Histoire
vraie : l'homme se présente au guichet d'une antenne communale quelque part
dans le pays profond, pour retirer un document à verser dans son dossier de
retraite. Un homme, assis sur un fauteuil rembourré avec plein de cachets ronds
sur le bureau, lui décoche : « rahou yefatrou si l'Hadj » ! Comprendre
: « ils sont partis déjeuner »... « Mais il est encore 11h20 Monsieur... », répond l'homme aux tempes grises. « Ils habitent loin, samahna si l'Hadj » ! insiste l'homme affalé sur le fauteuil. Et dire que nous
sommes qu'à quelques encablures du mois de tous les soucis.
En
attendant que le travail paie dans le futur, où, quand, comment « nicher » un
Algérien en chair et en os qui bosse au sens stakhanoviste du terme ? Selon le
vade-mecum de tous nos paradoxes grandeur nature, l'Algérie est le pays où l'on
paye l'eau la moins chère du monde, le pain le plus facile d'accès de tous les
pays à destin équivalent, l'essence la plus gaspillée des pays pétro-dépendants,
le loyer le plus modéré des modérés, l'énergie électrique la moins coûteuse de
tous les pays... éclairés... Dépersonnalisé jusqu'à... la moelle, le
travailleur algérien n'est pas comme ses camarades d'infortune d'ailleurs : il
reçoit sa solde un mois avant d'avoir goûté au fruit gratuit de son labeur
inaccompli, et claque sa prime de rendement une année avant de voir sa boîte « banqueroutée ». Selon une théorie algéro-algérienne,
le travailleur de chez nous fait semblant de se retrousser les manches
lorsqu'on fait semblant de le payer. Il veut donner l'impression trop fausse de
trimer à la tâche, pas pour améliorer le BNC (Bonheur national collectif), mais
pour lutter contre l'ennui sidérant, le vice dévorant et le besoin
irrépressible de marcher sur la lune sans jamais laisser de trace... humaine.
Religion sacro-sainte pour nos golden boys pas comme les autres, -ce bidule-,
de la productivité, sous nos latitudes ombragées, est inversement proportionnel
à la «douloureuse» de nos faillites « vracquées ». Le
travailleur algérien est devenu un salarié miséreux, avec des mains faussement
calleuses et des bras brisés. Et parce que le travail était, à l'origine des
temps, un accident de la vie, avant de changer de «statut particulier», pour
devenir une maladie chronique, il est peut-être plus glorieux de mourir
d'épuisement que d'ennui dans un pays où tout le monde a le sentiment tenace de
jouer le beau rôle de combattant en carton-pâte, à courir, les jambes
cisaillées, après un destin détourné...