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Du
05 au 07 avril E. Macron effectue une visite d'Etat en Chine. Naturellement, le
poids de la ce pays la justifie. Le contexte international dramatique, en
Europe et en Asie, l'explique tout autant. Mais avant même que l'avion
présidentiel ne prenne son envol se posent de nombreuses questions. Ses propos
dans l'avion qui le ramenait à Paris vont déclencher une tempête.
Aucun de ses prédécesseurs à Pékin n'a jugé opportun d'être accompagné de la présidente de Commission de Bruxelles. Par exemple, O. Scholtz en novembre 2022 y est allé seul, sans sa compatriote. Sa visite à Xi Jinping n'avait qu'un seul but : la défense de l'industrie allemande malmenée par la crise ukrainienne et les ruptures imposées par les Etats-Unis à ses relations fructueuses avec la Russie. Pourquoi ce périple ? - E. Macron avait-il besoin d'un crédit supplémentaire ? Voulait-il passer pour plus que le représentant de son pays ? - Si la France pèse désormais bien peu commercialement, militairement ou financièrement en Europe et dans le monde, le président français reste cependant un électron libre imprévisible, pas toujours maîtrisable, avec une capacité de nuisance qui perturbe Français et Européens. Juste après son départ de Chine il a accordé un entretien au quotidien économique Les Echos qui fait grand bruit dans l'Union et qui scandalise les soutiens proches de l'Ukraine. Est-ce pour encadrer ses interventions qu'on l'a affublé d'un chaperon ? Certes, Mme v. der Leyen est d'autant moins une interlocutrice crédible qu'elle est, pour la Chine (pas seulement pour la Chine), une supportrice résolue de l'autorité et du pouvoir américain en Europe, sur l'Europe. Pour toutes ces raisons, v. der 3.Leyen n'avait sûrement pas pour mission d'encadrer le président français, de lui conférer un supplément de crédit ou de favoriser et d'approfondir les échanges économiques entre la Chine et l'Union Européenne. A peine quelques heures avant son départ de Paris, le président français a eu un échange téléphonique avec J. Biden. Qui a pris l'initiative de ce coup de fil ? Quel fut le contenu réel de cet échange ? E. Macron aurait-il joué le rôle de « petit télégraphiste » (ainsi que naguère Mitterrand avait qualifié Giscard d'Estaing parti en mai 1980 en Pologne y rencontrer Leonid Brejnev) ? Certes, Washington, en dehors des échanges militaires qui ont atteint un niveau exceptionnel de gravité, a perdu le contact avec Pékin et Moscou. Mais même en ces circonstances, les Américains répugnent à confier leurs relations extérieures à un tiers. Même les fidèles Britanniques demeurent sagement sur leur strapontin, attendant les ordres. Les Etats-Unis, privés de contacts directs aussi bien avec Moscou qu'avec Pékin, exploitent la très relative liberté de leurs vassaux européens pour passer des messages. Certes, on peut présumer que le président français en mal de popularité chez lui, avait besoin d'un voyage d'Etat en Chine pour redorer une image fortement dégradée, espérant compenser par sa politique extérieur son déficit intérieur. Un monde en crise Le contexte est particulièrement dramatique en Europe et dans le monde. On peut mesurer le poids grandissant de la Chine au nombre de visites de délégations étrangères conduites par des chefs d'Etat qu'elle reçoit et au nombre de réunions internationales qu'elle organise. Depuis, l'Europe défile à Pékin. Les Européens se bousculent, pas toujours de manière coordonnée, pas toujours pour les mêmes objectifs, pas toujours avec les mêmes résultats. La réception réservée au président français accompagné de la présidente de la Commission Européenne n'est la première ni la dernière. Déjà le président brésilien Lula est sur la place. Les événements se précipitent et se multiplient. Ces derniers mois on observe un véritable séisme géopolitique dont la Chine est l'épicentre. La Chine ne cesse de monter en puissance et chacun de ses partenaires prend ses marques. La crise ukrainienne prend des proportions illisibles et personne ne sait ce qu'il en sera de la sécurité de l'Europe et du monde dans les prochaines années, voire dans les prochains