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Un monde nouveau dans l'après «dollar-pétrole»

par Medjdoub Hamed*

Le monde vit aujourd'hui une crise politique et économique majeure qu'il n'arrive pas à surmonter. Depuis la pandémie du Covid-19, deux guerres ont fait irruption, l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, et aujourd'hui l'attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023, qui a sidéré le monde.

Ces guerres laissent perplexe, le conflit qui était au cœur de l'Europe a sauté et se retrouve dans une deuxième Ukraine qu'est Israël pour l'Occident. Mais cette attaque du Hamas, surgi pratiquement du néant, s'attaquant à un pays qu'est Israël sur le pied de guerre, doté d'une armée puissante et de surcroît protégé par la première puissance mondiale. Quant à l'islamisme, il ne cesse d'étonner ; depuis des lustres, les problèmes liés au monde arabe et à l'islamisme ont fait et font toujours la une des médias. Pourquoi l'«islamisme» aujourd'hui ? Pour comprendre, il faut remonter au Deuxième Conflit mondial et ce qui a prévalu dans le monde après les accords de Yalta, en 1945.

1. Les trois contingents de l'histoire : deux guerres mondiales 1914-1918 et 1939-1945 et entre-les-deux la crise économique de 1929

La naissance de l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) en décembre 1922 a changé le cours de l'Histoire. La transformation de cette immense dalle qu'a été la Russie tsariste et les républiques fédérées en un immense empire communiste a créé une menace majeure pour les puissances occidentales. Celles-ci se sont efforcées pour ériger un front anti-communiste. Pour eux, le raisonnement était simple, si l'Allemagne, après la défaite de 1918, devenait communiste, l'Autriche suivrait ; l'Italie et la France n'échapperont pas à la contagion ; des désordres sociaux, mécontentement populaires, misère sociale, après le premier conflit mondial, étaient propices pour féconder un régime communiste dans ces pays.

Un «front anti-communiste» s'est alors élaboré dès le début des années 1920, avec la poussée fasciste en Italie. Financé par la classe possédante et les puissances occidentales qui voyaient en lui un rempart contre le «péril rouge», le parti fasciste, avec l'enrôlement d'une milice armée, les «Chemises noires», écrasa toute opposition et prit le pouvoir. A la suite de ce régime totalitaire qui prôna le nationalisme et le respect du capital, vint l'Allemagne.

Malgré l'aide des États-Unis et de la Grande-Bretagne pour aider la république de Weimar à maintenir l'Allemagne dans le giron occidental, la crise de 1929 et la dépression économique qui suivit mit fin à l'essor économique aux États-Unis et en en Europe. Le nombre de chômeurs, en Allemagne, est passé de 500 000 en 1927 à 6 millions en 1933. Profitant de la crise, le parti nazi prit le pouvoir en janvier 1933.

S'ensuivit le Portugal sous la dictature de Salazar qui s'appuyait sur l'armée et une milice, les «Chemises vertes» ; l'Espagne sous Franco. Bref, l'Allemagne à l'est et les dictatures au Portugal et en Espagne au sud fermaient le front anti-communiste ; ces pays devinrent un véritable «rempart» pour les deux grands empires d'Europe, la France et la Grande-Bretagne.

Mais ce «rempart» va se transformer en «Axe des puissances centrales», où l'Allemagne, réarmant et devenant une formidable puissance militaire, forte de l'appui de l'Italie fasciste et de l'Autriche (annexée), entend réaliser ses ambitions impérialistes au détriment des puissances alliées. Idem en Asie, le Japon, surarmé, mène une politique d'expansion sur le continent asiatique. L'axe Rome-Berlin-Tokyo qui se forma sera le prélude à la guerre. Le conflit mondial qui suivit, plus sanglant que le précédent, bouleversa le monde. Un Japon deux fois atomisé, une URSS qui compte 26 millions de morts et 25 millions de sans-abri, une Allemagne détruite, divisée en deux et ses 10 millions de morts. Aussi posons-nous la question : «Pourquoi de nouveau cette hécatombe ? Quel sens ?»

