|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Alors
que la mouture de la loi sur l'investissement -sur lequel l'on a levé un pan du
voile chemin faisant- est en plein enrichissement, de nombreux investisseurs
attirent l'attention des hautes autorités sur un point. Un détail de taille,
selon eux, qui mérite qu'on s'y arrête sérieusement.
L'appel fait par ces opérateurs économiques, en leurs noms personnels ou par le biais de différentes représentations patronales, est à destination en premier lieu du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, qui avait chargé le Gouvernement de poursuivre l'enrichissement du projet de loi «au regard de son importance et dans le souci d'assurer sa pérennité». De quoi s'agit-il ? En clair, les investisseurs de différents champs d'activités voient dans le double traitement réservé par l'administration au segment de l'investissement et à celui de la promotion immobilière, en ce qui concerne le régime juridique d'attribution du foncier, une politique à deux vitesses. Un contresens, même. Alors que le promoteur immobilier voit son titre de concession se convertir quasi automatiquement en cession après la réalisation de son projet, l'investisseur, lui, est tout simplement privé de ce droit. Bien que son projet soit concrétisé et mis en exploitation, il est condamné à rester confiné dans la petite bulle du simple droit de jouissance. Au regard de la loi -et donc dans les faits- il n'est propriétaire que des murs, le terrain sur lequel est édifiée son entreprise ne figurant pas dans son titre de propriété. Encore faut-il reconduire ce contrat de jouissance de manière cyclique puisque la concession est accordée pour une durée minimale de 33 ans, renouvelable 2 fois, soit 66 ou 99 ans maximum. LA POLITIQUE DE DEUX POIDS DEUX MESURES «Curieusement, voire paradoxalement, c'est le créneau facile et à fort caractère commercial de la promotion immobilière qui est le plus avantagé en la matière. L'investissement productif, créateur de richesses, générateur d'emplois et à forte valeur ajoutée pour l'économie nationale, quant à lui, est soumis à des règles beaucoup moins souples, notamment avec cette grosse contrainte d'inconvertibilité de la concession en cession du foncier industriel», remarque ce grand investisseur dans l'hôtellerie et le tourisme culturel installé sur la place d'Oran, qui tient à préciser que «le but de notre démarche à travers ce message au président de la République est de remédier à un état de fait qui lèse à plus d'un titre les investisseurs et, à notre sens, contraste avec la volonté politique de l'Algérie nouvelle qui œuvre pour la relance du développement et la construction d'une économie diversifiée et durable assurant des opportunités d'emploi et capable de créer de la richesse et qui, pour ce faire, s'apprête à mettre en place une nouvelle loi sur la promotion de l'investissement reposant sur la consécration du principe de la liberté d'investissement et d'initiative et la stabilité du cadre législatif de l'investissement». Un industriel opérant dans l'agroalimentaire abonde dans le même sens en soulignant «l'incohérence et l'ambivalence de l'actuelle loi pour ce qui est du régime juridique de concession du foncier à destination des investisseurs et des promoteurs immobiliers». Sollicitant l'intervention du chef d'Etat, il nourrit l'espoir que «le texte de loi en cours de finalisation lève cette anomalie et uniformise les modalités». En effet, le décret exécutif 15-281 -loi toujours en vigueur- fixe les conditions et les modalités de concession convertible en cession des terrains relevant du domaine privé de l'Etat, destinés à la réalisation de projets de promotion immobilière à caractère commercial. Il énumère les assiettes foncières susceptibles de faire l'objet de concession convertible en cession, dans ce cadre, à savoir : celles relevant du domaine privé de l'Etat, celles non affectées ou en voie d'affectation à des services publics de l'Etat pour la satisfaction de leurs besoins, celles situées dans des secteurs urbanisés ou urbanisables tels que définis par les instruments d'aménagement et d'urbanisme. APPEL À LA PRÉSIDENCE La concession est autorisée par arrêté du wali territorialement compétent après avis favorable du comité technique de wilaya et est consacrée par acte administratif établi par les services des domaines accompagné d'un cahier des charges type. Conformément à la législation, la concession confère à son bénéficiaire le droit d'obtenir un permis de construire et lui permet, en outre, de constituer, au profit des organismes de crédit, une hypothèque affectant le droit réel immobilier résultant de la concession convertible en cession ainsi que les constructions à édifier sur le terrain concédé en garantie des prêts accordés exclusivement pour le financement du projet poursuivi. Dans son article 9, la même loi stipule que «la concession est convertie en cession à la demande du concessionnaire, après achèvement effectif du projet conformément au cahier des charges et l'obtention d'un certificat de conformité délivré par les services habilités et après avis favorable du comité technique (?) La demande de conversion de la concession en cession est adressée au comité technique qui doit se prononcer dans un délai n'excédant pas un mois à partir de la date de la réception de la demande». S'ensuit l'article 10, qui précise que «la conversion de la concession en cession est réalisée sur la base de la valeur vénale fixée par les services des domaines au moment de l'octroi de la concession avec défalcation des redevances versées au titre de la concession lorsque l'opération de conversion est sollicitée par le promoteur dans les deux ans qui suivent le délai de réalisation du projet». Ceci alors que «lorsque la conversion de la concession en cession est sollicitée au-delà du délai de deux ans qui suivent le délai de réalisation, celle-ci est accordée sur la base de la valeur vénale du terrain telle que déterminée par les services des domaines au moment de la conversion et sans défalcation aucune des redevances versées au titre