mois. Parmi les événements les plus remarquables, la réunion vendredi 10 mars à Pékin du président Iranien et de MBS véritable roi d'Arabie Saoudite qui rétablissent leurs relation diplomatiques rompues depuis 2016. La conséquence directe de la visite de Xi Jinping en Arabie le 09 décembre 2022. Pour comprendre l'importance de ce tour de force diplomatique chinois, il faut l'intégrer dans un contexte global où les Etats-Unis sont mis en échec. Pour obtenir une augmentation de sa production afin de ruiner les revenus extérieurs russes, J. Biden a pris la peine de se déplacer en Arabie Saoudite le 23 octobre 2022. Il fut reçu froidement à Riad. MBS n'a pas oublié les propos du président américain projetant de faire de lui un « parias », au cours de sa campagne électorale face à D. Trump. Derrière cette demande il ne s'agissait pas seulement que de cela. Le vrai objectif de la Maison Blanche était de casser le cartel des pays exportateurs et de porter un coup définitif à l'OPEP+. Résultat : il n'a obtenu ni l'autre. Mieux, il y a quelques jours Russes, Saoudiens et de nombreux autres membres ont décidé de réduire leurs quotas pour soutenir le prix de leurs exportations menacé par la réduction des stocks américains qui organisait la chute des cours et compensait l'interdit signifié aux Européens de cesser leurs importations de pétrole russe. La réconciliation entre saoudiens et Iraniens est une véritable catastrophe pour les Américains et aussi pour les Israéliens. Les Etats-Unis perdent un « allié » et se forgent, sinon un ennemi, au minimum un futur problème. Bien avant 2001 et Ben Laden, les liens s'étaient distendus entre Riad et Washington (Cf. Lettre des « faucons » à W. Clinton en janvier 1998). Les premières se succèdent. - Rétablissement des liens entre la Syrie et les pays du Golfe. - Le 20 février 2023 le président syrien est accueilli à Oman par le sultan d'Oman Haïtham ben Tariq. A la mi-mars, il sera à Moscou. - Le 27 février, visite inédite en plus de dix ans à Damas de Sameh Choukri, le ministre égyptien des Affaires étrangères. - Dimanche 19 mars, Bachar el Assad était Abou Dabi où l'attendait le président émirati Mohammed ben Zayed al-Nahyane (MBZ). C'est la première répercussion de la conclusion du pacte irano-saoudien à Pékin. Il va se continuer par le rétablissement des relations diplomatiques entre Damas et Riyad. - Du 20 au 22 mars Xi Jinping est à Moscou. - Jeudi 30 Mars 2023. L'Arabie saoudite rejoint l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) en tant qu'État « partenaire du dialogue » chapeauté par la Chine et la Russie. Celui-ci vise à favoriser la coopération politique, économique et sécuritaire entre ses membres, rivalisant ainsi avec les institutions occidentales. Ryad resserre ainsi encore un peu plus ses liens avec Pékin, quelques semaines seulement après que cette dernière ait facilité sa réconciliation avec l'Iran. - Mardi 04 avril, la veille de l'arrivée de E. Macron à Pékin, l'Iran nomme un ambassadeur aux Emirats arabes unis (EAU) pour la première fois en huit ans, dans un contexte de détente dans les relations entre Téhéran et des pays du Golfe. - Et pendant qu'il séjournait paisiblement dans l'Empire du Milieu, les ministres des Affaires étrangères saoudien et iranien se réunissaient à Pékin. Si Washington a réussi avec brio à casser l'axe Berlin-Moscou avec le projet d'achever celui qui relie Berlin à Pékin, il n'a pas pris garde à la construction d'un autre qui relie Damas, Téhéran, Riad avec la consolidation d'une colonne vertébrale entre Moscou et Pékin. Entre 2021 et 2022, le commerce Chine-Russie est passé de 140 Md$ à 190 Md$ (+35,7%) et il s'accroît à grande vitesse. Force de Sibérie I (2019) dirige le flux de gaz russe vers la Chine et Force de Sibérie II, en cours de négociation, va achever le destin eurasiatique de l'économie russe. La dédollarisation du monde, réclamée depuis longtemps par Moscou est en marche. Les BRICS, dont le PIB dépasse désormais celui des membres du G7, projettent l'édification d'une monnaie et d'une banque commune. Même la Tunisie que le FMI presse de conclure hésite, lorgne du côté de ce monde