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Il
est des moments où l'on abandonne notre vrai bonheur parce qu'on est convaincu
que les autres peuvent décider à notre place, qu'ils ont raison et qu'on a
«forcément» tort ! Tel fut le destin de ce jeune «hittiste»
(chômeur) de la rive nord de la vallée de la Soummam, devenu par contrainte
ouvrier d'un chantier en plein centre-ville de Béjaïa.
Se réveillant, tôt le matin, il se tape, chaque jour que Dieu fait, plus d'une
cinquantaine de kilomètres dans les transports en commun pour arriver sur son
lieu de travail. Et j'évite aux lecteurs de ce billet l'ennui de raconter le
marchandage terrible des quelques entrepreneurs indélicats de chez nous qui,
outre qu'ils ne paient pas leurs salariés, oublient même parfois de les
inscrire sur le registre des assurances ! Mais ça, c'est une autre histoire,
celle de la rente et de ses dégâts ! Bref, le soir, quand il débarque chez lui,
le jeune n'a même pas le temps de regarder un tube musical à la télé, qu'il est
déjà dans les bras de Morphée, fatigue oblige ! Quelle galère ! Mais le
bonheur, dit-on, n'oublie jamais les siens. Il faut toujours être patient comme
la tortue ! Notre bonhomme, tout dynamique et plein de joie de vivre, fait des
pieds et des mains pour ramener du pain à son foyer.
Encore célibataire, il aime plus que toute autre chose au monde, ses parents pour lesquels il est prêt à sacrifier toute sa vie. Peut-on remplacer nos parents ? Je ne le pense pas ! Remarqué par l'entourage, notre bonhomme se fait vite approcher par un vieux retraité et la proposition de ce dernier s'avère fort alléchante. Le retraité vient d'installer un poulailler et une grande écurie et il a besoin d'un berger. Oui, un berger. Sa mission, nettoyer l'écurie et faire sortir les bêtes dans le verger. Pour ce travail, notre jeune aura un salaire de 30.000 dinars (3 millions de centimes), et en même temps, chaque soir, il ramène chez lui des œufs et des légumes du verger offerts à titre gratuit. L'autre avantage, c'est que le retraité va le prendre comme assuré social. Plus qui est, le lieu du travail est à proximité de sa demeure et que sa mission n'est pas à plein temps. C'est-à-dire qu'il (le berger) peut vaquer à ses autres occupations ménagères et prendre soin de sa famille, chose qu'il n'aura jamais pu accomplir s'il est resté sur un chantier en ville. Evidemment, la proposition fut acceptée tout de go par ce jeune bûcheur et très volontaire. Deux mois plus tard, ce dernier vient même de demander la main d'une fille d'un hameau environnant et l'on lui a accordée, sans grand souci, tellement il est de bonne réputation et un «fils de bonne famille» comme on dit. Ce faisant, les préparatifs pour les noces ont commencé tambour battant alors que les fêtes dans la région battaient leur plein. C'est le temps du retour des émigrés, avec toutes leurs histoires, et à la grande surprise de notre jeune, quelques femmes, surgies d'on ne sait où, chantaient pendant la fête d'un voisin (à notre jeune berger bien entendu) : «On ne donne pas nos filles à des bergers, nos filles vont partir à França et Maricane (France et Etats-Unis)». Ayant entendu ce chant, sa fiancée lui envoie vite un message, le menaçant de rupture s'il n'arrêtait pas ce «boulot déshonorable» et quelques jours plus tard, notre jeune berger, déçu et éploré, rend les clés au propriétaire de l'écurie et perd son gagne-pain. Et c'en est fini ! Et rebelote ! Car le berger salarié redevient vite un «hittiste» sans le sou pour satisfaire le vœu de sa fiancée et de ses voisins, au grand dam du propriétaire «fâché» qui ne retrouve plus à qui donner du boulot dans son écurie ! Au fil des jours, ce dernier n'ose plus adresser la parole à ce «hittiste» endurci ! |
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