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Le regard libérateur...

par Kamal Guerroua

«C'est notre regard, disait Amin Maalouf, qui enferme les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c'est notre regard qui peut encore les libérer». Le regard peut être réducteur, comme il peut être dans la libération et l'épanouissement de l'autre. Le jeu de l'altérité n'est que dans le regard que l'on pose sur nous-mêmes et les autres. L'appartenance serait un mythe, du moment que l'autre est perçu comme un autre moi, avec qui l'on interagit et l'on construit une relation de communication, d'amitié, d'amour, etc. Pourquoi nier l'autre, quand on s'accepte soi-même? C'est là le dilemme du raciste : donner la valeur à soi, en dévalorisant l'autre. Comme si la justification de notre propre existence s'appuie sur la négation de l'existence de l'autre. Quelle connerie! Or, il suffit d'interroger la réalité pour se rendre compte que toute notre existence, de tous les jours, est liée d'une façon ou d'une autre, à celle des autres.

Bref, malgré tous nos égoïsmes, l'humaine condition nous oblige à être solidaires les uns vis-à-vis des autres. Elle peut nous interpeller quand un enfant meurt assassiné dans un conflit au Moyen-Orient, ou lorsqu'un Harrag se noie en traversant la Méditerranée en patera ou quand un Ukrainien perd sa famille lors de bombardements militaires. Notre regard vis-à-vis des autres est, quoiqu'on en pense, un regard d'humain. Et l'Humanité, je mets à dessein la majuscule ici, est quelque chose de transcendantale, c'est-à-dire, qui nous dépasse tous, humains qui nous sommes, en nous mettant dans l'état de fragilité. Je cherche, disait André Malraux, la région la plus cruciale de l'âme où le Mal absolu s'oppose à la fraternité». Fraternité ici signifie, bien entendu, humanité. Humanité au sens de force ou de cette «an'sana», typique de la philosophie arkounienne, c'est-à-dire, traduite en français : la recherche urgente de notre humanité à l'intérieur de nous-mêmes, indépendamment de toutes les circonstances/contraintes pesantes qui nous entourent. Et c'est la façon avec laquelle on pose notre regard sur l'autre qui va, soit le libérer de la contrainte du choc-conflit avec nous-mêmes, ou l'emprisonner et nous emprisonner avec dans les préjugés. Or, il n'y a pas plus dangereux dans la vie qu'un préjugé! Le préjugé est un poison qui tue à petit feu. Car, quand on pense, par exemple, au plus profond de nous-mêmes qu'un tel est voleur, alors qu'il ne l'est pas réellement, on crée le préjugé, c'est-à-dire on le juge sans preuves concrètes. Et, par la force des choses, cette personne sur laquelle tombe le préjugé va s'efforcer de prouver qu'il n'est pas voleur. Donc, il va perdre énormément du temps pour prouver son innocence, et parallèlement, il perdra autant d'énergie positive qui doit être réservée, en vérité, à la construction d'une personnalité saine et équilibrée, pour des broutilles. Voilà notre crime à l'égard de la dignité des autres : le regard réducteur, méprisant, stéréotypé...