alternatif en construction. (https://www.courrierinternational. com, mardi 11 avril 2023) Les Tunisiens ont vu le sort réservé à tous ceux qui ont consenti à la « générosité » des institutions pilotées par les marchés financiers. Ils ont vu ce que les « Fonds vautours » ont fait de l'Argentine et de ce qui est advenu de leurs voisins impliqués dans des P.A.S. (Plan d'Ajustement Structurels) qui ont ruiné leur économie et leur sécurité. Nous reviendrons sur le cas africain en une circonstance. Qui est au juste isolé dans cette affaire ? Les ressorts de la crise taiwanaise Les raisons ne manquent pas. Pour s'épargner les malentendus entretenus par Washington et ses « alliés » et de vains développements pour les dissiper, le retour aux décisions des Nations Unies en 1971 s'impose. A cette date, Taiwan a cessé d'exister en tant que sujet politique international et l'ensemble des nations avait été invité à ne plus considérer comme interlocuteur que la Chine Populaire. Tout le reste est bavardage destiné à entretenir des confusions. Pour les éviter, je joins en annexe la résolution 2558 de l'ONU du 25 octobre 1971. C'est au nom de cette résolution que l'écrasante majorité des nations ne reconnaît qu'une Chine. Mieux, ces dernières années de nombreux pays (qui les avaient établies sous la pression de qui l'on sait) ont décidé de rompre leurs relations diplomatiques avec Taipei. Il s'agit du Malawi en 2008, de la Gambie en 2013, de Sao Tomé-et-Principe en 2016, de Panama en 2017, de la République dominicaine, du Burkina Faso et du Salvador en 2018, des îles Salomon et des Kiribati en 2019, du Nicaragua en 2021 et du Honduras, le 27 mars de cette année, où une délégation chinoise a entamé une visite mardi 11 avril, moins de trois semaines après l'ouverture de relations diplomatiques entre les deux pays. En vérité, ce n'est pas seulement avec Taiwan que ces pays ont rompu. Ils ont surtout pris leurs distances avec Washington et ses « alliés » européens. En sens inverse, c'est Pékin, sa diplomatie discrète et son commerce, qui sortent grandis d'une confrontation que lui impose l'Amérique. Ne restent plus que 13 « entités territoriales », (Eswatini, Nauru, Palaos, Tuvalu...1) fidèlement soumises aux Etats-Unis d'Amérique pour créditer encore Taiwan de la qualité de « pays ». « Entités » avec lesquels les « démocraties » bricolent des majorités à l'Assemblée des Nations Unies. Pour se prévaloir d'une majorité autour de lui l'« Occident » compte les pays. Pour montrer à quel point le « Nord » est minoritaire, le « Sud » exhibe le poids de sa démographie. La Chine, elle, se contente de mesurer ses progrès réalisés en une vingtaine d'années. Chronique d'un échec annoncé. Macron et v. Leyen. Chacun avec ses casseroles. - Macron est de plus en impopulaire dans son pays. Les manifestations contre sa politique économique et sociale ne cessent pas. Mal réélu, il ne dispose pas de majorité à l'Assemblée Nationale, ce qui le contraint à avoir recours soit aux moyens coercitifs (démocratiquement discutables) que lui accorde la Constitution, soit à d'infructueuses combinazione discrètes et acrobatiques avec des partis minoritaires.2 Les sondages de popularité du président et de sa Première ministre, publiés pendant la visite, sont impitoyables.3 De plus, il s'agit d'une économie dépendante, désindustrialisée, endettée, commercialement et budgétairement déficitaire sous la menace des marchés financiers et de ses autres partenaires, notamment l'Allemagne, pour garantir sa signature. Sa gouvernance est ainsi fragile et aléatoire. Le poids de la France est plus un héritage qu'une réalité. Certains, y compris en Europe, lui disputent son siège au Conseil de Sécurité.4 - La présidente de la Commission connaît une fragilité similaire. V. der Leyen n'est pas un chef d'Etat élu mais une administratrice nommée par le Conseil de l'Europe, confirmée par le Parlement. Elle représente un patchwork de pays qui ont des intérêts opposés qui, chacun pour des raisons qui lui sont propres, bloquent régulièrement les protocoles de décision. Le veto dont dispose actuellement les membres de l'UE ne permettant pas de prendre des