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Du gaspillage alimentaire, en général et du pain, en particulier

par Mohamed Khiati*

Le gaspillage alimentaire, vous n'y êtes pas. Il s'agit, aujourd'hui d'un sujet de préoccupation mondiale, dont les retombées se font sentir sur le plan économique et social des nations. Or, le paradoxe est tel que toutes les nations tendent à produire plus, au moment où de nombreuses populations s'affichent au gaspillage des denrées alimentaires, à une époque où la FAO, l'organisation de l'alimentation et de l'agriculture s'attache, dit-elle, inlassablement à lutter contre la faim et la malnutrition, à travers le monde.

Aussi, par gaspillage alimentaire on entend «toute diminution de la masse des denrées comestibles initialement destinées à la consommation humaine, y compris celles qui sont dans un deuxième temps réaffectées à l'alimentation animale ou à la production de bioénergie». Si les «pertes alimentaires» font généralement référence aux pertes au niveau de la production, de l'après récolte et de la transformation, le «gaspillage» concerne le stade de la distribution et de la consommation finale (FAO, 2011).

Dans le concert des nations, la réduction du gaspillage alimentaire participe, entre autres, à l'amélioration de la sécurité alimentaire des populations. Il s'agit, dans ce contexte, de réduire de moitié, d'ici 2030, le gaspillage alimentaire au niveau de la distribution et du consommateur ainsi que réduire les pertes tout au long de la production et des chaînes d'approvisionnement. C'est là, l'un des sous-objectifs de l'Objectif du Développement Durable (ODD-12), sous le titre «Garantir des modes de consommation et de production durables».

Au niveau international, selon les premières estimations faites en 2019, par la FAO, l'indice moyen de perte alimentaire indique qu'environ 14% de la nourriture mondiale produite est perdue après la récolte et jusqu'au niveau de la vente au détail, soit un volume estimé à 1,6 milliard de tonnes. Dans la région de l'Afrique du Nord et l'Asie de l'Ouest, cet indice est de 10,8%, estime-t-on.

A ce sujet, des études commissionnées par la FAO ont estimées que les pertes et gaspillages alimentaires représentent annuellement 30% de la production de céréales, 40?50 % des tubercules, fruits et légumes, 20% des oléagineux, des viandes et produits laitiers et 35 % des poissons.?cependant, on fait noter que les pertes et gaspillages alimentaires dépendent fortement de conditions spécifiques et de la situation locale dans chaque pays et pour chaque culture (FAO-2015. Initiative mondiale de réduction des pertes et du gaspillage alimentaire).

Sur le plan spatial, une superficie de 1,4 milliards d'hectares de terres, soit 28% de la sole agricole mondiale est utilisée annuellement pour produire cette nourriture perdue ou gaspillée (FAO, 2020). Comme valeur économique, cela signifie qu'environ 14% des aliments produits dans le monde sont perdus entre le stade après récolte (inclus) et celui de la vente au détail (exclu). Cette situation, montre que sur le plan international, le gaspillage alimentaire et la perte de nourritures est à un niveau alarmant et l'Algérie n'est pas du reste par rapport à ce phénomène. Mieux encore, ces pertes et gaspillage des aliments sont considérables et contribuent à réduire leurs disponibilités et peuvent même aggraver les pénuries alimentaires.

Sur le plan économique, le tiers des aliments produits pour la consommation humaine est perdu ou gaspillé, ce qui équivaut à environ 1,3 milliards de tonnes par an. Les coûts mondiaux des pertes et gaspillages alimentaires s'élèvent à quelque 2600 milliards de dollars par an, dont 700 milliards de coûts environnementaux et 900 milliards de coûts sociaux.

En dépit, des efforts déployés par les différents acteurs, le gaspillage alimentaire a atteint 21% de ce qui est jeté dans les décharges dans le monde. Une partie du problème revient à la longue chaine d'approvisionnement que traversent les aliments à travers le réseau des grossistes, les restaurants et en passant par les collectivités publiques et les cuisines privées. Les pertes tout au long du parcours renferment aussi les dommages aux cultures durant la récolte, leur transport maritime et les produits qui ont été dépréciés qualitativement avant d'être utilisés ou vendus aux consommateurs. En gros, le gaspillage alimentaire s'élève en moyenne à un taux de 40% de la récolte totale d'une nation (FAO 2011).

En gros, et en prenant en compte l'ensemble des paramètres nécessaires pour produire, transformer et distribuer la nourriture (la dégradation des ressources, le carburant, les semences, les engrais, l'eau et la main d'œuvre) révèle la raison pour laquelle le gaspillage du produit fini a un coût économique et environnemental considérable. Alors que sur le plan écologique, les pertes et les gaspillages de produits alimentaires contribuent à l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre et à la dégradation des ressources naturelles.

