Hier
encore, le pays a failli se noyer dans un verre d'eau. Même des cadavres ont
été éjectés de leurs tombes par la furie des eaux. Ceci pour ceux qui sont déjà
morts, pour les «sursitaires», c'est-à-dire les (sur)vivants, le cauchemar
continue... Oui, personne n'est là pour protéger nos poches «essorées» contre
les chipeurs en tous genres. C'est que le pays est toujours en état d'urgence
stomacal : le fier gallinacé monte sur ses ergots pour atteindre les 520 DA le
kilo, narguant le fruit du pauvre, la pomme de terre qui pointait, hier
dimanche, à 110 DA le kilo. Parce qu'un ventre affamé n'a
point d'oreilles et que tout le monde ne mange pas forcément par la bouche, le
peuple se retrouve (dé)coupé en morceaux et en rondelles dans la complexe
généalogie de ce que d'aucuns appellent l'art peu raffiné de la «mangeaison». Du bedonnant au freluquet, de l'émacié à
l'anguleux, du ventriloque jusqu'aux estomacs (dé)vidés, de l'appétit léonin à
la chair trop molle, des «rôteurs» de formation
jusqu'aux mal-empiffrées par vocation, il y a ceux qui bouffent à vingt doigts
mélangés, même quand ils sont «occlusés». En face
d'eux, il y a la gent de ceux qui se sustentent au besoin, ceux qui becquettent
par pur instinct de conservation, ceux qui ont appris à simplement ingérer ce
qui est comestible, d'autres qui se suffisent d'ingurgiter tout ce qui vient à
portée... de bouche. Au moment où d'autres, dans un rassasiement digne des fauves
encagés, boulottent selon la grandeur des yeux, gueuletonnent en cachant les
restes dans le revers du portefeuille, ou se goinfrent quand il faut tout juste
prendre le goûter. Il y a même, paraît-il, des bipèdes qui pratiquent
régulièrement le sport du becquetage, du broutage et même du béquillage. Et
comme le pain n'est pas le premier classé dans l'infinie chaîne alimentaire, il
y a aussi ceux qui ont le pain, certes dur, mais la dent aiguë. Juste en face
de ces « khobzistes » pas comme les autres, il y a
ceux auxquels le pain faut à tel point qu'ils vendent jusqu'à leur dernier
croûton rassis, d'autres ont les mains si noires qu'ils ne se rendent pas
compte qu'ils mangent du pain trop blanc, avec en tête du peloton ceux qui ont
toujours mangé leur pain sous le manteau. Même s'ils s'excusent, le sourire en
coin, de nous avoir fait prendre leurs pieds nickelés pour des mains...
baladeuses. «Du pain en temps de paix est meilleur que du gâteau en temps de
guerre», dit un célèbre adage !