décisions rapides, à la majorité qualifiée, la Commission prépare depuis longtemps un coup d'Etat institutionnel destiné à confier à Bruxelles la gouvernance de toute l'Union au détriment des élus nationaux ainsi régionalisés. Pour nombre d'observateurs, cela reviendrait à consacrer l'Europe dont rêvait le général A. Marshall et l'axe Atlantique. Vue de Chine, l'Europe est dominée par Washington et, de ce fait, n'a qu'une marge de manoeuvre limitée. Une confirmation : désormais il apparaît de plus en plus clair que la France et l'Europe, ensemble ou séparés, ont fait la démonstration de leur futilité et ne pèsent que peu dans les relations internationales. C'est pourquoi les Chinois préfèrent, sur les questions stratégiques avoir affaires directement au donneur d'ordres plutôt qu'à ses supplétifs avec lesquels ils ont des relations à la carte sur les questions d'intendance. E. Macron a tort même quand il a raison 1. Jeudi 06 avril, Xi Jinping, très vieux jeu, s'est conformé à l'usage : l'essentiel étant échangé en aparté, son discours a été bref et suffisamment général pour offrir aux médias l'occasion de multiples interprétations. E. Macron, lui, s'imaginant à Paris, satisfait de lui-même, s'est étalé et épuisé en des circonvolutions rhétoriques et des entrechats superflus. Il a été deux fois plus long que son hôte qui a manifesté (avec une distinction typiquement chinoise) quelques gestes d'irritation. L'« amitié » franco-chinoise qu'il ne cessait de rappeler était sirupeuse et superficielle, là où on attendait un chef d'Etat soucieux de l'essentiel, exposant les grands traits d'une stratégie ramassée avec des mots choisis et percutants, une performation qui semble échapper aux politiques français. 2. Maladresses Le 23 février 2023, Xi Jinping a exposé un plan de paix pour l'Ukraine. E. Macron a cru opportun d'insister dans son intervention sur les points de ce plan qui semblaient opposer Chinois et Russes et ainsi perturber leurs relations. - Dans son premier point, la Chine appelle au respect du « droit universellement reconnu, y compris les buts et principes de la Charte des Nations unies ». À savoir : « la souveraineté, l'indépendance et l'intégrité territoriale de tous les pays ». Ce postulat vaut donc aussi pour la Russie. Mais le Kremlin prétend respecter ce principe, car pour lui, les territoires annexés font partie intégrante de la souveraineté russe. - dans son deuxième point, la Chine estime que « la sécurité d'un pays ne doit pas être recherchée aux dépens des autres » - Pékin demande également aux belligérants d'« éviter d'attaquer des civils ou des installations civiles », visant clairement ici les campagnes russes de frappes massives sur les infrastructures énergétiques et sur les villes ukrainiennes. - Enfin, « les armes nucléaires ne doivent pas être utilisées et les guerres nucléaires ne doivent pas être menées », indique la Chine dans son huitième point. Le plan précise : « La menace ou l'utilisation d'armes nucléaires doit être combattue ». La Chine semble reprendre à son compte les critiques formulées par les Occidentaux. Le procédé est cependant maladroit précisément parce qu'il visait à mettre mal à l'aise publiquement la Chine en la poussant à une attitude plus explicitement critique à l'égard de la Russie. Cela, même si la Chine devait bien savoir qu'elle ne pouvait durablement adopter une attitude ambiguë et tout à la fois ménager ses intérêts avec les Occidentaux tout en consolidant un front avec des pays qui font face aux mêmes contraintes qu'elle. Après avoir planté sa première banderille, E. Macron a placé son vis-à-vis dans une posture difficile en lui proposant de jouer un rôle de médiateur entre belligérants. C'est habile, car accepter cette médiation aurait ipso facto pour conséquence mécanique d'éloigner Pékin de Moscou (de ruiner leur « amitié éternelle ») et de rapprocher les Chinois des Ukrainiens, ce que ces derniers réclament depuis longtemps. Le coup a été immédiatement paré par le Kremlin qui a refusé toute médiation dans le conflit. Cela a sans doute soulagé Pékin. La proposition de E. Macron a pris l'allure d'une injonction déplacée. On