véhicules, nous soyons toujours classés au quatrième rang mondial pour la mortalité routière. Il est tout autant stupéfiant de constater que le nombre d'accidents de la circulation routière est 12 fois plus élevé qu'en Italie, 10 fois plus qu'en France et 13 fois plus que les Etats-Unis. Cela dit, si l'action préventive est essentielle, elle ne peut être considérée comme la panacée universelle, car le problème est aussi d'ordre mental, moral, éducatif et psychologique.



La communication, alternative à l'insécurité routière ?



Dans un paysage soumis à nombre de turbulences, il serait cependant illusoire d'imaginer un remède miracle, tout comme il serait vain d'espérer des résultats tangibles en peu de temps. Le pari de la sécurité routière exige une grande mobilisation des experts de diverses disciplines, du temps, des moyens, de la persévérance et surtout, une démarche cohérente qui ne saurait faire l'économie de tâtonnements. Nous disposons d'un Centre national de prévention routière (CNPSR) depuis avril 1998, de spécialistes de la sécurité, de la médecine, du comportement et de psychologues de qualité. Qu'est-ce qui empêche la mise en place de synergies vivifiantes ? Dire que nos routes sont de plus en plus dangereuses relève du truisme. Dénombrer les morts et les blessés, établir des portraits robots des criminels de la route, s'offusquer de comportements irresponsables et du laxisme des autorités ne suffit plus. La création du CNPSR n'a pas comblé les espérances. On continue à rouler de plus en plus dangereusement et de mourir de plus en plus fréquemment sur nos routes. A qui incombe la faute de ce basculement dans l'horreur ?

Rejeter la responsabilité sur les autres revient à fuir la réalité. Chacun, en son for intérieur, s'estime être bon conducteur. Chacun pense que sa manière de conduire n'a aucune influence sur les risques d'accidents. Mais à y regarder de plus près, on se rend bien compte que tout cela n'est que pure hypocrisie. Nous sommes tous, certes, à des degrés divers, responsables, en termes de circonstances, d'acceptation de règles, de responsabilités et de manque de rigueur. Les agresseurs sont de divers types. A côté de celui qui manque de vigilance et d'attention, il y a celui qui franchit les lignes rouges en pensant qu'il ne met aucune vie en péril. Il y a enfin et surtout, celui qui transgresse délibérément les règles et qui prend un malin plaisir à le faire en prenant des risques délibérés. Le projet à concevoir devrait tenir compte non seulement des nouveaux vecteurs d'informations, mais aussi des nouvelles formes d'intervention en direction des jeunes qui constituent le meilleur relais.

D'où, la nécessité impérieuse de mettre en oeuvre de nouvelles mesures imaginatives et efficaces pour modifier les comportements et mettre en place un système efficient de prévention et de sanction contre la bêtise humaine. Une stratégie de communication efficiente devrait nous permettre d'agir en amont du phénomène afin de modifier le comportement des conducteurs et des usagers de la route.



La répression a montré ses limites



D'aucuns pensent que seules des sanctions draconiennes, des punitions exemplaires et au besoin des incarcérations de contrevenants, auteurs de délits et d'homicides volontaires ou involontaires, peuvent mettre fin au « terrorisme » routier. Or, partout, les mesures coercitives ont montré leurs limites. Il est nécessaire donc de songer à mettre en action l'arme de l'information et de la communication. Celle-ci peut constituer une alternative à la recrudescence inquiétante de la délinquance routière. S'il est indispensable de se montrer vigilant, il est tout autant important de revoir le code de la route et la formation dispensée pour l'obtenir. Démultiplier le nombre de gendarmes et de policiers, accentuer les contrôles et la surveillance et organiser des opérations dissuasives en multipliant et en diversifiant les contrôles, c'est bien. Mais il faudrait peut-être aussi opter pour la discrétion en ayant recours à des tenues civiles et à des véhicules banalisées pour coincer les contrevenants qui agissent souvent, lorsque le gendarme est absent ou lorsque le policier a le dos tourné et toujours loin des barrages routiers.

On peut, enfin, mettre à profit les mesures qui ont réussi ailleurs, comme par exemple, le permis de conduire à points qui s'annule au fur et à mesure que les infractions augmentent et qui peut aider à dresser une typologie qui ouvrirait la voie à un ajustement de prises en charge. Nous n'aurons pas pour autant éradiqué le mal endémique.

Si la sévérité reste un levier que personne ne conteste, elle ne peut en aucune façon résoudre le problème. Il faut qu'elle soit accompagnée et conjuguée à une démarche psychopédagogique et psychothérapeutique car les « fous du volant » doivent faire l'objet de soins attentifs, surtout s'ils sont récidivistes. Aucune société ne peut faire l'économie d'une prise en charge psychologique de sujets dont les comportements préjudiciables à la collectivité relèvent non seulement de la criminalité mais aussi de la psychopathologie. Ces excités au comportement irrationnel, qui multiplient les infractions une fois au volant, qui prennent trop de liberté avec le respect des signaux et des panneaux de limitation de vitesse et qui brûlent les feux rouges et les lignes jaunes, appartiennent à toutes les tranches d'âge et pas seulement à la jeunesse. Les conducteurs dangereux qui n'ont pas un profil défini doivent, bien sûr, être condamnés et s'ils récidivent, faire l'objet d'un suivi socio-judiciaire et parfois d'examens médico-psychologiques et de soins. Ces malades de la route doivent, dès la première verbalisation, faire l'objet d'une investigation qui serait fonction de la gravité de l'infraction. Si la police routière est souhaitable, elle ne peut à elle seule suffire face à la recrudescence des accidents de la circulation. La prévention routière et la sécurité publique sont d'abord et avant tout affaire de volonté politique et de stratégies. Une volonté politique forte et une stratégie intelligente s'imposent. Agir en amont du phénomène revient à instaurer une éducation routière dès le plus jeune âge. Dans les écoles, les enfants doivent être sensibilisés aux dangers de la circulation. Plus tard, si les comportements manifestés se font déviants, doivent alors entrer en scène les spécialistes du comportement pour analyser non seulement le risque, mais le pourquoi il y a prise de risque. Il faut former des psychologues et les associer dans cette politique globale de lutte contre l'insécurité routière à l'instar de ce qui se fait en Europe. Une idée forte qui se trouve posée aujourd'hui est celle de parvenir à faire de la communication l'outil indispensable afin de, progressivement, mettre en oeuvre des stratégies intelligentes. En santé publique, l'émergence de la communication est un fait inéluctable. Cette dernière ne fait pas que véhiculer une information, elle vise un but, celui de provoquer un changement de comportement, un changement d'habitudes et d'attitudes par le dialogue et l'information.