Les puissances occidentales, en aidant l'Allemagne et l'Italie pour les préserver du «péril rouge», n'ont pas pris en compte que ces dictatures, devenues puissantes, pourraient leur disputer la domination du monde, d'autant plus que l'Allemagne vaincue en 1918 cherchait à prendre sa revanche.

Le péril rouge était-il plus fort que le risque du réveil des puissances de l'Axe ? D'un autre côté, comme la première Guerre mondiale 1914-1918 qui a été le «premier contingent de l'histoire», à cette époque trois quarts de l'humanité étaient toujours des laissés-pour-compte, assujettis à des puissances européennes qui comptent moins de 1/20 de l'humanité.

Quelle destinée alors pour les 3/4 de l'humanité d'Asie et d'Afrique ? Était-ce là leur destinée ? D'être toujours colonisée ? S'il en était ainsi, que serait alors le sens de leur existence ? Une «non-existence», une «non-humanité» ? Si la colonisation qui a longtemps duré a un sens, il reste que ce conflit mondial doit aussi avoir un sens.

La colonisation a permis aux peuples de prendre conscience de leur état d'être, que leur existence ne s'arrête pas à leurs frontières ; mais comment se défendre par le formidable écart de rapports de forces qui existent entre eux et les puissances dominantes ? Aucune possibilité de s'en sortir si des conjonctures historiques n'inversent pas le rapport des forces. Aussi peut-on dire que la Deuxième Guerre mondiale s'inscrit en droite ligne de la crise économique de 1929, qui elle-même s'inscrit dans la lignée de la Première Guerre mondiale.

Crises et guerres apparaissent comme des «contingents de l'Histoire», ou selon la dialectique hégélienne, des «ruses de l'Histoire» qui, mettant en conflit les puissances, permettent aux peuples soumis «d'inverser les forces».

Il nous apparaît aussi que le principal ennemi de l'Occident n'a pas été le monde colonisé puisqu'il n'avait pas assez de forces pour se libérer, mais, paradoxalement, la formidable puissance économique par où est venue «la crise», et la formidable puissance militaire par où est venue «la destruction». C'est précisément de l'affaiblissement et l'antagonisme des puissances en guerre que sortira la libération des 3/4 de l'humanité. Et c'est ce qui prévaudra, le conflit mondial terminé, les peuples colonisés vont revendiquer leur indépendance, et ils l'obtiendront. Vers le milieu des années 1960, la plupart des pays colonisés ou sous protectorats ont recouvré leur indépendance. Un nouvel état du monde est sorti de ces trois «contingents de l'Histoire» ; contingents qui montrent que les hommes certes font l'Histoire, mais l'Histoire joue aussi «à sa façon» les hommes. Ces souffrances, ces millions de morts depuis le premier et second conflit mondial, en Europe et dans le monde, auxquels s'ajoutent les ravages de la grippe espagnole (1918-1919) qui fit plus de victimes que le premier conflit mondial, sont-ils une fatalité pour les peuples occidentaux et le monde ? Force de le croire puisque cela a existé, mais cependant l'humanité s'est relevée ensuite.

Hegel, dans ses «leçons sur la philosophie de l'Histoire» : «Lorsque l'histoire nous met devant les yeux le mal, l'iniquité, la ruine des empires les plus florissants qu'ait produits le génie humain, lorsque nous entendons avec pitié les lamentations sans nom des individus, nous ne pouvons qu'être remplis de tristesse à la pensée de la caducité en général. Et étant donné que ces ruines ne sont pas seulement l'œuvre de la nature, mais encore de la volonté humaine, le spectacle de l'histoire risque à la fin de provoquer une affliction morale et une révolte de l'esprit du bien, si tant est qu'un tel esprit existe en nous. [...]On en arrive à une douleur inconsolable que rien ne saurait apaiser. Pour la rendre supportable ou pour nous arracher à son emprise, nous nous disons : Il a été ainsi ; c'est le destin, on n'y peut rien changer [...]. Cependant, dans la mesure où l'histoire nous apparaît comme l'autel où ont été sacrifiés le bonheur des peuples, la sagesse des Etats et la vertu des individus, la question se pose nécessairement de savoir pour qui, à quelle fin ces immenses sacrifices ont été accomplis. [...] Cette masse immense de désirs, d'intérêts et d'activités (humaines) constitue les instruments et les moyens dont se sert l'Esprit du Monde (l'Essence) pour parvenir à sa fin, l'élever à la conscience et la réaliser. Car son seul but est de se trouver, de venir à soi, de se contempler dans la réalité. C'est leur bien propre (das Ihrige) que peuples et individus cherchent et obtiennent dans leur agissante vitalité, mais en même temps ils sont les moyens et les instruments d'une chose plus élevée, plus vaste qu'ils ignorent et accomplissent inconsciemment.»