ne fait pas la leçon aux Chinois chez eux. Surtout de la part d'un pays de la taille d'une province chinoise.5 En 2020, la Chine est devenue pour la première fois le premier partenaire commercial de l'Union européenne en 2020, doublant les Etats-Unis. Le commerce de l'UE avec la Chine a totalisé 586 milliards de dollars (exportations et importations), soit 31 milliards de plus que le commerce de l'UE avec les Etats-Unis, en 2020. (La Tribune, 15 février 2021) Une autre différence doit être notée : les échanges augmentent autant que le déficit commercial européen s'aggrave avec la Chine. Il est passé de -164,7 milliards d'euros, en 2019, à -181 milliards en 2020. Dans le même temps, l'excédent de la Chine avec les Etats-Unis est resté stable à environ 151 milliards d'euros. Si l'UE était déjà le premier partenaire commercial de la Chine depuis 2004 - ses échanges avaient alors dépassé les échanges sino-japonais - c'est la première fois que l'inverse est aussi vrai, c'est-à-dire que la Chine détrône les Etats-Unis vis-à-vis de l'Europe. Il n'est pas certain que les exportations de GNL américain, remplaçant le gaz russe, à partir de 2022, suffisent à compenser le déficit US et replacer Washington à la tête du commerce extérieur européen. Le déficit français n'améliore pas celui de l'Europe. Il contribue à le creuser. La Chine est le deuxième fournisseur de la France. La France n'est que le 22ème fournisseur de la Chine. Evolution des importations et exportations françaises avec la Chine depuis 2014 (AFP, V. 07 avril 2023) Le graphique ci-dessus illustre parfaitement le gouffre qui se creuse entre les exportations chinoises vers la France et celles de la France vers la Chine. Un peu supérieur à 20 Md? en 2014, le déficit bilatéral a plus que doublé en 10 ans (environ 50 Md?). Le tourisme ces dernières années en faveur de la France ne compense plus la balance commerciale en ce que le nombre de touristes chinois visitant l'Hexagone est en chute libre depuis la pandémie et a du mal à se reprendre. Le président français a été accompagné d'une délégation de 80 personnes, parmi lesquelles plusieurs dizaines de patrons de grandes entreprises ou de PME (dont Danone, EDF, L'Oréal, Veolia, Airbus, le Club Med, Safran, Orano ou encore BNP Paribas) et plusieurs ministres. Les plus attentifs auront noté l'absence des patrons de Renault et de Stellantis. Il est vrai qu'en matière de compétition automobile la messe est dite. Le patron d'Airbus n'a pas fait le voyage en Chine avec E. Macron pour rien. L'avionneur n'a pas conclu de nouvelles commandes (un contrat de 160 appareils déjà acté dans son carnet de commandes a été paraphé) 6. L'installation d'une deuxième ligne d'assemblage final pour ses monocouloirs A320 et A321 sur son site de Tianjin (nord) a été annoncée. Cela lui permet de doubler sa capacité de production d'avions sur le sol chinois. Airbus se rapproche de la colossale demande en nouveaux avions des compagnies aériennes chinoises. Le seul contrat signé porte sur la livraison par Airbus Helicopters de 50 hélicoptères H160 à GDAT, un des principaux loueurs d'hélicoptères chinois, pour une valeur de près d'un milliard d'euros. Les centrales nucléaires françaises non seulement ne font plus recette, mais ce sont les centrales chinoises qui dominent de plus en plus et augmentent leurs parts de marché dans le monde. Sur les 59 réacteurs en construction dans le monde, 43 sont de conception russe ou chinoise7. C'est peut-être pourquoi EDF s'est contenté de placer quelques éoliennes en mer... 3.- D'autres maladresses ont accompagné le voyage du président français Des références tout aussi déplacées dans les médias français à de supposées « vassalités » entre Chine et Russie et entre Russie et Biélorussie.8 Sans compter le procès permanent intenté contre l'Allemagne et sa dépendance à l'égard du gaz russe avec des qualificatifs peu aimables pour les anciens chanceliers, Mme A. Merkel et M. Gerhard Schröder régulièrement qualifiés de « larbins » de Poutine. 