Autrefois,
on lisait beaucoup de bandes dessinées, pour combler le temps vide, pour ne pas
s'ennuyer durant les longues nuits d'hiver. Mais il fallait se constituer un
stock suffisant pour ne pas être pris au dépourvu surtout pendant la nuit. À
cette époque-là, la télévision n'existait pas dans le pays et n'avait pas
encore pénétré les quartiers populaires. Quelquefois, quand on avait de
l'argent de poche, on se rendait une ou deux fois par semaine dans des cinémas
pour nous divertir et changer d'ambiance. En vérité, pendant cette période, ce
ne sont pas les distractions qui manquaient tout autour de nous, pour remplir
nos journées et profiter de la belle vie. On avait beaucoup de loisirs pour
nous occuper et chasser l'ennui qui nous guettait. On était encore adolescents
et on était de fervents amateurs de lecture des livres illustrés et autres
bandes dessinées. C'était l'époque des livres illustrés qui paraissaient tous
les mois ou tous les quinze jours et qu'on achetait chez les buralistes ou chez
les libraires de la ville. Les présentoirs des libraires étaient bien
achalandés avec les nouveautés comme Blek, Rodéo,
Akim, Zembla, Pepito, Kiwi, Kit Carson, Spirou,
Tintin, Tartine, des périodiques très attendus par les passionnés de la bande
dessinée. Il y en avait pour tout le monde et pour tous les goûts et chacun son
héros et son dada. Sur ces étals, une multitude de bandes dessinées avec des
couvertures captivantes et éclatantes en couleurs et vantant de nouvelles
histoires et de nouveaux épisodes sur du western, du comique, de la
science-fiction, des romans-photos. C'était la belle
époque et l'âge tendre de la jeunesse. On était heureux dans notre peau et on
aimait la vie et son bonheur. On était de vrais consommateurs réguliers de BD.
Lire une bande dessinée était un régal et une plongée dans l'univers des bulles
de nos supers héros au milieu des dessins et des caricatures qui nous
transportaient dans le monde de l'irréel et du fantastique. A cette époque-là,
l'art de la bande dessinée avait atteint son apogée et inondé les librairies et
submergé les esprits des lecteurs. Les pages de dessins étaient en noir et
blanc ou en couleurs avec des dialogues au milieu d'une bulle pour faire
exprimer les personnages. Les livres de bandes dessinées étaient un trésor
qu'on gardait jalousement après les avoir lus, en collectionnant les numéros et
qu'on revendait ou qu'on échangeait quelque temps après pour faire revivre la
passion entre les passionnés. Chaque fois que mon père me surprenait avec une
BD à la main, il avait cette réflexion à la bouche : « Au lieu de te pencher
sur tes études, tu lis les jumbos » ! Les parents, à cette époque, avaient une
autre idée sur la bande dessinée et pensaient qu'elle détournait les enfants de
leurs études, et en plus que c'était bourré de fautes d'orthographe. Pour se
faire de l'argent de poche, les livres de bandes dessinées se vendaient aussi
devant les salles de cinéma pendant les jours de grande affluence. Les BD
passaient de main en main pour faire de nouveaux heureux. Avant l'extinction
des feux dans la salle de cinéma, les amateurs de BD dévoraient des yeux les
pages de Blek ou de Rodéo en attendant la projection
du film programmé.