Ce cours de Hegel en 1828 à l'université de Berlin nous fait dire que les hommes agissent, inconscients des événements qu'ils peuvent provoquer et ce pourquoi l'Essence «s'est déjà prédéterminée» pour ce qui sera.

Hitler, en provoquant le deuxième conflit mondial, a voulu faire retrouver à l'Allemagne, humiliée par la défaite en 1918, le chemin de la puissance, mais, en fait, il l'a menée au désastre ; cela néanmoins a été accompagné par l'affaiblissement d'abord et ensuite la destruction des empires coloniaux ; événements qui n'étaient nullement dans le plan d'Hitler. Hitler était donc un «instrument de l'histoire». Force de dire qu'un «Esprit du monde que les humains ne peuvent connaitre ni comprendre s'est servi de cette guerre» pour réaliser un nouveau saut de l'histoire.

2. L'avènement de l'«islamisme radical» dans la compétition Est-Ouest

La fin de la guerre en 1945 a ouvert une nouvelle ère à l'humanité. L'«arc de crise», i.e. la menace des pays de l'Axe disparue et avec elle les empires européens, relégués à l'Histoire, deux grandes puissances, les États-Unis et l'Union soviétique, vont dominer le monde. La décolonisation en marche, les pays d'Asie et d'Afrique s'affirmaient. Tant l'Amérique affirmait le droit des peuples de se gouverner eux-mêmes que l'URSS poursuivait de son côté sa stratégie d'appui aux mouvements anticolonialistes au nom de la lutte contre l'impérialisme capitaliste.

Cependant la disparition de l'«arc de crise» ne signifiait pas la fin de la confrontation entre le monde communiste et l'Occident. Bien au contraire, le Tiers monde ouvrira des possibilités d'intervention immenses pour les deux puissances (Corée, Vietnam, Palestine...) dans un contexte de guerre froide.

Il aura fallu une série d'événements pour que les États-Unis aboutissent après trente ans de guerre à la conclusion que leur puissance militaire a atteint des limites. La reconfiguration des rapports de force dans le monde, la débâcle américaine au Vietnam et la fin du mythe de l'invincibilité d'Israël (guerre du Kippour, octobre 1973) poussent les États-Unis à un changement radical de leur politique extérieure. Ne pouvant l'emporter sur les théâtres de guerre, les Américains optent pour une guerre subversive tout azimut. D'autant plus que leur situation économique et financière s'est fragilisée : dépenses de guerre, course aux armements avec l'URSS, baisse de compétitivité des entreprises, concurrence des pays européens et des nouveaux pays industrialisés (NPI) d'Asie qui ont décollé à cette époque.

Les pays européens dénoncent les déficits de leur balance des paiements et le recours de la «planche à billets» et exigent de l'or à la place des dollars. L'objectif des États-Unis, puisqu'ils perdent de l'influence en Asie, est de protéger coûte que coûte le Moyen-Orient où se trouvent les plus grands gisements de pétrole du monde. Le pétrole, il faut rappeler, constitue avec le dollar américain, la pièce maîtresse du système monétaire international (SMI) ; et ce système est toujours en vigueur depuis 1973.

Depuis les crises monétaires avec les pays d'Europe, à la fin des années 1960 et la fin de la convertibilité du dollar-or en 1971 - les États-Unis ne disposaient plus assez d'or -, le pétrole s'est substitué, de manière informelle, à l'or-métal, devenant une contrepartie sur laquelle s'adossent les émissions monétaires américaines ex nihilo. Le dollar en tant que libellé monétaire du pétrole oblige les pays à acheter sur les marchés monétaires des quantités de dollars pour régler leurs importations pétrolières auprès des pays de l'OPEP.

