«Ils ont
envahi la ville», «il n'y a plus de vrais Oranais», «Oran n'est plus ce qu'elle
avait été». Une affirmation toujours accompagnée du murmure, du ton de la
déception et de celui de la fatalité qui s'abat sur une civilisation ancestrale
aux valeurs bien enracinées. Dans mon enfance, j'en étais parvenu à me demander
qui était ce vrai Oranais, ce mystérieux et regretté personnage ? Exilé, décédé
ou incarcéré ? Où est-il ? Je voudrais tant en voir un, juste un avant de
quitter cette terre. Quel accent a-t-il ? Celui de
notre voisin d'enfance ? Pas possible, il a celui de Tiaret. Ma famille ? Non,
ils viennent de Tlemcen et de Saïda. Nos footballeurs ? Non, ils viennent de
partout. Alors, bon sang, où est-il et qui est-il, ce vrai Oranais ? Un jour,
j'avais enfin compris que je ne l'avais jamais quitté. Il m'accompagne tous les
jours, on débat ensemble de tout et de rien en redessinant le monde et la
société à l'image de notre sentiment. On se confie nos bonheurs et nos
tristesses, nos amours et nos projets. J'avais enfin compris qu'un vrai Oranais
n'était ni de quelque part, ni d'un caractère défini ni d'une langue ou d'un
accent. Un Oranais, c'est celui qui aime la ville, qu'il y soit né ou non,
qu'il la critique ou l'encense, qu'il en est le bienvenu et s'y sente heureux.
C'est celui à qui on ne devrait exiger ni son bulletin de naissance ni son
passeport pour attester de son appartenance en toutes choses et en tous lieux
de ce pays. Ce vrai Oranais, c'est celui que je vois tous les jours dans la
glace, c'est tout simplement moi.