Parfois,
faire semblant de n'avoir rien su, rien vu ni rien entendu, est un signe de
bonne santé mentale. L'indifférence est un remède contre la bêtise. Les gens
doués sont, peut-être j'exagère un peu ici, les plus indifférents. Etre
indifférent permet le repos de l'âme et une certaine liberté intérieure qui
nous approche de «l'orgasme de la raison. On ne peut penser efficacement que
quand on est vraiment indifférent, c'est-à-dire, quand on évite le
sentimentalisme et les passions débridées. L'indifférence est un art, avant
qu'il ne soit un état d'esprit. Notre prof de sociologie à l'Université d'Alger
nous conseillait souvent en classe d'être des «indifférents sensibles». Et face
à notre étonnement de l'absurdité de cet oxymore, il disait que «trop de
sentimentalisme et de générosité font souffrir l'âme plus qu'ils ne la
guérissent. L'indifférence pour le vieux prof n'est pas de l'égoïsme pourvu
qu'elle soit nourrie d'une certaine sensibilité intérieure sagement endormie. Autrement
dit, «l'indifférent sensible» sait que, quelque part, il y a un mal fait et
comme il ne pouvait rien faire, il préfère se taire, le temps de reprendre ses
forces pour agir. Car, si l'on est «sentimentaliste généreux» et qu'on ne peut
rien faire, on deviendra doublement malades et on perdra un peu trop d'énergie
pour rien. Pire, on peut même sombrer dans la dépression. C'est le cas des
perfectionnistes qui veulent que le monde soit parfait et que rien n'y manque.
Ce qui est impossible! «Prenons, poursuivait le prof,
l'exemple d'un orphelin qui a perdu ses deux parents et qui se trouve élevé
dans sa famille élargie. Pour y vivre, ce dernier doit apprendre à encaisser
les coups, c'est-à-dire à voir, entendre et subir beaucoup d'épreuves
difficiles. S'il arrive à soigner son indifférence, il résistera facilement à
la sauvagerie du monde et s'en sortira vainqueur. Mais s'il cultive avec
exagération le sentimentalisme, il tombera dans le complexe de la victimisation
et il verra la faille partout chez les autres, à part lui-même. Or, les autres
ne sauraient être ses sauveurs s'il ne se sauve pas lui-même.»