Donc, face au double échec en Asie (guerre du Vietnam) et au Moyen-Orient (quatrième guerre israélo-arabe), les États-Unis étaient conscients qu'ils devaient protéger coûte que coûte ce qui fait leur force, le dollar adossé au pétrole en tant que monnaie de facturation des transactions pétrolières des pays arabo-musulmans de cette région.

Rappelons qu'après la fin de la convertibilité du dollar en or, les pays d'Europe sont passés au change flottant, les États-Unis ne pouvaient plus émettre massivement des liquidités monétaires ex nihilo (sans couverture physique, richesses, production, etc.) ; tout excès d'émissions monétaires par la Banque centrale américaine se traduirait aussitôt par une dépréciation de la monnaie US. Précisément la demande massive et récurrente (chaque année) de dollars par les pays importateurs de pétrole pour régler leurs importations pétrolières auprès du cartel pétrolier dominé par les pays du Golfe permet aux États-Unis de financer leurs déficits extérieurs.

On comprend alors l'importance du Moyen-Orient qui passe par une mainmise totale des grands gisements de pétrole du Moyen-Orient par les Américains contre les ambitions de l'URSS et de la Chine sur cette région. Et sans le pétrole arabe, et donc sans l'argent, les États-Unis ne peuvent émettre de l'argent à partir de rien pour financer leurs déficits ; ce que l'économiste Jacques Rueff appelait le «Secret du déficit sans pleurs » le fait que le déficit ne pose pas de problèmes aux Etats-Unis car ils le payent en dollars.

Et ce processus s'est fait avec l'accord de l'Arabie saoudite qui était déjà liée par le Pacte du Quincy, en 1945, qui stipule l'accès total au pétrole saoudien contre la protection de la monarchie par les États-Unis.

Et le problème dans cette donne, concernant le monde arabe, est qu'il est divisé ; d'un côté, les régimes monarchiques, alliés des États-Unis, légitimés par le corps des oulémas (docteurs de la foi) et régnant sur une société régie par un droit mêlant charia islamique et droit coutumier, et de l'autre, des régimes autoritaires, issus des luttes d'indépendance (Algérie, Tunisie, Egypte, Syrie, Sud-Yémen...), et alliés à l'Union soviétique, dont la source de légitimité est fondée sur l'héritage de la lutte d'indépendance et la défense de la nation contre l'impérialisme. Une légitimité où l'Islam est posé constitutionnellement religion d'Etat, mais l'élément laïque prédomine.

Ainsi divisé, une stratégie subversive trouvera son assise dans la configuration même des systèmes politiques du monde arabe. Bien plus, ils accentueront leur division en procédant, en 1978, à la défection du plus grand pays du front nationaliste, l'Egypte, en échange de subsides (financiers, retour du Sinaï et paix avec Israël). Une situation qui aura de graves conséquences sur le front nationaliste. Le «Front devenu de fermeté», affaibli, va en plus s'accommoder d'une nouvelle donne, l'émergence de l'«islamisme» que les stratèges américains, en alliance avec l'Arabie saoudite, tissaient depuis les années 1960.

Que peut-on dire de l'alliance des États-Unis d'un côté avec l'Arabie saoudite et de l'autre avec Israël, ennemi des pays arabes. Une alliance opposant de deux extrêmes. En vérité, si Arabes et Israéliens sont écartelés, l'existence des deux pôles antagonistes obéit aux «Lois de la Nécessité historique» ; les peuples n'y peuvent rien parce que c'est ainsi que le monde est fait, et ce monde ainsi fait, ainsi structuré est transhistorique, signifiant qu'il n'est qu'une séquence de l'histoire, et donc appelée à être dépassée comme tous les grands événements qui ont existé par le passé, en particulier la colonisation et les deux guerres mondiales qui y ont mis fin.