de la concession» (article 11). Si donc, pour le promoteur immobilier, la concession est convertie en cession à sa demande, après achèvement effectif de son projet s'entend, il en est tout autrement pour l'investisseur. Pour ce dernier, la loi en vigueur lui octroie seulement «la concession pour une durée minimale de 33 ans, renouvelable 2 fois (66 ans ou 99 ans maximum)». LOCATAIRES À VIE Au titre des obligations de l'investisseur-concessionnaire, ce dernier est tenu sous peine de voir sa concession annulée, par le paiement d'une redevance annuelle qui représente le droit de jouissance de la concession des terres concédées, la réalisation durant le délai prescrit du projet accordé en vertu de la concession, le respect de la destination initiale du terrain consenti de la concession, le respect des obligations figurant dans le cahier des charges. En adoptant le mode de concession au lieu et à la place de la cession, les pouvoirs publics d'alors mettaient en avant les arguments -qu'ils n'ont pas manqué de mettre en relief sous forme d'un intertitre inséré dans leur texte de loi- selon lesquels le régime de concession «permet à l'investisseur de mobiliser ses ressources financières pour la réalisation de son projet, plutôt qu'à l'acquisition onéreuse de l'assiette, et offre à l'Etat la garantie d'une gestion rationnelle et une préservation durable d'une ressource non renouvelable». Cependant, cet argumentaire qualifié par beaucoup de «discours biaisé et rempli de clichés» est battu en brèche par les concernés eux-mêmes -ou du moins la plupart d'entre eux- lesquels, tout au contraire de ce dont prévalent les législateurs de ce texte, estiment qu'Etat et investisseurs sont tous à la fois gagnants en se mettant d'accord sur le même modèle de «concession à courte échéance convertible en cession définitive» qui est appliqué pour la promotion immobilière. «La réalisation du projet, c'en est la finalité. C'est aussi la clé du problème. A partir du moment où le projet est mis sur pied et entre en exploitation, l'Etat n'a plus besoin de garanties pour couvrir les risques d'un éventuel inaboutissement du processus ou d'un probable détournement du foncier à des fins spéculatives. Et l'Etat a dès lors tout à gagner à céder le foncier du projet abouti à son porteur, notamment sur le plan financier, au lieu de s'encombrer d'une gestion harassante et coûteuse d'un portefeuille foncier déjà attribué. Pour le promoteur du projet, l'acte de propriété est bien plus qu'une assurance juridique qui le conforte dans son droit de propriété du projet, «c'est l'apothéose de tout un processus de longue haleine », explique un autre investisseur, gérant d'une grande centrale à bitume à Oran. LA CESSION : LA BONNE SOLUTION Cependant, cette problématique liée à la concession/cession du foncier est loin d'être le seul grief fait par les opérateurs économiques au projet de loi relative à l'investissement, que le président de la République avait chargé le Gouvernement de poursuivre l'enrichissement lors d'un Conseil des ministres, tenu le 8 mai dernier. Des remarques ont été émises par-ci par-là, notamment par certains cercles professionnels et autres organismes patronaux, qui tout en saluant la mise en place d'un cadre légal stable et cohérent, qui répond aux attentes des investisseurs et met enfin l'économie nationale sur la voie de la croissance et du développement, ont mis l'accent sur les difficultés à finaliser un projet de loi à même de répondre aux objectifs. «Ces difficultés se traduisent, estime-t-on, par des versions successives de projets de loi qui n'arrivent pas à éliminer les contradictions : d'un côté, il est question de consacrer le principe constitutionnel de la liberté d'investir et, de l'autre, le processus de gestion de l'investissement se confronte à toute une série de contraintes administratives qui le vident de sa substance». «La loi est censée offrir tout de suite un cadre stable pour l'acte d'investir, avec des procédures claires et fluides. Mais, dans la pratique, elle renvoie la plupart des décisions importantes à des textes d'application, ce qui rend le texte de loi opaque, non opérationnel dans l'immédiat, et non stable puisque, si même la loi ne change pas, les textes d'application peuvent en changer les principales modalités», indiquent les mêmes sources. CODE D'INVESTISSEMENT : ENTRE LARGE BÉNÉDICTION ET PETITE DÉFIANCE Et d'ajouter : «La loi est censée inciter à l'investissement, et donc de réduire les risques de l'investissement. Or, dans la dernière version du projet de loi, son article 27 met les investisseurs dans une situation risquée s'ils n'arrivent pas à finaliser leur investissement dans les délais. Comme chacun sait que le non-respect des délais ne dépend pas le plus souvent de la bonne volonté du promoteur, se mettre sous le dispositif de cette loi augmente les risques pour l'entreprise au lieu de les réduire.» Les causes de cette impasse ? Tout simplement parce que les débats se sont focalisés autour de la fiscalité et des «avantages» à accorder aux investisseurs. Et en conséquence, l'octroi de ces «avantages» est conditionné par des obligations et contrôles pensés et exercés par une administration dont chacun reconnaît qu'elle n'a jamais brillé par son aptitude concrète à accompagner les investisseurs. Au final, la liberté d'investir est perdue de vue, les incitations financières de l'Etat en direction des investisseurs s'accompagnant de modalités et de conditions rajoutant du risque pour les entreprises. Ceci alors que les investisseurs ont plus besoin de garanties générales d'entrée sur le marché et de conditions d'établissement transparentes que d'avantages financiers ou d'exonérations particulières. Ainsi, de nombreux investisseurs s'accordent à dire, en substance, qu'un «un code des investissements devrait établir les garanties aux investisseurs et leur fournir un système de recours concret, avec des solutions rapides et immédiatement praticables face aux blocages des administrations, à leurs dépassements éventuels ou à leur non-respect des délais légaux ou réglementaires ». |
|