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Grands corps d'Etat : L'heure est-elle aux changements ?

par Cherif Ali

En vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la Constitution, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a procédé à des changements partiels dans les corps des grands commis de l'Etat relevant des secteurs des affaires étrangères, de la sûreté nationale et de la justice.

Ces nominations selon l'APS qui en a publié les communiqués transmis par la présidence de la République visent:

1. « l'adaptation de l'appareil diplomatique aux mutations globales et radicales que connaît actuellement le pays, pour le mettre au diapason des exigences de l'heure en vue d'une prise en charge efficace des préoccupations de la communauté nationale à l'étranger et des intérêts de l'Algérie sur les plans bilatéral, régional. »

2. « Le mouvement, qui intervient sur proposition du Directeur Général de la Sûreté Nationale et avec l'accord du ministre de l'Intérieur, des Collectivités locales et de l'Aménagement du territoire », s'inscrit dans le cadre du « plan d'action de la DGSN, qui repose sur une évaluation globale des activités des services sur une période de trois (3) ans, en vue d'insuffler une nouvelle dynamique dans les rangs des responsables de ces services à tous les niveaux ».

3. Ce mouvement vise à dynamiser le fonctionnement des juridictions et à améliorer la qualité de leur rendement à travers la nomination de compétences judiciaires qui ont fait leurs preuves dans la magistrature.

Et aux observateurs de s'interroger si d'autres changements vont suivre concernant par exemple les walis ?

Ceux qui sont en poste ne sont pas sûrs de le rester. Beaucoup de prétendants sont aussi prêts à prendre leurs places. A tout prix !

Il faut savoir déjà, que la nomination des walis n'obéit pas à des principes fixes. D'ailleurs il n'existe nulle part et, a fortiori, dans la fonction publique, un profil de carrière-type, contrairement à l'entreprise où l'actionnaire principal désigne son dirigeant, ce qui n'a en soi rien de scandaleux.

En définitive, tout le monde s'accorde à dire que la sélection des promus reste indéchiffrable: elle participe de l'illisible et de l'invisible !

Mais, pour couper court à toute spéculation, on met en avant le principe du pouvoir discrétionnaire qui échoit à l'autorité investie du pouvoir de nomination; celle ci n'a pas à justifier son choix.

Dans le communiqué qui est rendu public, il n'est jamais expliqué, ni le choix ayant présidé à la désignation, ni le motif justifiant la mutation, encore moins la nature des griefs prévalant à la cessation de fonctions des walis.

Les bilans des walis ne sont, par ailleurs, ni publiés ni publiables, ce qui rend impossible toute évaluation citoyenne :

1. doit-on parler de logements réalisés, de PME/PMI créées, de zones d'activités réceptionnées, d'écoles et de lycées équipés, ou encore de postes de travail ouverts ?

2. est-ce vraiment raisonnable d'additionner ces éléments, un à un et de les imputer comme seules prouesses d'un seul homme, fût-il wali ?

3. assurément non, dès lors qu'« il s'agit d'une œuvre collective à laquelle participent, d'amont en aval, tout ce que compte la wilaya comme personnels technique, administratif et d'encadrement, sans omettre les élus et surtout les services de sécurité, sans lesquels on ne peut parler de développement local, si l'on tient compte du fait qu'il subsistait encore dans un passé très récent, certains points du territoire inaccessibles aux entreprises de réalisation».

Alors, prétendre s'approprier la paternité d'un programme de 20 000 logements, d'un tronçon routier, d'un aéroport, d'un hôpital, voire même d'un barrage hydraulique, participe non seulement de l'usurpation mais certainement aussi de la mauvaise foi !

De ce qui précède, la formulation la « réalisation du wali» est à prendre sous toute réserve et, en tous les cas, pas comme un critère de sélection.

Le ministre de l'Intérieur, des Collectivités locales et de l'Aménagement du territoire Brahim Merad devrait dorénavant assigner aux walis des « objectifs» et les évaluer sur la base d'une feuille de route loin des subventions d'équilibre octroyées jusque-là très généreusement par les pouvoirs publics.

Il faudrait pour cela que les walis aillent chercher de l'argent pour investir et créer de l'emploi localement. En un mot, se transformer en «managers» pour faire fonctionner les collectivités locales comme de véritables entreprises !

La tâche n'est pas insurmontable, elle passerait par un choix judicieux des hommes, une réforme audacieuse des finances et de la fiscalité locale ce qui conférerait aux édiles plus de pouvoirs en matière de foncier et de recouvrement d'impôts locaux et du code communal et de la wilaya, sachant que pour ce dernier texte, l'administration centrale du ministère de l'Intérieur s'attèle à mettre la dernière touche.

Lors de la réunion mémorable gouvernement-walis tenue juste après son élection, le Président Tebboune avait diffusé le reportage des « zones d'ombre », en rappelant aux walis que désormais ils seront soumis à «l'obligation de résultat» !

Beaucoup de choses ont été réalisées depuis au profit des habitants desdites zones ; en revanche en matière d'investissement local privé, le bilan est maigre ce qui a été interprété comme une frilosité des walis voire la peur de prendre les choses en mains.

Les walis sont-ils, présentement, en capacité de faire bouger les lignes ou sont-ils confrontés à des limites objectives qui rendent leur rôle bien aléatoire ?

