Rien n'est
plus terrible, disait le poète allemand Goethe, que quand l'ignorance passe à
l'action. Quand l'ignorance est en phase action, il vaut mieux lâcher prise que
de continuer à naviguer à vue, dans le vide. On perdra trop de temps à réformer
l'irréformable et à lutter contre les moulins à vent. L'ignorance est le pire
ennemi du progrès. L'ignorance crée les certitudes et les certitudes accouchent
du fanatisme. Une femme ou un homme fanatique ne «raisonnent» que par la
logique binaire, c'est-à-dire du vrai et du faux, du licite et d'illicite, du
juste et d'injuste, du sérieux et du dévoyé. Il n'est plus question dans leur
logiciel mental ni de doute ni de relativité. Un homme fanatique ne pense pas,
mais juge. Il n'émet pas d'opinion, mais il lance des jugements à tout va. Il
n'aime pas se faire confronter ses certitudes avec celles des autres, mais il
aspire juste à renforcer ses préjugés. Comme s'il est l'unique détenteur de «la
Vérité éternelle» et que tout le monde autour de lui est dans la falsification
et le mensonge. Ce qui fait de lui un homme de ressentiment, de haine et de
repli. Bref, un homme qui se hait et hait les autres. Or, la société ne peut
avancer qu'en se remettant sans cesse en question. La société se construit sur
la relativité et la relativité veut dire débat permanent. Il va falloir
discuter de tout et de rien, sans tabous, sans garde-fou, sans contrainte, sans
censure ni autocensure. L'individu autant que la société doivent se douter
d'eux-mêmes, s'interroger sur ce qu'ils sont et sur ce qu'ils comptent devenir,
se remettre en cause de façon à permettre l'échange fécond des idées. Etre et
devenir doivent être parmi les préoccupations fondamentales qui les agitent.
S'il n'y a pas débat, la société ne respire plus. Et sans respiration, les
pores de ses cellules se bouchent et c'est implosion. Ainsi, la haine, la
discrimination, le racisme, l'exclusion, le carriérisme, le matérialisme,
l'enrichissement illicite deviennent des credo, voire des sacerdoces. Et puis,
la société, paralysée par ses ressorts rouillés, se transforme en société
fainéante qui s'efforce de faire sa promotion par l'ignorance. Incapable
d'autocritique et de remise en cause, elle court souvent derrière les solutions
de facilité, afin d'éviter l'épreuve de changement. Et là, on en vient à cette
histoire de «l'ignorance en action» qui essaie de «zapper» le processus
douloureux de la modernité : savoir, intelligence, effort, compétence,
réussite...