Quant à la nouvelle donne, l'«islamisme», cette idéologie qui prend sa force de l'islam n'est pas sorti ex nihilo, mais d'un contexte historique précis. Si ça ne l'était pas, pourquoi l'«islamisme» n'a pas évité aux peuples islamiques la colonisation ? Pourquoi n'a-t-il pas mis en échec dès l'indépendance l'avènement des régimes politiques progressistes ? Force de dire que l'islamisme doit être historicisé dans son contexte actualisé, et non dans un contexte historique passé qui a vu, par exemple, l'indépendance où l'euphorie, la joie des peuples de recouvrer leur liberté, leur dignité, sortir du diktat des colonisateurs, leur ouvraient des perspectives radieuses.

Cette période fut très courte, les problèmes politiques et économiques ont commencé à s'accumuler, la lassitude des guerres contre Israël, les coups d'Etat répétés dans le monde arabe, une économie à la dérive, une absence de perspectives pour les jeunes générations qui viennent s'accumuler année après année sur le marché du travail, les exclus de la manne pétrolière, l'immobilisme des structures des Etats, l'enrichissement ostentatoire d'une nomenklatura, ont fini par faire perdre la confiance populaire dans leurs Etats et amener des pans entiers de la population à se réfugier dans les mosquées.

En fait, un processus historique logique, un terrain balisé par l'embrigadement de la population dans l'«islamisme» où les imams joueront les meneurs ; un embrigadement idéologique auquel répondra la répression politico-policière des Etats arabes ; le monde arabe entre dans la quadrature du cercle.

L'islamisme n'est pas comme on veut le décrire une idéologie obscurantiste tirée de l'Islam, mais ressort d'une idéologie qui, sans l'obscurantisme, la violence et le rejet de la démocratie, ne pourrait être «porteuse», i.e. n'aurait aucun impact sur le plan géostratégique. Pour comprendre, il faut «historiciser l'islamisme» dans la marche de l'histoire pour saisir ce qu'apporte l' «islamisme» aux hommes ; c'est cela le plus important, et il va au-delà de ses effets négatifs.

L'Islam, une religion plusieurs fois millénaire et vient à la suite du judaïsme et du christianisme qu'il intègre dans son «Message aux hommes» ; il n'avalise en aucun cas l'obscurantisme et la violence dont font montre les différents courants islamistes. Ces traits qui sont propres à l'«islamisme radical» sont une «réponse nécessaire à une situation historique qui le demande», un peu comme la «Révolution de 1789 et la Terreur» ont été une réponse au gouffre qui séparait les classes sociales en France. Et que les idées de Locke, basées sur des droits innés, les «droits de l'homme», «droit à la liberté», «droit à la propriété», que les pouvoirs issus de la nation et surveillés par elle, doivent respecter en vertu d'un contrat social, de Rousseau (contrat social), de Montesquieu (l'Esprit des lois), de Diderot, de Turgot, d'Adam Smith, et surtout la révolution américaine en 1773 et l'indépendance des États-Unis en 1776, préparaient.

Tous les mouvements des masses, toutes les révolutions se ressemblent ; il existe toujours un ferment qui amène l'agitation ; et une agitation peut souvent aller au-delà de ce qui a été conçu au départ. Idem pour l'«islamisme» qui, activé comme un bras armé dans la compétition Est-Ouest, n'a toujours pas épuisé ses ressources dans la marche de l'histoire.

3. Un monde nouveau dans l'après «dollar-pétrole»

Il faut maintenant analyser quel apport l'«islamisme» a eu dans la marche du monde. On ne peut croire que son instrumentalisation depuis les années 1970 par les puissances occidentales et qui n'a pas cessé aujourd'hui malgré l'islamophobie ambiante en Europe n'a pas apporté des gains à l'Occident. Et aujourd'hui le soutien des Occidentaux à l'islamisme est manifeste dès lors qu'il peut contrer l'islamisme chiite, par exemple. Qui a créé Al Qaïda ? Ne vient-il pas du soutien américain aux milices islamiques afghanes en guerre contre l'Union soviétique dans les années 1980 ? Qu'a-t-il apporté l'«islamisme» à l'Occident et au monde ?

