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La russie piégée par les états-unis

par Khider Mesloub

Selon de nombreux commentateurs algériens, « la Russie de Poutine est en train d'inviter, à travers l' «opération spéciale» ukrainienne, la première puissance impérialiste, c'est-à-dire les USA, à s'asseoir autour d'une table, à discuter sur un nouveau partage du monde et à reconnaitre les nouveaux rapports de force qui exigent un découpage plus équitable du monde au profit des trois puissances (les USA, la Russie et la Chine) mondiales du moment, le déclin de la puissance US étant un fait remarquable ».

Ainsi, à les lire, nous assisterions à une tentative de redistribution des cartes. La Russie, par son intervention militaire, tenterait de rebattre les cartes de la division du monde jusqu'à présent dominé par les États-Unis.

Cette analyse pèche par sa naïveté à accorder un pouvoir d'influence et de nuisance à une Russie supposément hégémonique sur la scène internationale.

Contrairement aux affirmations soutenues par ces commentateurs, ce n'est pas la Russie qui mène le jeu, encore moins remporte quelque victoire sur l'échiquier international, mais les États-Unis. Actuellement, les États-Unis engrangent des succès sur le plan impérialiste sans mobilisation d'aucun soldat, ni dépense financière. En effet, le poids du financement du soutien militaire accordé à l'Ukraine est supporté majoritairement par les pays européens.

Au vrai, à l'instar de l'Irak de Saddam Hussein manœuvrée en 1990 par Bush père pour l'acculer à envahir le Koweït afin de justifier l'intervention impérialiste des États-Unis en Irak en vue de renforcer son hégémonie mondiale, la Russie a été piégée par la puissance américaine par l'emploi de multiples provocations matérialisées par l'élargissement de l'OTAN vers les frontières russes, et la promesse de son impartialité en cas d'intervention russe en Ukraine.

Depuis plusieurs années, à la suite de la désagrégation de l'URSS, la Russie, principale puissance militaire de la région, est menacée sur ses frontières. Les membres de l'OTAN, les pays atlantistes, ne cessent d'affaiblir la zone d'influence russe par l'intégration de plusieurs pays de l'Est à l'Union européenne et à l'OTAN. En effet, en moins de deux décennies, la Russie a assisté à l'entrée dans l'Otan de 14 pays qui avaient été longtemps dans sa sphère d'influence.

Par ailleurs, tous les bouleversements politiques opérés ces dernières années en Europe de l'Est participent de la déstabilisation de la Russie, actionnée par les pays atlantistes, en particulier leur parrain l'Oncle Sam. Depuis l'éviction de l'ex-président géorgien, Chevardnadze, en 2003, lors de la « révolution des roses » ayant permis l'intronisation au pouvoir d'une faction pro-américaine, en passant par la « révolution orange » de 2004 en Ukraine, et l'appui politique des pays atlantistes apporté à l'opposition pro-européenne en Biélorussie, sans oublier le conflit dans le Haut-Karabakh alimenté par la Turquie, membre de l'OTAN, et les règlements de compte au sommet de l'État kazakh. Toutes ces machinations, orchestrées par les pays atlantistes, ont fini par susciter l'inquiétude au sein de l'oligarchie russe.

L'inquiétude de l'oligarchie russe est montée d'un cran avec l'imminence de l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN et à l'Union européenne. Cette adhésion est devenue la variable d'ajustement de la stratégie américaine. Washington n'ignore pas que, pour Moscou, l'Ukraine constitue une ligne rouge à ne jamais franchir. Depuis l'époque tsariste et soviétique l'Ukraine a toujours constitué un enjeu stratégique capital pour la Russie. Pour le Kremlin, outre ses liens historiques indéfectibles avec les populations autochtones, l'Ukraine demeure l'unique et dernière voie d'accès à la Méditerranée.

C'est dans ce contexte de désencerclement géographique qu'il faut inscrire l'annexion de la Crimée en 2014 par la Russe, menacée d'asphyxie par les pays limitrophes clairement pro-américains. L'imminence de rattachement de l'Ukraine au bloc occidental a été perçue comme la suprême provocation par Moscou, menaçant directement la survie du régime post-soviétique. Aussi, l'offensive de l'armée russe en Ukraine constitue, pour Poutine et ses acolytes, l'ultime sursaut militaire désespéré pour sauvegarder le rang de puissance mondiale de la Russie, tenter d'endiguer son déclin sur la scène internationale.

Sans conteste, la Russie, par son agression contre l'Ukraine, vient-elle d'enfoncer le dernier clou dans le cercueil de son État désormais menacé d'éclatement sous l'effet conjugué de son isolement international, affaiblissement militaire et étrangement économique. Cette conquête coloniale russe de l'Ukraine, censée affermir sa puissance, marque, au contraire, le début de son dépérissement.

