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Opinion publique: La «Sondomania»

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Il est des pays (dont notre ancien colonisateur) où le sondage d'opinion est roi, presque dictatorial puisque l'action politique est, désormais, de plus en plus dépendante des résultats des sondages. N'a-t-on pas vu, dernièrement, la (énième) loi sur l'immigration, un texte «monté» de bric et de broc, taillée à la mesure des résultats de sondages. Des résultats ayant fait si peur à la Macronie au pouvoir et à son avenir que des alliances avec la droite, jusqu'à son extrême, ont été recherchées, négociées et acceptées.

Le temps de la dictature du sondage et de ce que l'on croit exister comme opinion publique est bel et bien là ! Avec un tas de dérives dévoyant, jusqu'à l'infantilisme, l'activité politique.

Certes, l'opinion publique est un pan de la Communication sociale qui est, certainement, le plus (mais pas le mieux) étudié pour être le plus (mais pas le mieux) exploité, tout particulièrement par les journalistes, les «expertologues» et, en fin de parcours, par les politiques. Exploitée dans ses résultats, soit pour conquérir des esprits et des espaces, soit pour se défendre face aux «attaques» réelles ou supposées d'adversaires ou d'ennemis.

Déjà, dans les années 50, Walter Lippmann, un des plus brillants journalistes américains, analyste et chroniqueur de talent, saisissant les dérives conservatrices de l'époque, avait décortiqué le phénomène et mis en garde (Cf. ses ouvrages «Public Opinion» et «The Phantom public» ) contre la domination outrancière des résultats des sondages d'opinion, faisant, défaisant et bien souvent contrefaisant les stratégies de conquêtes ou de protection des pouvoirs (politiques, économiques, commerciaux, financiers, sociaux). Il est vrai qu'à l'époque, le phénomène publicitaire, surfant sur les résultats des sondages d'opinion, avait le vent en poupe, tricotant et détricotant les comportements sociétaux. Le politique n'allait pas tarder à suivre, à s'en emparer et à exploiter à son profit tout le mouvement.

Le monde sortait d'une guerre mondiale utilisant, grâce à la radio et au cinéma, des techniques de la propagande. Il allait connaître sa première grande révolution technologique médiatique, accélérée très rapidement par la télé terrestre puis satellitaire. Un mouvement qui allait s'accélérer durant les années 60, tout particulièrement avec les guerres successives menées par les Etats colonialistes, en Afrique, en Asie et en Amérique latine, les guerres entraînant l'exploitation affinée de l'Information propagandiste.

Depuis, les «sondages d'opinion» tiennent le haut du pavé tout particulièrement en Europe et aux Etats-Unis, et il n'y a pas une seule action politique qui ne s'appuie sur ses résultats sur les sols nationaux et, aussi et surtout, ailleurs. Ce qui, immanquablement, avec la profusion des «Instituts» de sondage, publics et privés, aboutit à tout et à son contraire et à la disparition ou la mise à l'écart de la réflexion politique. On en a fait, nous-mêmes, à cause d'«experts suivistes» les frais à la fin des années 80 - début des années 90, avec des décisions et actions politiques reposant sur des résultats de sondages tapant «à côté».

Conclusion! Trop de sondages tuent (ou détournent le sens) le politique !

C'est ce qu'on remarque surtout, pour l'instant, dans bien des pays occidentaux, avec des hommes politiques et des journalistes malades de «sondomania» qui, de plus en plus, surfent sur les résultats de sondages d'opinion, pour construire des présents législatifs et des avenirs politiques.

Le sondage d'opinion est ainsi utilisé à toutes les sauces et ses résultats, par la suite manipulés (les chiffres montrant tout mais cachant l'essentiel), manipulés par des journalistes et autres expertologues aux ordres, sont mis au service de médias aux orientations douteuses. Tout cela ne veut nullement dire que les sondages d'opinion ne doivent pas exister. Ils sont nécessaires et utiles pour mieux saisir les sensations, les sentiments et les «envies» des populations. Pour aider aux réajustements des «politiques». Peut-être la nécessité d'une plus grande régulation. Pour nous, en Algérie, le problème ne se pose pas vu le vide quasi-abyssal dans ce secteur de la com'. On a eu quelques «hirondelles» durant les années 90, puis presque rien. On se contentera encore un bon bout de temps des «écoutes» directes et des «veilles» diverses. Il est vrai qu'il faut d'abord un texte réglementaire. Une toute autre histoire !