Mais pardi ! Pourquoi fait-on cette chaîne si longue, si
dense en plein centre d'Alger ? Y a-t-il un quota
supplémentaire de sachets de lait ou quelques morceaux résiduels de viande
fraîche brésilienne ? Eh ben, que non. Ça ne se passe pas chez Agrodiv ou auprès des étals des Eriad,
mais tout simplement à l'entrée d'une prestigieuse librairie. Celle de ce
»tiers monde» qui semble clairement sortir carrément vers un monde entier. Oui,
d'une librairie, un antre, hélas, remis à côté, au profit d'un besoin gastrique.
Ici, l'on se bouscule pour un titre, un livre, un écrivain. De mémoire, aucun
auteur n'a connu pareil engouement. Voir des gens, tout âge, tout genre, visage
rayonnant se mettre sans tohu-bohu dans l'espace d'un temps juste pour acquérir
le sens des mots, la quintessence de chez nous; c'est
qu'un déclin, espérons-le salutaire, tient à pointer son nez dans le désert de
nos manques et de nos frustrations. C'est nous qui sommes en vrai, les
vertueux. Y a bien d'autres plumes, toutes aussi raffinées par le vers, la rime
ou autre excellence littéraire. Mais, seul, lui, Mohamed reste capable de
drainer des foules là où sa signature tend à se poser. Il n'est pas Algérien
pour rien. Il a su universaliser nos émois, nos rêves et toutes nos illusions.
Les capitales du monde connaissent la sorcellerie qui se sublime dans ses
écrits et envoûtent le coeur de ses lecteurs.
Pourtant, ce ne sont que des mots usuels, à la portée de quiconque, mais que
lui seul en possède la magie pour savoir les aligner et en faire une œuvre.
Rencontré à plusieurs occasions, ici ou à l'étranger, je n'ai trouvé en lui, en
dehors du talentueux écrivain, qu'un homme humble, posé, souriant et très
éloigné des clichés que tentent de lui coller certaines chapelles aigries ou
s'efforçant d'avoir le monopole du jugement. Celles qui détruisent tout ce que
l'Algérie a enfanté de beau et d'héroïque. J'ai retenu de lui cette foi
inaliénable en son pays, pour l'entendre me dire, en préfaçant l'un de mes
livres en 2012 : «L'Algérie a besoin de croire qu'elle ne produit pas que des
prédateurs et des prévaricateurs.
Si ma réussite contribuait à jeter un peu de lumière sur ce
que nous avons de meilleur, je suis bien placé pour dire que nos talents sont
légion, bien que dispersés et méconnus; j'aurais au moins
servi à quelque chose». Quelle humidité ! Je regrette cependant de ne pouvoir
le voir à Sétif, ma ville natale, où ses gens me dit-on l'attendent, presque,
j'ose dire comme un messie culturel. Hélas, il ne pourra prendre une gorgée
d'eau de Aïn Fouara, car
asséchée et bâchée par des esprits tout aussi secs que ceux qui ont essayé de
la détruire.