1 + 1 = 0. Echec sur toute la ligne E. Macron a placé sa visite d'Etat de trois jours sous le signe de la guerre en Ukraine en tentant de peser sur Pékin pour l'amener à se prononcer contre la guerre russe et pour l'Ukraine de manière explicite, par-delà ses chinoiseries rhétoriques. Les 51 points de la déclaration commune finale ne mentionnent pas la Russie et n'appellent pas au départ d'Ukraine des troupes de Moscou.9 L'intervention militaire, même dans son principe, n'est même pas condamnée. En revanche, les deux pays « s'opposent aux attaques armées contre les centrales nucléaires et les autres installations nucléaires pacifiques » et soutiennent l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) « pour assurer la sécurité de la centrale de Zaporijjia » (point 11). Cette déclaration ne sera sûrement pas au goût de Kiev dans la mesure où, malgré un matraquage médiatique occidental incessant, c'est bel et bien l'armée ukrainienne qui bombarde la centrale où l'occupant militairement, Russes auraient du mal à se bombarder eux-mêmes. Ce voyage paraît n'avoir abouti à aucun résultat concret, limité à la signature de contrats mineurs ou à la confirmation de ce qui avait déjà été conclu. Au reste, il semble invraisemblable qu'au moment où Washington presse ses entreprises de quitter la Chine, les Etats-Unis verraient d'un très bon oeil l'accroissement d'investissements français ou européens dans ce pays, de surcroît au détriment des entreprises américaines. Les pays exportateurs européens, l'Allemagne en particulier, n'ont besoin ni de la France ni de la Commission pour s'occuper de leurs affaires. On a vu plus haut que O. Scholtz en novembre dernier a fait discrètement le voyage vers la Chine pour le compte de son pays sans flonflons, tambours ni trompettes. La coopération, la complémentarité, la solidarité... a laissé place depuis Maastricht, l'avènement de la monnaie unique et la « fin de l'histoire », à une concurrence féroce entre les économies européennes. Les médias européens ont une mission cardinale : entretenir et consolider le mythe de la cohésion interne retrouvée de l'Europe et l'union sacrée autour du Pacte Atlantique et de l'OTAN qui aurait été victime d'une « mort cérébrale » (E. Macron, novembre 2019). Macron et Xi ont eu sûrement l'occasion de croiser leurs points de vue, mais si rien n'en est ressorti au niveau du communiqué final, chacun est resté sur ses positions respectives. Le président chinois n'a pas dit un mot à propos de l'Ukraine qui était au coeur de la rencontre. Un seul mot d'ordre semble être au coeur de ce périple : que les Chinois n'apportent pas leur aide aux Russes et surtout ne se mêlent pas de fournir des armes à Moscou. Si tel avait été le message à transmettre à Xi Jinping, la réponse n'a pas tardé. A peine l'avion de E. Macron avait-il décollé qu'une opération à «tirs réels» a commencé autour de Taïwan «encerclée» par la marine de guerre chinoise pendant trois jours.10 Est-ce si étonnant que cela ? Pour le reste, on attendra les documents déclassifiés dans 60 ou 70 ans pour savoir très exactement ce qui s'est passé au cours de cet événement. Incongru au départ, invisible pendant la visite, complètement ignoré au retour, le périple de U. v. der Leyen a été d'une parfaite et remarquable inutilité. Les officiers de la Bundeswehr, soulagés de son départ, à l'époque où elle gouvernait leur ministère, n'auraient mieux dit. Les divagations d'un extraterrestre Avec l'avion qui le ramenait à Paris, le président français prend des libertés avec la réalité et digresse sans retenu. Les Echos du dimanche 09 avril 2023 publient un propos qui va faire scandale. Dans la peau d'un président de l'Europe, il s'envole : « En tant qu'Européens, notre préoccupation est notre unité. C'est la mienne depuis toujours. Nous montrons à la Chine que nous sommes unis et c'est le sens de cette visite commune avec la présidente de la Commission Ursula von der Leyen. » Dans celle d'un acrobate, il ne se retient plus : « La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise. Pourquoi devrions-nous aller au rythme choisi par les autres ? A un moment donné, nous devons nous poser la question de notre intérêt. » E. Macron parle d'« autonomie stratégique », cruciale pour éviter que les Etats européens ne