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Vieille vérité impérissable

par Abdelkrim Zerzouri

«L'Angleterre n'a pas d'amis ou d'ennemis permanents ; elle n'a que des intérêts permanents», disait Lord Palmerston dans un discours prononcé en 1848 devant la chambre basse du Parlement du Royaume-Uni. Plus tard, dans un entretien au magazine Paris Match, le 9 décembre 1967, Charles de Gaulle reconfirmait ces paroles en affirmant qu'« un grand pays n'a pas d'amis. Les hommes peuvent avoir des amis, pas les hommes d'Etat ». C'est une vérité valable en tout temps et tout lieu, un homme d'Etat pense à l'intérêt de son pays avant sa propre personne. Plus près de nous, c'est l'actuel président français qui en a apporté une autre preuve de cette vérité quand il a lâché des propos qui ont fâché les autorités algériennes et l'opinion publique d'une manière générale. Il n'a pas repris textuellement cette vieille vérité mais on la ressent dans ses déclarations pleines de reproches en filigrane à la classe dirigeante algérienne.

Du jamais vu, et de l'inattendu de sa part, Macron a estimé que la nation algérienne post-1962 s'est construite sur «une rente mémorielle» entretenue par «le système politico-militaire». En ajoutant du vitriol à ses déclarations lorsqu'il soutient que la réduction des visas touche les dirigeants, «qui ont l'habitude d'y avoir accès facilement». La réduction des visas «n'aura pas d'impact sur les étudiants et les hommes d'affaires, la sphère économique d'une manière générale, car cela touchera les gens qui sont dans le milieu dirigeant, qui avaient l'habitude de demander des visas facilement», précise-t-il. Même le registre mémoriel est remis en cause quand il a dénoncé une « histoire officielle, «totalement réécrite» » qui «ne s'appuie pas sur des vérités» mais sur «un discours qui repose sur une haine de la France».

Macron a-t-il été piqué par la mouche extrémiste, comme tentent de l'expliquer certains observateurs qui croient que le président français joue là sur un terrain électoraliste dévolue à l'extrême droite ? Et, on voit mal un quelconque intérêt de la France dans tout ce revirement des positions. Peut-être que l'intérêt de la France passerait par sa réélection pour un second mandat. En cette période marquée par une campagne précoce à la présidentielle française, le président sortant joue sur toutes les fibres pour se faire réélire. Il a certainement vu que pour gagner l'électorat des binationaux, dont certains ne portent pas dans leur cœur les dirigeants algériens, rien de mieux que de dire du mal à leur propos. Recadrer la distance de ses relations avec les dirigeants algériens et caresser dans le sens du poil le « hirak », voilà la stratégie électorale du président français pour contrer les extrémistes qui ont fait du dossier ?immigration' leur cheval de bataille.

L'Algérie, qui a exprimé à travers un communiqué son rejet «catégorique de l'ingérence inadmissible dans ses affaires intérieures» à la suite des propos non démentis que plusieurs sources françaises ont attribué nommément au président de la République française, devrait tirer une leçon résolue de cet épisode, sans s'offusquer outre mesure d'une vieille vérité impérissable avouée par des hommes politiques rompus à l'exercice du pouvoir, en mettant définitivement fin à cette histoire redondante de « lune de miel » suivi par le « froid », ou vice-versa, dans les relations entre Paris et Alger.