En Algérie, les pertes et gaspillage des produits alimentaires se situent au niveau:

? De la ferme, dans le cas des céréales et des légumes secs et autres cultures annuelles, les pertes sont observées au moment de la récolte et au cours du stockage avant sortie de la ferme. Ces pertes sont dues à des chantiers de récolte tardifs des céréales entrainant un égrenage naturel des épis sur pied. Elles sont dues aussi à la faible maitrise de la récolte mécanique des cultures. Ces pertes sont estimées par certains auteurs à 5% en moyenne en Algérie. Selon Kaci (2007) (1), ce taux reste tributaire du type de moissonneuse-batteuse dont le nombre avoisine les 2500 réparties sur le territoire national;

Ces pertes peuvent arrivées durant la récolte et au cours du stockage avant la sortie de l'exploitation agricole et leurs mises dans le circuit de commercialisation. Ces causes sont diverses et concernent :

? la vétusté et parfois la mauvaise maitrise du réglage des moissonneuses batteuses (organes de battage) impactent directement le rendement (taux de casse et des pertes de grains) avec une perte moyenne estimée à 4%, soit l'équivalent de 173.000 tonnes de céréales annuellement perdues sur la période 2009-2013 (CREAD, 2018) (2). Elle serait de 171 800 tonnes de 2014 à 2019, si on garde les 4% estimé par le CREAD sachant que la moyenne de la production pour cette dernière période est de 42 953 380 quintaux.

? la nature du sol, le respect de l'itinéraire technique, l'utilisation efficiente des semences et engrais et des traitements phytosanitaires adéquats, sont autant de facteurs qui impactent indirectement le rendement et augmentent les pertes dans toutes les spéculations (la verse des céréales, la présence de mauvaises herbes et la présence d'insectes nuisibles) déprécient considérablement la qualité de la production en entrainant un gaspillage des moyens et des efforts.

Aux pertes de rendement, il faut ajouter les pertes en qualité dues au mauvais réglage des organes de battage de la moissonneuse-batteuse, ainsi que le taux de casse des grains allant de 1 à 9% du rendement. Il donne une moyenne de pertes sur blé de 5% sur une autre marque de moissonneuse-batteuse utilisée en zones sahariennes.

? Au stockage, les déperditions de produits alimentaires sont liées aux mauvaises conditions de stockage (pour tous les produits) et à l'insuffisance des unités de transformation (en particulier pour les tomates industrielles et les pommes de terre en cas de « surproduction »), à l'absence et/ou l'insuffisance de conditionnements adaptés (surtout pour les fruits et légumes).

A titre d'exemple, les salades laitues, les plus consommées dans le pays, sont livrées aux détaillants, compressées dans des cartons, cela entraînant - par écrasement des feuilles - une perte équivalent parfois à un cinquième du poids.

? Du transit, une partie du problème revient à la longue chaine d'approvisionnement que traversent les aliments à travers le réseau des grossistes, les restaurants et en passant par les collectivités publiques et les cuisines privées ;

Les pertes tout au long du parcours renferment aussi les dommages aux cultures durant la récolte, leur transport maritime et les produits qui ont été dépréciés qualitativement avant d'être utilisés ou vendus aux consommateurs.

En ce qui concerne, le gaspillage des céréales, il est à rappeler que l'Algérie demeure parmi les grands importateurs de ces denrées (en particulier le blé tendre) du fait de la faible capacité de la filière nationale à satisfaire les besoins de consommation croissants de la population. Le blé tendre représente en moyenne, quelque 80% du total des importations des blés.

Alors que le pain est parmi les aliments les plus gaspillés. Selon une étude menée en 2015 dans plusieurs pays arabes méditerranéens (Capone et al. 2016) (3), il est fait état que 20% du pain et des produits céréaliers achetés sont jetés, suivis par les légumes et les produits laitiers. La consommation de pain a nettement augmenté en Algérie. D'après les statistiques, les Algériens consomment 48 millions de baguettes de pain chaque jour, et se trouvent de ce fait, parmi les premiers consommateurs de pain dans le monde.

Un média électronique, citant la société algéroise chargée du ramassage des déchets ménagers (ExtraNet), donne le chiffre de 90 tonnes de pain jeté dans les poubelles de la capitale durant les neuf premiers mois de l'année 2017, soit l'équivalent de 12.000 tonnes de blé. Ce média mentionne également que 12 millions de baguettes de pain sont jetées chaque mois dans le pays citant (Aghiles, 2017) (4), soit l'équivalent entre 320.000 tonnes et 400.000 tonnes de blés.