Une chose est sûre : la Russie, depuis longtemps puissance impérialiste rivale des États-Unis, comme lors de son intervention militaire en Afghanistan à l'origine de l'effondrement de l'URSS, est condamnée désormais à s'enliser dans une guerre destructrice interminable, préjudiciable pour les peuples ukrainiens et russes, principales victimes de cette barbarie guerrière.

Contrairement à l'analyse psychologisante développée par les experts et journalistes occidentaux, l'agression militaire de l'Ukraine par la Russie n'est pas l'œuvre d'un « dictateur fou ». Si la classe dominante russe s'est résolue à ouvrir les hostilités pour défendre ses intérêts impérialistes, elle ne l'a pas déclenché sous l'empire de la folie, de manière aussi soudaine qu'inattendue et inexpliquée. Depuis plusieurs mois, les autorités américaines, à la manœuvre de la provocation, avisaient les chancelleries de l'imminence d'une intervention russe en Ukraine. Tout en laissant accroire qu'elles ne s'immisceraient pas dans le conflit, autrement dit qu'elles n'interviendraient jamais sur le territoire ukrainien. Or, depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, les États-Unis, épaulés par leurs vassaux européens, ont décidé de livrer une vraie guerre d'usure contre Moscou. Il s'agit, selon la cheffe de la diplomatie européenne, de « dévaster l'économie russe ».

Dans le même temps, l'OTAN, un moment déclaré « en état de mort cérébral » par le président Macron, grâce à la Russie, vient de ressusciter. En effet, à la faveur de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, les États-Unis ont redonné une seconde vie à ce bras armé des pays atlantistes impérialistes par le renforcement de son implantation en Europe de l'Est, et son financement massif par les principales puissances européennes, contraintes de supporter le fardeau pécuniaire.

Au vrai, outre la Russie, les seconds perdants de cette guerre suscitée et attisée par les États-Unis, ce sont les pays européens, de nouveau, comme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, diplomatiquement en perte d'influence, acculés par ailleurs de passer sous les fourches caudines de l'Oncle Sam, et son bras armé : l'OTAN. Déjà plusieurs États ont décidé d'augmenter substantiellement leur budget en matière d'armements, notamment l'Allemagne qui a annoncé le doublement de son budget militaire, matérialisé, au grand bénéfice des États-Unis, par l'achat de 35 avions de combat F-35 américains.

En outre, par la création du chaos en Ukraine, et par extension de l'ensemble des pays européens impactés par le déferlement de millions de réfugiés et le renchérissement des prix des matières énergétiques, les États-Unis entendent obérer l'avancement de la Chine vers l'Europe, compromettant la réalisation des « routes de la soie », censées transiter également par les pays de l'Europe de l'Est. Ainsi, dans le cadre plus global de leur stratégie d'endiguement de la Chine (cet ennemi à combattre et abattre), après avoir créé l'alliance AUKUS en 2021 pour torpiller les voies maritimes de la Chine dans la région de l'Indo-Pacifique, les États-Unis ouvrent un second front de déstabilisation économique par l'obstruction des voies terrestres européennes destinées à l'acheminement des marchandises en provenance de Chine. Au final, les États-Unis auront déstabilisé la Russie, l'Europe et la Chine.

Une chose est sûre, l'Europe, comme le reste du monde, va subir une nouvelle accélération de la crise économique sous l'impact de la guerre et du chao provoqués par les États-Unis. Ainsi, la principale puissance impérialiste mondiale, pour conserver son hégémonie, a décidé de susciter le chaos à l'échelle internationale. Et cette stratégie criminelle a été engendrée par Joe Biden, le président démocrate. Le piège du chaos, tendu par les États-Unis, s'est refermé sur la Russie, désormais engagée dans une guerre éperdue, l'enlisement d'un conflit meurtrier, dans une fuite en avant aveugle. En moins d'un mois de guerre, plusieurs villes ukrainiennes ont été entièrement détruites sous une avalanche de bombes, occasionnant des milliers de victimes civiles ukrainiennes et soldats russes, acculant des millions à l'exode. Assurément, la guerre en Ukraine ouvre une nouvelle ère de chaos, de déstabilisation et de destruction à l'échelle internationale, excepté aux États-Unis, géographiquement excentrés du théâtre du conflit, économiquement et énergétiquement autosuffisants. Cette guerre compromet la reprise économique. La flambée des cours du gaz, du pétrole et d'autres matières premières (en particulier le blé) pénalise essentiellement les populations laborieuses, les classes sociales pauvres de l'ensemble des pays.