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Notre
ami et frère l'historien Omar Carlier nous a quitté ce 22 octobre à la suite
d'une longue et douloureuse maladie. Affecté en septembre 1968 comme jeune VSNA
à la faculté de Droit de l'Université d'Oran, il contribua à la formation des
premières générations d'étudiants dont nous faisions partie.
Dès cette période il noua des relations d'amitié forte et de sympathie avec les jeunes militants de la section UNEA d'Oran qui luttait pour l'autonomie de leur organisation mais aussi exprimait ses engagements dans la défense de l'option socialiste de l'Algérie. Comme de nombreux coopérants progressistes affectés à cette époque dans les universités algériennes, il suivit avec bienveillance, voire admiration, les luttes des militants de l'UNEA, exprimant discrètement son soutien moral. Il lisait les tracts que l'on distribuait, acceptant même parfois de lire le journal Sawt Echâab du PAGS clandestin qui était diffusé, journal nous confia-t-il cinquante ans après, qu'il cachait précieusement dans son appartement. Si le climat politique de l'époque fortement influencé par l'espoir de construction d'une Algérie de progrès et l'adhésion à des causes révolutionnaires l'avait fortement marqué, c'est la rencontre avec Rahmouna (étudiante dans le département histoire de la faculté des lettres d'Oran) qui marqua un tournant dans sa vie. Il l'épousa après un parcours initiatique imposé pour sa conversion à l'Islam. Cette conversion fut, il faut le dire, prise avec le sérieux, la discipline et l'engagement auquel Omar accordait à toute entreprise qu'il conduisait. Il se documenta sur l'Islam maghrébin, visitant avec ferveur les tombeaux des saints de la région d'Oran, prenant même la peine de se déplacer dans les institutions religieuses prestigieuses, dont la grande mosquée des quarawiyin de Fès. Cette conversion fut aussi une conversion totale et sincère à son nouveau pays l'Algérie, à la ville d'Oran à laquelle il marqua un profond attachement, conversion à la culture et aux valeurs et traditions originales du peuple algérien. Il savait par Rahmouna, fille de chahid originaire d'un village (Aïn El Arbâa) de la région de Témouchent, quels avaient été les sacrifices de ce peuple pour accéder à son indépendance nationale. Dès la fin des années 1970, le juriste qu'il était, compléta sa formation par des études en sciences politiques avant de s'orienter vers des études d'histoire politique et sociale. Il consacra ses premiers et principaux travaux aux modalités et chemins de la prise de conscience nationale. Très fortement inspiré des méthodes mis au point par l'Ecole des Annales et ses animateurs dont Fernand Braudel, il s'intéressa en particulier aux formes d'expression de cette conscience nationale dans les espaces publics, explorant les lieux tels les cafés maures (auxquels il consacra des travaux vite reconnus par la communauté des historiens), aux hammams en passant par les clubs sportifs, les écoles et les cimetières (qu'il aimait fréquenter comme il l'a confié dans les mélanges que lui ont consacré ses étudiants et ses pairs). Il mit ainsi un soin tout particulier à reconstruire l'état des mentalités, les idées des militants nationalistes et de leurs dirigeants, à retracer ou décrire sur la base d'enquêtes documentées, les formes de leur cheminement dans l'espace public aboutissant à l'émergence et au développement de la conscience nationale. Avec la rigueur scientifique qui le caractérisait, il ne s'épargnait pas la peine d'interroger les acteurs de cette époque, parcourant le pays d'Est en Ouest, du Nord au Sud, allant à la rencontre des militants ou des sympathisants du mouvement national, retraçant leurs itinéraires, à l'exemple du militant-insurgé Amar Imache (à qui il consacra son premier ouvrage au début des années 1980), noircissant des dizaines de carnets de notes pour comprendre et décrire les chemins conduisant à cette conscience nationale et à cette appropriation de l'idée d'indépendance. Omar a eu un parcours universitaire exemplaire et cela avec la modestie et l'humilité qu'il s'imposait, car pour lui, et tel que nous l'avons connu, tout était encore en chantier, beaucoup de terrains restaient encore à défricher ou à approfondir. Il a eu un parcours de recherche à la fois original et stimulant, tant sur l'objet de la recherche historique qu'il identifiait (l'espace public et le parcours individuel de militants nationalistes), que par la méthode combinant tout à la fois état de l'art sur la question traitée, enquêtes, interviews, fréquentation des lieux de vie, exploitation d'archives et documents d'époque. Ses travaux reposaient sur une vaste générale acquise dans ses années de jeunesse, s'appuyant sur les productions scientifiques issues d'autres disciplines qu'il explorait patiemment (sociologie, anthropologie sociale et culturelle, sciences politiques...). Il était de ceux qui pensait comme l'écrivait Marx «qu'il n'y a pas de chemin royale vers la science et ceux-là seulement ont la chance d'arriver à ses sommets lumineux qui ne craignent pas de se fatiguer à gravir ses sentiers escarpés.» Il aura jusqu'à son dernier souffle tenté de gravir ces chemins escarpés, et alors que sa notoriété scientifique était légitimement assise, il tenait à poursuivre sa quête de vérité historique ouvrant sans cesse de nouveaux chantiers de recherche. Outre les travaux sur la formation des premières élites algériennes au sein d'institutions de formations nationales (telle l'Ecole nationale supérieure), au cours de l'année 2019 et alors que la maladie lui avait accordé un bref sursis, il avait engagé avec le sérieux que je lui connaissais des enquêtes auprès d'anciens médersiens du franco-musulman. Il souhaitait aussi défricher les archives de l'ancien lycée Bugeaud afin d'analyser les parcours des premières élites algériennes formées au XIXème à la faveur de la décision de Napoléon III d'accorder quelques bourses aux indigènes admis dans le fameux « Collège impérial ». La maladie en aura décidé autrement. Il nous a toutefois légué des travaux remarquables, ouvert des pistes de recherche qui inspireront sans doute les jeunes historiens soucieux de faire connaitre le passé de l'Algérie, les combats de son peuple, ou de ceux qui ont été ses représentants politiques ou ses figures culturelles les plus emblématiques. Omar a émis le vœu d'être enterré parmi ses frères algériens au pays. Les circonstances sanitaires ne l'auront pas permis. Il restera toujours le frère qui a partagé le meilleur de sa vie avec le pays, et dont il épousa les causes et les rêves d'émancipation et de justice sociale. À Rahmouna, à ses enfants nos condoléances les plus attristées. Il restera éternellement vivant dans nos cœurs et nos pensées. |
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