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Sahara Occidental: Plaidoyer pour une cause occultée

par Nadir Marouf *

Le drame qui se joue dans l'ouest du Maghreb autour d'une province »décolonisée» et qui, par une ironie de l'histoire, se transforme en bras de fer de plus en plus critique, voire dangereux entre l'Algérie et le Maroc, n'a pas fini de susciter les commentaires les plus invraisemblables, s'arrêtant pour certains à l'écume des choses, pour d'autres, à un parti pris où n'est prise en considération que l'empathie que suscite un pays par rapport à un autre, au regard des événements conjoncturels ou des affinités subjectives... Aussi, me paraît-il utile de revisiter ce dossier sur un plan à la fois juridique et anthropo-historique.

La revendication marocaine du Sahara Occidental repose sur une légitimité «de droit divin, celle de Blad-al-islam», alias «Blad-al-Makhzen». Dans une vidéo publiée en mars 1975, Hassan II en a exprimé le fondement, en insistant sur ce principe d'allégeance qui relie le peuple sahraoui à la personne du Roi. Il est pour le moins curieux qu'une telle conception impériale, voire califale, se soit maintenue grâce à l'avènement inopiné de l'Empire ottoman qui a permis mécaniquement à la monarchie saadienne de Marrakech de s'octroyer le monopole du privilège sacral, alors même que son intégrité territoriale était grignotée par l'Espagne au Nord et par le Portugal à l'Ouest. Nonobstant ce paradoxe, comme toutes les titulatures impériales, leur fondement repose sur des relations onomastiques de dépendance à la personne du Roi, lequel dispense son «bienfait» á ses hommes liges en contrepartie de l'hommage vassalique rendu par ses derniers en vertu de quoi ils ont droit au paradis. Ce contrat synallagmatique a existé dans l'Occident chrétien médiéval. Ce fut le cas du Saint Empire germanique, de la dynastie capétienne, comme de l'Empire des Habsbourg. L'histoire moderne européenne, née avec le capitalisme naissant dès la fin du 18e siècle, a «territorialisé» en quelque sorte la Nation, c'est-à-dire refaçonné la cartographie de la planète sur des bases politico-économiques (pour le meilleur ou pour le pire), dans lesquelles les règles d'allégeance d'antan perdent de leur présupposé normatif, à savoir leur rationalité féodale.

Il est vrai qu'un redéploiement tardif de cette polarité surannée a pu être maintenu par la Grande-Bretagne avec le Commonwealth, sauf qu'il n'a plus aujourd'hui qu'un aspect symbolique, en ce sens qu'il n'y a aucune revendication territoriale de la royauté britannique à l'égard de l'Australie ou du Canada, pour ne prendre que ces exemples. Là où le bât blesse, c'est que la monarchie marocaine affirme haut et fort qu'elle dispose d'un droit de primogéniture, non seulement sur le Sahara Occidental, mais aussi sur la Mauritanie, les pays du Sahel (1), voire une partie du Sahara de l'Ouest algérien, à savoir le Touat, le Gourara et le Tidikelt, qui forment une superficie quasiment égale á celle de la France, et ce, au nom du même principe sacro-saint d'allégeance. Allal Al-Fassi, ancien secrétaire général du parti de l'Istiqlal, le rappelait fortement en 1956, au lendemain de l'indépendance du Maroc, faisant fi des règlements internationaux sur le tracé des frontières. L'Algérie ne peut, au moins pour cette raison, adhérer à la thèse de la marocanisation du Sahara Occidental, car elle signifierait, mutatis mutandis, la marocanisation, à terme, du «Sahara Oriental»...

On comprendra dès lors pourquoi la position de l'Algérie n'a rien à voir avec un prétendu couloir lui donnant accès à l'Atlantique!

Il n'y a qu'à lire les nombreux commentaires de citoyens marocains, notamment sur la toile, selon lesquels cet autre Sahara est à prendre également, au nom de la légitimité historique, sans parler du grand érudit Bernard Lugan, natif de Meknès, qui répète sans cesse dans ses vidéos la fabrication française de l'Algérie. Il ressort que pour l'historien médiéviste lambda, la mobilisation du principe d'allégeance, transformé en principe d'appartenance territoriale, est pour le moins une falsification de l'histoire (2). Aussi, le fait qu'une partie de l'opinion occidentale penche pour la thèse marocaine, au mépris de ce qui précède, ne peut relever que de motivations mercantiles et clientélistes. À ce titre, elle serait prête à fermer les yeux sur une usurpation marocaine, quand elle garde des yeux de lynx sur »l'usurpation présomptive» de certains territoires ukrainiens.

*Professeur Émérite des Universités

1-Lire Tarik as-Soudan, de Abderrahmane Es-Saadi (trad. O Houdas)

2-Lire Vers une contre-histoire du Sahara Occidental