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Le jeudi
après-midi, ancien break de la semaine, nous étions de sortie, nous, les braves
petits gars du pensionnat Saint Augustin de Bouisville
(Oran). Tous les jeudis, nous devions être confrontés à un choix du curé. Un
secret absolu qui, depuis la veille, nous faisait entrer dans des paris
effrénés. «La plage ou la montagne ?»
Il fallait
parcourir une centaine de mètres, au-delà de l'amandier qui faisait face au
portail, au pied duquel j'avais écrit dans un article de presse mon souhait
qu'une partie de mes cendres y soit enterrée. La tension montait et, comme dans
un match MCO-CRB d'antan, les partisans de chaque camp scandaient, les uns, «la
plage, la plage» ! «les autres, la montagne, la
montagne» ! Le curé s'arrêtait au carrefour des deux sentiers et, comme Moïse,
s'aidant de son bâton de marche, faisait le silence autour de lui, faisant
monter la tension en temporisant sa décision. Et en quelques secondes, les
partisans d'une route hurlaient leur bonheur. Le curé venait de lever sa canne
qui indiquait la route de la terre promise. Pour ce jour-là, ce sera la
montagne. Mes chers amis, des décennies plus tard, j'ai compris (probablement
en étant prof) que notre guide, derrière ce suspense palpitant, n'avait rien
préparé et que jusqu'au carrefour des deux sentiers, il ne savait fichtre rien
de sa décision. Alors, nous commencions notre aventure, notre périple,
l'ascension de cette montagne qui, seule celle de Santa Cruz lui faisait de
l'ombre dans le gigantisme. C'était notre Kilimandjaro à nous. Lorsque la
lucidité de l'âge arriva, quelques années plus tard, je me rendis compte que
cette montagne n'arrivait pas à la moitié de la montée vers le quartier
Gambetta. Mais c'était le temps où les fantasmes les plus fous traversaient la
tête des jeunes enfants. Lorsque nous arrivions au sommet de ce qui devait être
une petite colline, nous contemplions l'immensité, comme le fit Maurice Herzog
lorsqu'il vainquit l'Annapurna. Mais lui avait perdu ses doigts, gelés et
rongés par la gangrène. Nous, nous redescendions vers l'école, admiratifs de
vivre dans un pays d'aventures. Un goûter vite pris dans la cour et venait le
temps de l'étude, deux heures de préparation des devoirs pour le lendemain. Et
là, mes chers amis, commençait un autre pari, celui du sujet du contrôle du
lendemain, «L'imparfait ou le subjonctif» ? Au final, nous comprendrons
beaucoup plus tard la morale de tout cela. Quelle que soit la route choisie et
la difficulté de la pente, la vie se gagnait par l'effort et le rêve. Ah,
j'oubliais, je préférais la sortie à la plage. C'est peut-être pour cela qu'au
bout de quarante six ans en France, je n'ai jamais
été au ski. La montagne de Bouisville était un sommet
que je ne dépasserai plus, les aventures de la jeunesse sont inatteignables.