deviennent « des vassaux » et, escamotant la Russie au passage, espère que l'Europe devienne « le troisième pôle » face aux Etats-Unis et à la Chine. « Nous ne voulons pas entrer dans une logique de bloc à bloc » ni admettre « l'extraterritorialité du dollar ». « L'histoire s'accélère, il faut en parallèle une accélération de l'économie de guerre européenne », insiste le président français. Les alliés de la France s'étranglent d'indignation, surtout à l'Est, de là où désormais l'Amérique gouverne le vieux continent. Le ministre polonais des Affaires Etrangères à son départ pour Washington fulmine. À Kiev, capitale mondiale de la communication de crise depuis février 2022, ça bouillonne, mais on se tait. On ne veut surtout pas briser l'unanimité de l'aide qui lui est apportée sans laquelle l'Ukraine aurait été rasée depuis longtemps. Les gaffes de Macron y sont collectionnées comme les papillons. Berlin en profite pour donner le coup de griffe traditionnel à son voisin. Les Anglais ne se privent jamais de se délecter des impérities françaises et chacun y va de son indignation au détriment de la France. Même U. v. der Leyen passe pour une victime, traînée à Pékin contre son gré. C'est de bonne guerre. Le summum a sans doute été atteint par l'ancien président D. Trump, un artiste émérite de la vulgarité dans un pays où elle est une tradition respectée par quelques uns de ses prédécesseurs (R. Nixon, R. Reagan...). « Macron, qui est un ami, est allé en Chine pour lécher le cul » de Xi Jinping, a-t-il jugé intelligent de commenter (BFMTV, mercredi 12 avril 2023). Depuis la fin de la première guerre mondiale, accéléré après la seconde, a commencé un déclin rapide au profit des Etats-Unis d'Amérique. Ce déclin doit être précisé : il ne s'agit pas de la disparition de l'Europe. Il s'agit d'un réaménagement dans la hiérarchie des normes et d'un déplacement du centre de gravité et des décisions stratégiques. Sans doute, on ne comprendrait pas grand-chose au nouvel ordre du monde, surtout du point de vue occidental, si on persistait à le penser aujourd'hui en terme de « pays ». Des oligopoles capitalistes puissants disposent aujourd'hui des « pays », comme de variables dans un système d'équations complexe, dans lesquels les citoyens s'imaginent gouverner démocratiquement leur destin collectif par des élections « libres et non faussées ». Il faut une fable pour tenir les murs du temple, même si celui-ci n'a plus ni toit ni murs. Après 1945, les principaux leviers de commande ont traversé l'Atlantique : la monnaie (dès 1931 puis 1944), les finances (la City cède à Wall Street la cotation du monde) 11, la culture (Hollywood met en scène le sacre du Nouveau Monde, avant même la « fin de l'histoire »), la puissance militaire (la premier budget de la planète qui commence par l'atomisation du Japon), le commerce (le GATT en 1947), le prestige unilatéral de l'hyperpuissance triomphante (après 1990)... le « vieux continent », convaincu d'avoir été libéré par son puissant « allié » se confond tous les ans en génuflexion reconnaissante sur les plages de Normandie. Le président français est passé maître dans l'art de se contredire avec un aplomb et une grandiloquence de haut vol : il déclare un jour ce qu'il contredit sans sourciller le lendemain. Les Etats-Unis ont officiellement ignoré les frasques présidentielles immatures du locataire de l'Elysée. Ils ont de bonnes raisons à cela. Depuis le retour des forces armées françaises dans l'OTAN, sous commandement américain (le secrétaire général de l'Alliance ne s'occupe pour l'essentiel que de communication) en 2009, et même dès l'arrivée de V. Giscard d'Estaing au pouvoir (cf. « Opération Apollon »), la France a concrètement perdu le contrôle sur sa « force de dissuasion ». « Sa bombe » est aussi décorative que celle de son voisin britannique que MacMillan a cédé dès 1960 à Kennedy contre les Polaris qui ont définitivement servi à subordonner le Royaume Uni. Les généraux français qui défilent sur les chaînes d'information continue défendent avec une conviction inébranlable et même avec une singulière fierté, le lien atlantique. Depuis la guerre du