Pour voir clair dans le phénomène islamiste, il faut d'abord porter un regard sur la situation économique des États-Unis dès 1971, après la décision unilatérale prise par Nixon de mettre fin à la convertibilité du dollar en or. Au cours de cette période, comme on l'a dit plus haut, les pays européens refusaient d'absorber les liquidités en dollars qui n'étaient pas adossées à l'or (Gold Exchange Standard). La Réserve fédérale américaine (FED) n'avait plus assez d'or pour satisfaire la demande européenne. En 1973, les Américains trouvèrent une parade avec l'Arabie saoudite et les pays monarchiques du golfe. Facturer le pétrole arabe en dollar (politique de Kissinger). Le tandem pays du Golfe-États-Unis sur la donne pétrolière offrait des avantages à la fois à l'Amérique qui avait besoin et encore aujourd'hui pour monétiser les déficits de sa balance des paiements devenus structurels, ce qui, cumulés, passaient par un renchérissement du pétrole - les «chocs pétroliers» - et en même temps venaient gonfler les recettes pétrolières des pays du Golfe.

Les deux parties États-Unis - pays arabes exportateurs de pétrole - étaient gagnantes avec une condition cependant, les excédents des balances des paiements arabes devaient être investis en placements américains (bons de Trésor, obligations, etc.) dans le but évident de pondérer la masse monétaire mondiale via une limitation des émissions monétaires ex nihilo par la FED.

Cet accord pays du Golfe-États-Unis oblige tous les pays consommateurs (européens, japonais...) qui importent du pétrole arabe à acheter des dollars sur les marchés internationaux pour le règlement de leurs importations pétrolières. Et comme le cartel fournissait environ un tiers de la production mondiale, dont plus de la moitié par les pays du Golfe et du Maghreb, on peut imaginer le formidable transfert du pouvoir d'achat à la fois aux pays arabes exportateurs de pétrole et à la superpuissance américaine détentrice de la monnaie de facturation.

Le «dollar-pétrole» apparaît donc un premier effet d'un «quatrième contingent historique» puisqu'il a impulsé par l'existence des formidables réserves de pétrole dans le monde arabe l'activité industrielle et manufacturière en Europe, aux États-Unis, au Japon et dans le monde. Il est évident que les pays arabes ne sont pour rien dans ce phénomène mais il se trouve que «ce phénomène qui git dans leur sous-sol leur fait payer cher son existence», à voir les convoitises des grandes puissances, les guerres qui se déroulent pour ce sous-sol. Même l'implantation d'Israël en Palestine et les guerres qui ont suivi, le terrorisme, etc., le doivent à cette existence providentielle de l'or noir dans la région la plus convoitée du monde, le «monde islamique».

Evidemment, cette situation du monde de l'Islam n'apparaît pas parce qu'elle n'est pas suffisamment «historicisé» dans son fond ; on ne voit que l'obscurantisme, le retour à l'âge médiéval, les guerres, les tueries, les égorgements d'hommes, de femmes et d'enfants, et on est révulsé, on condamne, on culpabilise l'Islam alors que cette religion et d'ailleurs toutes les religions n'ont rien à voir avec le mal.

Les religions ont existé pour pacifier l'homme avec lui-même et son voisin, et c'est la raison pour laquelle elles sont et resteront éternelles ; elles survivront aux hommes. Et cette situation, le monde arabe ne l'a pas voulu, comme le monde arabe n'a jamais demandé à être arabe, ou un chrétien à être chrétien, ou un blanc à être blanc, ou un bossu à être bossu, ou un aveugle à être aveugle... le monde est fait ainsi. L'homme n'y peut rien, il ne choisit pas sa nature ni sa destinée.

Même les pays arabes et leurs gouvernements qui sont heureux que le cours du pétrole montent mais ne savent qu'ils contribuent par cette hausse du prix du pétrole (et qui s'étend aux autres matières premières), à l'emploi dans le monde, à limiter la hausse du chômage en Occident et dans toutes les autres régions du monde, notamment en Inde, en Chine, au Brésil, en Indonésie...

Mais l'Occident ne le montre pas ; il ne le dit pas ; son seul combat est que les pays arabes du Golfe continuent à facturer leur pétrole en dollar ; et c'est pour cela que les États-Unis mènent une guerre subversive divisant le monde musulman et font tout pour briser les pays qui leur tiennent tête comme l'Iran, la Syrie, l'Irak, le Liban à travers le parti chiite le Hezbollah. Et même le Hamas et Israël aujourd'hui sont en guerre, ces pays ne doivent pas oublier que si

Le pétrole arabe est facturé indifféremment en yuan chinois, en euro, en dollar US, ou autre monnaies internationales, c'est fini non seulement pour l'islamisme, Israël, l'Iran, le conflit israélo-palestinien mais aussi pour les États-Unis. Pourquoi ?

