Avant,
j'avais cru qu'aimer ou estimer quelqu'un me fera retourner le même ressenti de
sa part, avant de me rendre à l'évidence que mes impressions sont totalement
fausses. Les amitiés éternelles, m'avait-on dit pour me déterrer de ma naïveté,
sont illusoires. Les aléas du temps font en sorte, poursuivent mes
interlocuteurs, qu'il n'en reste parfois, que des débris. Et pour cela, il faut
apprendre la vertu du détachement. Savoir lâcher prise et prendre de la
distance nous permet de mesurer le degré d'attachement des autres à nous.
L'amitié, ce n'est pas forcément la réciprocité et il se trouve que, par
moments, ceux qui nous aiment et nous apprécient sont ceux qui cultivent le
plus cette vertu du détachement. Les gens solitaires sont généralement des
types très sensibles. Car, se détacher des autres, ce n'est pas du tout
égoïste, bien au contraire, c'est revenir à soi et faire son périple intérieur.
Se ressourcer pour mieux se découvrir, se relire pour mieux se corriger,
renaître et puis rejaillir vers l'autre : rayonner de lumière. Ce passage à soi
par le biais duquel on fait un pont vers l'autre, est le véritable début du
printemps de l'amitié.
Ceux qui
disent qu'il n'y a pas meilleur ami que soi n'ont pas tort. Aimons-nous d'abord
avant d'aimer les autres. Car, si l'on ne s'aime pas, c'est presque un pari fou
de prétendre aimer les autres. Ce qui justifie l'échec de la plupart des
«fausses» amitiés. On aime l'argent, on aime l'intérêt, on aime profiter des
autres, mais on oublie de s'aimer, de donner une importance, une dignité, un
statut symbolique à notre propre personne. Un ami m'avait récemment raconté
qu'il croyait à l'amitié, mais un événement l'avait fait presque se raviser. Il
y a quelques années, il avait pris le bus et avait acheté un grand cadeau pour
assister à la fête de son ami. Fou de joie, il avait fait des pieds et des
mains pour être le premier à y arriver. Mais à sa grande surprise, il était mal
reçu, complètement négligé. Pour cause, il n'avait pas de voiture et son hôte,
esprit matérialiste oblige, avait comme une honte de paraître à ses côtés. Un
an plus tard, le ciel avait souri à mon ami et il s'était acheté une belle
voiture. Invité au même endroit pour une autre occasion, il était tombé des
nues : réception première classe, photos, et discussions à bâtons rompus, avec
un bon plat bien garni et un cadeau! «Tu sais pourquoi
tout ça?» rigola alors mon ami. «Non», lui répondis-je l'air faussement naïf.
«C'est simple, sourit-il, mon ami a trouvé une belle amie, mieux que ma propre
personne» «laquelle?» «Ma voiture!»