|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Impressionnant
! La conduite automobile laisse penser à un bouillonnement imprévisible de
voitures qui se rapprochent et frôlent la vôtre pour vous dire de «dégager» la
route. «Laissez-moi passer !». Le zigzag semble le mot le plus approprié pour
décrire une forme de folie au cœur de la circulation routière. Tout est de
l'ordre de l'imprévisible qui vous déroute, sans que vous n'y preniez garde.
Doubler sans prévenir est de l'ordre du normal, de l'évidence, d'un
spontanéisme ravageur, d'un moi en ébullition. Tout semble urgent, très urgent
! Conduire, c'est aujourd'hui s'investir dans le quotidien du risque, devenant
une aventure toute en détour qu'il faut subir ou y être partie prenante de
façon déroutante.
La conduite automobile mobilise le corps social et physique de la personne, pouvant être prise dans la tourmente intérieure dominée par le stress, l'anxiété au cœur de nos sociétés contemporaines, ou au contraire se déployer comme un corps triomphant. La personne est prise au piège de l'extase, en montrant avec fierté qu'elle est la «meilleure» de toutes, le «héros» qui se surpasse sur sa moto, en se tenant debout comme un personnage important qu'il faudrait «applaudir». L'ostentation consiste à s'attribuer aux yeux des autres, une image sociale de virilité, de force et d'habileté. La conduite routière a ses équivalences dans le fonctionnement au quotidien de la société algérienne. Les bifurcations, les détours, les contournements, les incertitudes, «les vérités incontestées et incontestables», les attentes multiples qui ne se concrétisent pas, renforcent le sentiment de défiance à l'égard des institutions. Quand la confiance et la reconnaissance ont un ancrage fragile dans le système social, il ne reste que le capital relationnel et la ruse pour se faufiler subtilement dans la hiérarchie sociale. Les savoirs et le travail perdent de leur résonnance quand de nouvelles façons de faire et de penser s'incrustent dans la société. Les mots ne sont jamais neutres. Ils indiquent le chemin le plus court, cet «art de faire» (De Certeau, 1990) usité pour jongler avec l'ordre social, en intériorisant avec subtilité la «gfaza», la débrouillardise qui donne sens à une nouvelle forme de normalité dans les interactions quotidiennes. «Fermer l'année», disent souvent les étudiants pour indiquer en réalité que le plus important, se situe dans la captation rapide de tous les modules. C'est aussi une façon d'inverser le terme de savoirs caractérisé pourtant par le questionnement, l'ouverture critique et les nécessaires remises en question. Contraste saisissant entre l'absolutisme et la nécessaire distance critique seule à même de donner du sens aux évènements. Mais peut-être que la puissance du statu quo, façon de se reproduire à l'identique, permet confortablement de s'accommoder au monde qui nous entoure ! |
|