Alors que l'UGCAA (Union Générale des Commerçants et Artisans Algériens) a déclaré deux ans avant, en 2015, que pendant le seul mois de Ramadan, 120 millions de baguettes, 12 millions de litres de lait et 50 000 tonnes de légumes ont été jetés par les consommateurs. Tandis que le Ministère du commerce estime le gaspillage du pain à 10 millions de baguettes par jour, atteignant les 12 à 13 millions de baguettes par jour durant le mois sacré de ramadan.

Quant à la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (FOREM), elle estimait déjà en 2015 que « plus de 40 millions de dollars de pain sont jetés annuellement».

? Effets de la consommation du pain blanc sur la santé :

Ce faisant et en dehors du gaspillage, la consommation du pain blanc à des conséquences néfastes sur la santé humaine. Dr F. BOUSMAHA de la DGPPS relevant du Ministère de la population et de la Réforme Hospitalière, a souligné lors des journées techniques et scientifiques organisées à l'ITGC, le 23 septembre 2020 que ce type d'aliment a des répercussions sur la santé des Algériens, notamment pour les adolescents. A ce titre, il mentionne que :

? Le pain blanc est riche en sucre, sa valeur énergétique est élevée puisqu'elle atteint en moyenne 250 Kcal/100 g dont 85% sont représentés par les glucides. Son index glycémique se situe entre 80-95% selon le degré de raffinage est très proche des sucres simples (un index modéré <70% ou bas < à 50% sont considérés comme favorable à la santé). Cette richesse en sucre entraine chez les consommateurs une accoutumance qui est l'une des causes de l'apparition des maladies telles que l'obésité et l'hypertension chez l'adolescent;

? Le blé tendre raffiné, utilisé pour la fabrication du pain blanc, est la seule céréale donnant une farine panifiable grâce à la nature unique de ses protéines de réserve qui permettent la formation de réseau de gluten.

Les effets des protéines du gluten sur la santé sont aujourd'hui mis en cause compte tenu des séquelles qu'elles provoquent au niveau intestinal. Ces séquelles connues sous le nom des maladies dites de cœliaque, jadis assez rares en Algérie, sont à l'origine des troubles intestinaux chez l'enfant et chez les adultes (35-65 ans) ;

? La consommation quotidienne de gluten induit de manière indirecte des troubles tels que des anémies (déficit de globules rouges), diarrhées chroniques. Les albumines/globulines du blé, constituent les plus importants éléments allergènes des produits alimentaires à base de blé ;

Cependant, La corrélation entre le diabète et la consommation de la farine raffinée n'est plus à démontrer, le pays compte aujourd'hui près de 5 millions de diabétiques et le taux de prévalence a augmenté de 8 à16% durant les15 dernières années (selon la Forem, 2016).

En définitive, le gaspillage devient une tare pour laquelle, des mesures draconiennes doivent être adoptées non seulement sur le plan de la sensibilisation et la communication, mais également sur le plan de la réglementation régissant le prix de vente du pain. L'approche à adopter devra être intersectorielle, c'est dire qu'il est impensable de vouloir bien produire plus lorsqu'on s'y met paradoxalement à gaspiller nos ressources alimentaires qui pèsent lourdement sur la balance économique du pays.

On sait pertinemment que le Ministère du commerce a déjà entamé des initiatives louables à travers des campagnes de lutte contre le gaspillage. Cependant, il est nécessaire d'entrevoir des programmes concertés et continus, entre divers parties concernées, visant la réduction des pertes des produits alimentaires y compris le pain blanc qui pèse lourdement sur la balance commerciale. Cela est aussi valable pour les ressources hydriques, d'autant que l'on s'approche du mois sacré de Ramadhan où souvent, il est constaté un point culminant du gaspillage. Alors y penser c'est déjà agir.

*Agronome post-gradué, Spécialisé en Vulgarisation Agricole.

Références :

1. KACI F, 2007. Etude des pertes de grains sur les moissonneuses batteuses disponibles en Algérie. Thèse de doctorat, Ecole Nationale Supérieure Agronomique, Alger.

2. CREAD (2018). Analyse de l'état de sécurité alimentaire et nutritionnelle en Algérie. Volume 1

3. Capone, R et al.- K. Bread and Bakery Products Waste in Selected Mediterranean Arab Countries. American Journal of Food and Nutrition, Vol. 4, No. 2, 2016.

4. AGHILES. R. 2017. Gaspillage/ 90 tonnes de pain dans les poubelles d'Alger. In AF-Algérie Focus du 14-10-2017. Site http://www.algerie-focus.com/2017/10/gaspillage-90-tonnes-de-pain-poubelles