Le monde du
paraître, écrit un célèbre auteur, est un théâtre de névrose. On s'invente une
fausse personnalité et on marche avec, jusqu'au point de croire qu'on est ce
que l'on n'est pas. Et le jour où quelqu'un nous tire à boulets rouges, on sort
de nos gonds pour nier la vérité qui nous a été crachée à la face, en traitant
notre accusateur de «menteur». On s'habille alors du costume de la victime et
on rend tout le monde coupable de notre miséreuse situation. Le sentiment de
«victimisation» naît souvent de la négation par d'autres de notre «masque du
paraître». Dos au mur, on est «démasqué», et il ne nous reste que la
possibilité de nous rendre à l'évidence. Paraître, dit un autre anonyme, est un
para-être, c'est-à-dire, un véritable obstacle pour l'apparition de notre être.
On se cache pour ne pas montrer nos faiblesses qui seront, peut-être,
exploitées, par d'autres, pour nous mépriser, pour nous rendre dépendants
d'eux, et sous leur influence. C'est dur de vivre dans le vice du paraître,
c'est dur de croire à ses propres mensonges, c'est dur d'être otage de cette
culture pathogène de toujours «plaire» à autrui plus qu'à soi-même. Combien
d'échecs ont été imputés aux autres, au nom de ce sentiment de victimisation,
lui-même résultant du virus de la culture du paraître ? Beaucoup, hélas ! Or,
l'échec, quel qu'il soit, n'incombe qu'à soi et il appartient à celui qui n'a
pas réussi (parce que je refuse le mot «échoué» qui me semble, en tous points
de vue, inapproprié), de tenter autant que faire se peut sa chance jusqu'au
sacre final. Il n'y a pas d'échec total ni de réussite totale. Tout est relatif
ma foi, du moment que la vie continue. Et la vie qui continue signifie la
chance qui continue. Les accrocs au paraître sont tellement dans leur mécanique
obscène qu'une fois démasqués, croient que les autres sont jaloux d'eux et
veulent leur chute ! Les premiers ennemis des gens du paraître sont les
modestes. Autrement dit, les gens qui vivent pleinement leur intériorité, qui
communiquent avec eux-mêmes, qui lient leur bonheur à leur manière d'être, à
leur valeur d'humains, indépendamment du regard des autres. Un ami des
Midi-Pyrénées me disait que ce qui attirait plus son attention, ce sont ces
gens pauvres qui habitent des baraquements vétustes à la marge des villes,
indignes d'une vie normale, mais qui possèdent des écrans extra-plats et
parfois des voitures de luxe ! Allez comprendre ce délire, typique de la
société de consommation où l'on reluque l'opulence du voisin d'en face, en
oubliant sa propre misère, où l'on est plus dans la compétition que dans la
solidarité, dans le vice du profit rapide que dans la vertu de la main tendue.
Bref, ne serait-il pas plus intéressant pour ces «pauvres types» de compter
plutôt davantage sur l'éducation de leurs enfants que sur l'acquisition des
écrans extra-plats ou des voitures de luxe ? Mon ami parlait, à ce propos, de
la logique du paysan : «pas de fioritures, que du nécessaire», comme astuce
d'affronter la culture de paraître ! Enfin, à cette culture du paraître, ne
faut-il pas opposer celle de l'être ? Etre, c'est replonger dans sa nature,
dans son intériorité, dans ses profondeurs, tout en acceptant le regard des
autres, avec tolérance et bienveillance. Etre, c'est vivre...