Viêt-Nam, consolidés lors du « putsch des Généraux » (avril 1961), des liens très solides se sont noués entre Français et Américains. La France s'américanise avec entrain. E. Macron parle de souveraineté en anglais aux Pays-Bas. Les entreprises françaises indexées au CAC40 sont possédées pour moitié par des Fonds étrangers et, sans les blockbusters hollywoodiens, la prospérité du cinéma français serait une fiction pour demeurés. Les élites intellectuelles, économiques, politiques... de ce pays ont soldé depuis longtemps ce qui reste de l'exception culturelle de leur pays, de sa langue et de sa souveraineté. Devinez par qui demain la France sera défendue ? « L'autonomie stratégique » est une entourloupe rhétorique, inventée par un papillon irréversiblement coincé dans son bocal (J.-P. Chevènement), une vassalisation assumée qui égare les benêts et ne cesse de « consentir ». La « Troisième voie » est celle des « caniches » que Antony Blair a naguère exploré et que des socialistes en perte de repères avaient empruntée en France avec les conséquences économiques, financières et politiques que l'on sait. Comme d'habitude, Macron a beaucoup parlé, Xi a beaucoup écouté. Mais Macron n'avait rien à vendre et les Chinois n'avaient rien à lui acheter. Notes : 1- Oublions le cas du Vatican... en perdition dans cette liste et dans son apostolat. 2- Cf. A. Benelhadj : « Une France entre le cristal et la fumée ». Le Quotidien d'Oran, J. 30 mars 2023. 3- 71% (+8 points) ne font plus confiance au président. Emmanuel Macron accuse une forte chute de sa popularité avec 25% des Français qui lui font « confiance », un score qui tombe à 22% pour Élisabeth Borne, le plus mauvais pour un locataire de Matignon depuis 2017, selon un sondage Elabe. (AFP, J. 06 avril 2023). Croyant échapper aux contestations nationales, E. Macron les a retrouvé à La Haye, aux Pays-Bas, dès le début de sa visite d'Etat. Une banderole proclamant « On battra pas en retraite » avait déjà été déployée lors d'une cérémonie devant le palais royal d'Amsterdam dans la matinée. (AFP, mardi 11 avril 2023) 4- Cela n'a plus aucune importance : les Institutions issues de 1945, en « mort cérébrale », sont condamnées à de profondes réformes et ne survivront pas à la crise ukrainienne. 5- Guangdong (ex-Canton) fait presque le double de la population française. 6- 24 mars 2023. Airbus a livré le premier avion A321neo assemblé sur sa chaîne d'assemblage final en Asie (FAL Tianjin) à la compagnie chinoise Juneyao Air à Tianjin, en Chine. « Airbus continue d'étendre et d'améliorer sa coopération globale avec l'industrie aéronautique chinoise, soulignant son engagement à long terme envers la Chine pour assurer la proximité avec ses clients tout en soutenant la montée en puissance de la production mondiale d'avions commerciaux » déclarait George Xu, vice-président exécutif d'Airbus et DG d'Airbus Chine. (Cercle Finance, V. 24/03/2023). 7- Et 22 d'entre elles en construction en Chine. https://www.lemonde.fr, mercredi 12 avril 2023. 8- Comment la Russie est devenue la «nouvelle vassale» de l'empire du Milieu (Le Figaro, lundi 20 mars 2023). 9- https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/04/07/declaration-conjointe-entre-la-republique-francaise-et-la-republique-populaire-de-chine 10- En réalité, cette opération n'avait rien à voir avec le départ du président français. C'est la rencontre aux Etats-Unis entre la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, et Kevin McCarthy, le président de la Chambre des représentants américaine, troisième personnage de l'Etat outre-Atlantique qui en fut la cause. 11- Lire J. Attali (1992) : « Un homme d'influence - Siegmund Warburg (1902-1982) ». Ed. Fayard, 573 p. Texte passionnant. A lire avec une seule réserve : ne pas porter attention à la très haute opinion que l'auteur du livre, en filigrane, a de son propre destin. Sa présidence de la BERD et ses frasques ont été soigneusement effacées. En juin 1993, J. Attali est contraint à la démission. Depuis, comme nombre de ses contemporains, le natif d'Alger s'attache à écrire l'histoire du futur... |
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