La première limite, a précisé quelqu'un, se trouve au niveau de la conception - même - de la fonction : leur action est noyée dans une multitude de tâches qui grèvent leurs capacités de réflexion et de planification. Des avaloirs bouchés aux ordures ménagères, en passant par la voierie, leur énergie se consume dans des missions censées être accomplies par les APC et les services spécialisés. À force de s'occuper de tout, le wali donne parfois l'impression de ne s'occuper de rien... comme il se doit.

La seconde tient à l'interventionnisme étouffant des administrations centrales à travers un fatras de circulaires et de messages qui entravent leurs actions en compliquant les procédures.

Prenons l'exemple de la capacité du wali à affecter des terrains pour l'investissement.

Depuis l'été 2011, les wilayas ont attribué des dizaines de milliers d'hectares de terrains d'investissement. En cinq ans, peu de projets ont connu une avancée sur le terrain et un nombre insignifiant a été achevé et mis en exploitation.

D'ailleurs, l'explication vient des walis eux-mêmes : complexité des procédures administratives dont les solutions dépendent des multiples intervenants aux niveaux central et local. En résumé, si le wali affecte les terrains, le reste des procédures lui échappe dans une large mesure.

Entre temps le nouveau code des investissements a été publié avec l'ensemble des textes d'application, ce qui serait de nature à simplifier les choses !

Ceci étant dit et malgré une rente importante, nos walis continuent à gérer le quotidien par des méthodes qui se caractérisent par un sérieux déficit de communication, malgré les exhortations du président de la République, qui aimerait les voir investir le terrain en managers du développement, en médiateurs de la République et, surtout, se rapprocher de la population tout le temps et non pas le temps d'une visite officielle.

Le président de la République se devait de les rassurer pour qu'ils se démarquent de l'effarante indolence dont ils font preuve à prendre leurs responsabilités pour entériner par leurs signatures des affaires qui leur sont soumises.

Des milliers de dossiers variés et des centaines d'autres d'investissements sont sous les coudes, bloqués par une crainte légitimée par l'énorme tintamarre que subit la justice algérienne aujourd'hui. Des milliers d'autres dossiers ont été débloqués, avec beaucoup de réussite, par Brahim Merad du temps où il occupait la fonction de médiateur de la République !

A vrai dire, les walis se sont depuis longtemps adossés sur leurs collaborateurs notamment les secrétaires généraux en leur déléguant la signature décisionnelle sans pour autant se défaire de leurs obligeantes recommandations. On sait que dans cet exercice dans l'ombre des cabinets, bien des conflits de prérogatives sont nés au détriment du contribuable et de la légalité. L'économie et la marche normale du pays en ont été à plus d'un titre les grandes perdantes, le rappelait bien à propos un éditorialiste.

Quels sont leurs rapports avec l'autorité politique et comment leur fonction évolue-t-elle ?

On imagine parfois leur carrière comme une vie reposante et douillette de haut fonctionnaire jouissant des ors de la République, dans un confortable ennui.

On a tort, et ce pour plusieurs raisons :

? d'abord parce qu'ils sont en première ligne pour la mise en œuvre des politiques publiques de l'Etat au niveau local, notamment pour le maintien de l'ordre public ; dans ce domaine toute faute peut entraîner une révocation immédiate par le pouvoir politique.

? ensuite parce que la pression politique sur eux s'est accentuée avec le temps, ils doivent composer avec une sphère politique locale dont les impératifs ne recoupent pas toujours parfaitement, avec ceux de l'administration dont le wali incarne l'autorité.

? enfin parce que le représentant de l'Etat épouse les évolutions de ce dernier, s'impose avec le temps une dimension plus managériale de son action, une obligation de résultats et de rendre des comptes à l'autorité politique, voire à la population, le tout avec des ressources de plus en plus limitées.

Devant cette indolence, les pouvoirs publics d'alors ont crû bon de «diversifier» les origines dans la nomination des walis, certains d'entre eux n'ayant aucune culture du corps faute, d'avoir effectué des «aller retour» entre l'administration centrale et locale.

En plus, l'acclimatation se faisait plutôt chez les chefs de daïras. Après cette formation sur le tas qui durait un certain temps, le concerné était promu wali. D'autres nominations de personnalités venues de l'extérieur ont troublé cet ordre, notamment dans les années 1990.

Pour l'heure, le stress s'est installé dans les Collectivités locales !

Pour mémoire, rappelons que le wali de Blida et le wali délégué de la circonscription administrative de Bir Mourad Raïs ont été relevé de leurs fonctions, et qu'à ce jour, leur remplacement n'a pas été effectué.

Est-ce à dire que c'est autour des walis de passer sur le grill?

A tous les niveaux de la chaîne, tout le monde se couvre ; chacun agit avec l'idée de se prémunir en cas de pépin !

Résultat, une forme de fébrilité s'est emparée notamment des walis. Personne ne veut risquer d'être identifié à l'origine d'une faute. Sacré dilemme pour les walis !

Les plus anciens, c'est clair, vont jouer la montre en attendant la prochaine rotation qui, par devers eux, viendra compliquer davantage leur vie de famille. Ils assureront le service minimum et se contenteront de prendre la pose en «raybans» à côté des ministres en visite dans leur wilaya.

Sauf que le Président Tebboune ne l'entendrait pas de cette oreille lui qui, dans tous ses discours, n'a eu de cesse de les appeler « à faire preuve d'esprit d'initiative et d'audace », « à ne pas faire de fausses promesses aux populations » et surtout « d'oser et créer de la richesse » ! Et tous les walis qui ne cocheraient pas toutes ces cases auraient quelques soucis à se faire !