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On ne tire
ni sur les ambulances, ni sur les cortèges funéraires. On tire seulement une
sonnette d'alarme ou une chasse d'eau pour alerter ou rincer certaines mémoires
oublieuses.
Je l'ai trouvé blasé du mal de la fonction. Rasant les murs par un pas peu studieux. Il n'avait pas l'air d'avoir connu un jour les solennelles mondanités, ni les voitures rutilantes. Il était là, seul, ramassant toutes ses impressions, dans une rue qu'il n'avait plus fréquentée depuis son accession au podium de ceux qui se croyaient éternels. Mains derrière un dos qui n'est plus droit, regard perdu dans l'espace de ses semelles, il semblait être écrasé, comme s'il avait hérité les soucis de Poutine ou les délires de Biden ou tel cet armateur qui avait vu ses bateaux et toutes leurs cargaisons engloutis par les vagues scélérates. Il m'aborda avec un sourire absent, un sourire que rien ne justifie, presque gratuit qu'il tenait à distribuer à tout bout de champ. Ce sourire, pourtant n'était pas sa tasse de café lorsqu'il était aux commandes de sa wilaya. Il le prenait à l'époque non pas comme un signe de modestie ou de gentillesse mais comme un signe de faiblesse et d'absence de fermeté. A ce niveau de hiérarchie, l'on ne sourit pas, on brille ardemment ses yeux pour en éjecter, croit-on, le respect. Il marchait comme un intrus, telle une ombre provenant d'une sphère officielle voulant se projeter dans un milieu citoyen, fui voilà des années. Il lui était difficile de réintégrer son anonymat initial après une mise volontaire sous les feux de la rampe. - Wech, la fonction vous a achevé ? Lui dis-je, sans descendre de ma voiture, en garant juste à ses côtés. Car je l'ai connu quand il n'était qu'un simple petit poussin picorant quelques grains dans les paumes de seigneurs maintenant disparus. - Chkoun? Yazid ? me lança-il, tout gêné, emboîté, confus. - Waw ! Tu te rappelles maintenant de moi ! Il ne savait plus justifier les impairs, ni accuser le temps. Il se suffisait à sourire et encore sourire. Il a perdu toute l'architecture des simples dialogues amicaux. Il encaisse, il écoute et rumine en silence sa nostalgie. Fini, pour lui le temps où son ton n'était qu'ordre et réprimandes. Où la vie le portait au firmament, jusqu'au reniement de son rang d'origine. - Oui khouya, on est foutu, on ne sait plus comment tout s'est passé, me murmura t-il en guise de réponse. C'était très dur et trop vite, on voguait sans destination. On croyait préserver une certaine autorité, avoir un certain rôle, faire la république mais finalement on n'a récolté que maladies, solitude et les regards différents des gens et même des nôtres. Voilà un aveu que d'autres n'oseront faire, préférant s'emmurer loin de leur patelin, dans le creux de la capitale, là où pensent-ils passer incognito. Raser inconnus, les murs d'Alger serait plus clément qu'exhiber sa face dans son douar. ... Lui, au moins a tenté à sa décharge de se rappeler ses oublis et d'amadouer ses regrets. Et c'est ainsi, qu'il faut toujours éviter de se constituer prisonnier de ses propres circonstances et ne jamais oublier ses propres provenances. |
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