La raison est simple ; le dollar US ne sera plus la monnaie-centre dans le système monétaire international ; les accords de Bretton Woods de 1944 seront enterrés définitivement. La Chine, devenant la première économie mondiale, changera le cours du monde. Ne perdons pas de vue que l'Arabie saoudite est intégrée, à partir du 1er janvier 2024, au groupe des Onze du BRICS ; cela veut tout dire de son intégration à ce groupe qui monte en puissance et des pays attendent d'être intégrés. On remarque que sur les six pays qui ont été aux Cinq, quatre sont du Proche et du Moyen-Orient : l'Arabie saoudite, l'Iran, les Émirats-arabes Unis et l'Égypte.

Les États-Unis et l'Europe sont certainement inquiets et craignent une volte-face sur le plan monétaire, à l'échelle mondiale. Mais la marche du monde est ainsi ; le monde évolue, il progresse, il n'est pas figé ; il y a les forces de l'histoire qui donnent un sens à la marche de l'humanité. Et ces forces de l'histoire concernent Israël et le peuple palestinien ; Israël, par exemple, ne pourra plus compter sur les États-Unis qui se désintéresseront à tout jamais du Moyen-Orient. Forcément, il n'y aura probablement pas deux États israélien et palestinien, mais très probablement un seul État même si au début ils seront deux États.

Mais une chose est certaine, plus de pétrodollar, plus d'Amérique au Moyen-Orient, plus d'islamisme ou plutôt un islamisme apaisé parce qu'il n'y aura pas d'enjeux qui diviseraient les peuples. Un monde nouveau naîtra dans les décennies proches, pour l'Occident comme pour l'Orient.

Un mot sur l'offensive des forces aériennes israélienne sur Gaza, tout d'abord elles s'opèrent en toute sécurité pour l'armée israélienne, Gaza n'ayant pas de systèmes de défense anti-aériens ; mais, comme résultat, elle n'apportera rien à Israël que plus de haine par le nombre de morts, de blessés et de destructions. L'offensive terrestre que le pouvoir israélien ne cesse de brandir, mais aussi de la différer, laisse penser que très probablement, elle n'aura pas lieu. Pourquoi ?

Ce n'est pas avec des chars que l'armée israélienne va arrêter les combattants du Hamas ; dans les combats de rue, qui est une guérilla, et donc n'est pas frontale, les forces israéliennes ne sont pas préparées, et même si elles le sont, elles enregistreront beaucoup de pertes.

Comme en 2006 avec les forces du Hezbollah, les 34 jours de guerre ont été très éprouvants pour l'armée israélienne ; c'est la raison pour laquelle les décideurs israéliens ne parlent plus d'aller chercher les combattants du Hezbollah au Liban ; ils savent ce qu'il en coûte.

Ce que l'on remarque aussi, la visite du chancelier allemand Olaf Scholz aujourd'hui en Israël, et demain la visite du président américain Joe Biden, qu'annoncent-elles ces visites, alors qu'Israël est en pleine guerre ? Certainement un soutien au pouvoir israélien, mais surtout ? Ce qui ne transparaît pas et pourtant, il est criant, c'est que dans ces visites, il y a certes le soutien, la solidarité, mais aussi le dépit voire la hargne «Comment le Hamas a osé, par son attaque qui a sidéré le monde presque comme dans un film de fiction.» Et cette présence demain du président américain en Israël et aujourd'hui du chancelier allemand démontre que l'attaque du Hamas n'a pas été contre seulement Israël mais contre aussi les États-Unis et l'Europe.

En vérité, l'attaque inattendue du Hamas contre Israël et la crainte qu'elle a provoquée en Occident prouvent simplement que l'histoire est en train d'avancer ; les pays du monde n'ont pas de choix sinon de suivre ce qui est en puissance dans leur devenir.

*Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective